וארנן דש חטים
weˀornân
daš ḥiṭṭîm
Chers amis,
Dimanche après la messe à
Saint-Sauveur, je suis allé me balader un peu mais j’étais crevé… Du coup, j’ai
refusé d’aller au cinéma avec quelques amis. Il y avait une proposition pour
voir deux films nommés aux Oscars. Un court-métrage palestinien, Ave Maria
et un film jordanien, Theeb (ذيب) nommé dans la
catégorie “meilleur film en langue étrangère”. À cause de la fatigue, je n’y
suis pas allé mais j’ai bien fait car même en arrivant en avance, tous mes amis
n’ont pas eu de place… Les gens avaient acheté leurs places dans la journée et la salle doit
contenir une centaine de spectateurs seulement, alors ça avait été vite rempli… Du coup, il y a des rediffusions
cette semaine. On va faire une tentative vendredi soir…
Voici
la bande-annonce d’Ave Maria. Les extérieurs ont été tourné dans le no man's land qui mène au site baptismal, près du Jourdain. Avec les parents, l’autre jour, à Nebi
Musa, nous avons croisé l’actrice franco-palestinienne qui incarne la
supérieure de la communauté. C’est plutôt le genre palestinienne pimpante et émancipée,
très volubile. Le moins que l’on puisse dire c’est qu’on a du mal à l’imaginer
en supérieure de couvent et qui plus est ayant fait vœu de silence. C’est ce qu’on
appelle un rôle de composition.
À la fin de la soirée, aucun des deux
films en compétition n’a été primé. Dommage pour eux.
Lundi, journée bibliothèque. J’ai
enfin achevé la lecture du livre de François Martin,
Pour une théologie de la lettre. Passionnant quand il lit l’Écriture
mais ardu quand il manie les catégories sémiotiques. Fr Daoud et fr Rafael sont
rentrés d’Amman avec du fromage, du miel et plein de bonnes choses. J’ai eu
aussi une jolie surprise : du courrier devant ma porte… Quelques cartes de
paroissiens et quelques douceurs silvaines que je pourrais partager à Pâques.
Ce mardi, journée archéologie et
topographie mais avec un programme spécial. Habituellement, nous avons cours le
matin et visite in situ l’après-midi. Cette fois-ci, nous avons dû faire
l’inverse. En effet, nous devions visiter l’aire d’Ornân (ou Arauna) le
Jébuséen. C’est le lieu qu’on appelle aujourd’hui Mont du Temple, Esplanade
des Mosquées ou al-Ḥaram
aš-Šarīf (le noble sanctuaire)… Vous
comprenez que le nom choisi n’est jamais complètement neutre…
Le Dôme de la Roche |
Lors de mon premier pèlerinage en
1995, nous avions pu librement visiter le site et entrer dans les mosquées mais
depuis la deuxième intifada en 2001, les mosquées sont fermées au public
non-musulman et seulement accessibles avec une permission spéciale accordée par
le waqf, permission que l’École obtient habituellement.
Nous sommes donc entrés par la porte
nord (les touristes/pèlerins entrent normalement par la porte des Maghrébins,
au-dessus du Mur occidental (le Maghreb en arabe, c’est le couchant, l’occident…).
Nous avions un guide, fonctionnaire jordanien, pour nous accompagner. En effet,
l’Esplanade des Mosquées est une sorte d’enclave jordanienne : jusqu’en
1967, la zone se trouvait en Jordanie et administrée par le roi de Jordanie, en
dédommagement de la perte de la Mecque au bénéfice des saoudites… À partir de
1967 (Guerre de six jours), la Jordanie revendique ce lieu et, dans les accords
d’Oslo (1993), elle renonce à tout son territoire à l’ouest du Jourdain à l’exception
de l’Esplanade des Mosquées. Les filles devaient pour pénétrer sur l’esplanade
être “décemment” vêtue. Ce fut donc le festival de la jupe longue chez les
filles. Seule l’une d’entre elles venue en pantalon a dû enfiler une jupe à
grosses fleurs bleues et roses fournie par le waqf… C’est là qu’on a vu que
décence et bon goût ne sont pas synonymes.
Un peu d’histoire, maintenant… En Gn 22,
Abraham lie son fils Isaac au sommet du Mont Moriah et Dieu retient sa main au
dernier moment. En 2Ch 3,1, le site est associé à l’aire d’Arauna le
Jébuséen, acquise par David en 2S 24 (ou 1Ch 21 où le proprio s’appelle
Ornân). Le roi veut y édifier un autel pour offrir des sacrifices afin que Dieu
éloigne la peste qui frappe le peuple.
Devisons sur l'esplanade |
C’est là que Salomon fait construire
le Temple. À l’heure actuelle, on n’a aucune trace de ce premier temple. Il
faut dire qu’à cause de la sensibilité politico-religieuse du site, le waqf
interdit toute fouille… Ce Temple est détruit en 586 par Nabuchodonosor et
reconstruit au siècle suivant. Plus tard, aux environs de 100 av. J.-C., les
Hasmonéens agrandissent l’esplanade de 41 mètres vers le sud (l’esplanade perd
sa forme parfaitement carrée de 500 coudées royales de côté). Hérode le Grand
va reconstruire le Temple et lui donner un éclat incomparable. Cela fait partie
de la politique de grands travaux d’Hérode (forteresses diverses, aqueducs, Césarée…).
Il agrandit l’esplanade initiale au sud (32 m), au nord (130 m) et à l’ouest
(environ 20 m) pour lui donner les dimensions qu’elle possède encore aujourd’hui :
un trapèze de 470 (côté est) à 488 m (côté ouest), sur 280 (côté
sud) à 315 m (côté nord) pour une superficie de presque 15 ha… La plus
grande esplanade religieuse de l’Antiquité !
Le
temple est richement orné, d’une splendeur qu’on peine à imaginer. La construction
s’achève vers les années 60 de notre ère (80 ans de travaux environs) et moins
de dix ans plus tard, le Temple est détruit par les légions romaines de Titus
(70 ap. J.-C.).
En
132-135, Hadrien romanise la ville (Ælia Capitolina) et édifie un temple à
Jupiter Capitolin. Le temple a dû être détruit lorsque la ville est devenue
chrétienne ; en tout cas, le site est complètement abandonné à l’époque
byzantine.
Tout
ce que je viens d’écrire est nié par certains responsables musulmans qui
disent, parfois très officiellement, que le site n’a absolument rien à voir
avec un « soi-disant temple juif ». Et ils s’insurgent même du fait
que les Juifs prient au mur occidental qui, selon eux, fait partie intégrante
(depuis la création du monde) de la mosquée Al-Aqsa… La paix n’est pas pour
demain…
En
638, six ans seulement après la mort de Mahomet, les armées musulmanes s’emparent
de Jérusalem. À la fin du viie
siècle, les deux mosquées sont bâties. D’abord le Dôme de la Roche, lieu que la
tradition musulmane associera plus tard (au xe
s.) au lieu de l’ascension de Mahomet au ciel (Coran, Sourate XVII, 1). Pour
les musulmans, le Rocher n’est pas le lieu de la ligature du fils d’Abraham qui
a eu lieu, selon eux, à la Mecque et concerne Ismaël et non pas Isaac.
La
mosquée Al-Aqsa est construite ensuite.
Au
moment de la conquête de Jérusalem par les Croisés, ils ont identifié le Dôme de
la Roche au Temple de Jérusalem et ont installé à Al-Aqsa les Pauvres
Chevaliers du Christ et du Temple de Salomon, plus connus sous le nom de
Templiers. Les deux mosquées sont donc utilisées comme églises sans que leur
structure soit chamboulée. Al-Aqsa est pourtant reconstruite plusieurs fois car,
construite sur un remblai à l’extrémité sud de l’esplanade, elle est plus
sensible aux nombreux séismes qui ont marqué la région.
Depuis
13 siècles, c’est donc un lieu saint pour les musulmans. En 1967, Israël a
choisi de laisser le lieu aux musulmans, c’est le statu quo sur l’esplanade des Mosquées qui dit que les chrétiens et les juifs peuvent accéder au lieu
mais sans
prier… De fait, les chrétiens sont admis sans trop de
difficultés mais les juifs sont toujours escortés par une escouade policière et
les musulmans les accueillent en criant « Allahu akbar », comme nous
avons pu le voir nous-mêmes. Un petit groupe de cinq personnes (un rabbin, une
adolescente, trois hommes) protégés par une dizaine de policiers en armes ont
fait le tour de l’esplanade. Normalement, le grand rabbinat leur interdit l’accès
à l’esplanade de peur qu’ils ne foulent de leurs pieds le saint des saints,
lieu de la présence divine. Mais ils considèrent qu’en restant à la périphérie
de l’esplanade, ils n’encourent pas ce risque.
Juifs visitant l'esplanade sous protection policière |
Grâce
à la permission du waqf, nous avons eu accès aux deux mosquées. Le Dôme de la
Roche est en ce moment en restauration à l’intérieur : les mosaïques du
tambour et du dôme sont nettoyées et réparées. C’était un peu dommage car les
échafaudages empêchaient de voir aussi bien qu’on aurait
voulu. Les mosaïques
sont splendides et datent du viie
siècle. Elles sont de facture byzantine : les symboles représentés
renvoient au pouvoir impérial byzantine mais respectent l’interdiction de
représenter hommes ou animaux (par peur de l’idolâtrie). Des inscriptions en
arabe courent le long du mur : difficile à lire car les points
diacritiques (qui permettent de distinguer certaines consonnes ﺕ = ta ;
ﺙ = tha ; ﺏ; = ba)
n’existaient pas à l’époque. Le plan du Dôme est octogonal, comme de nombreuses
églises byzantines (la coupole de l’Anastasis, l’église de la maison de Pierre
à Capharnaüm, l’église du Mont Garizim, l’église de Césarée, l’église de la Qathisma),
ce qui indique la provenance religieuse des architectes.
Mosaïques florales et inscription arabe |
Nous
sommes aussi allés sous le rocher, où une cavité est creusée. On l’appelle le
Puits des âmes. Le sol de toute la mosquée est couvert de moquette avec un
motif d’alvéole très pratique pour permettre aux gens de s’installer pour la
prière : chacun prend une petite alvéole (cela donne un effet très discipliné
lors de la prière).
Puis
la mosquée Al-Aqsa (littéralement “la lointaine”) nommé ainsi à cause de la
citation coranique indiquée plus haut. De plan basilical, elle fait très “neuve”
puisqu’elle a été souvent restaurée (les colonnes sont en marbre de Carrare,
offertes par Mussolini dans les années 30).
Tunnel de la Triple Porte |
Enfin,
clou du spectacle… les écuries de Salomon, dans le coin sud-est de l’esplanade.
Il s’agit de grandes salles voûtées qui soutenaient l’extension sud de l’esplanade.
Comme vous l’imaginez, elles ne sont pas de Salomon, mais d’Hérode. On y accède
par un long tunnel voûté qui correspond en fait à l’accès antique à l’esplanade
du Temple : ce qu’on appelait la triple porte (il y a aussi une double
porte sous la mosquée Al-Aqsa, mais nous n’avons pas pu y accéder). Les juifs
accédaient au Temple par le sud en empruntant un escalier monumental puis une
rampe souterraine qui les faisait arriver au milieu de l’esplanade. Regardez la
vidéo qui suit vers 2’45’’.
De
là, on pénètre dans une immense salle à colonnes : les piliers sont
hérodiens, sans discussion possible. Sur certains on distingue des trous qui
ont permis aux Templiers d’attacher leurs chevaux (les écuries de Salomon sont
d’Hérode et n’ont été écuries que pour les Templiers !).
La
zone fut aménagée en mosquée il y a 20 ans pour empêcher les Israéliens d’y
accéder par les fouilles de l’Ophel et d’y installer une synagogue…
Près de l'entrée normale des touristes, nous avons regardé les chapiteaux anciens de la mosquée Al-Aqsa. Ils sont à l'évidence byzantins (motifs à corbeille typique...) mais notre présence dans ce coin a excité un type, il s'est mis à crier... Le P. Dominique-Marie est allé voir si l'on pouvait visiter le musée islamique mais la visite est réservée aux musulmans ! Expliquez-moi le concept du musée qui ne se visite pas... Et l'excité s'agitait... Nous n'avons pas insisté. La bêtise ne se discute pas.
Près de l'entrée normale des touristes, nous avons regardé les chapiteaux anciens de la mosquée Al-Aqsa. Ils sont à l'évidence byzantins (motifs à corbeille typique...) mais notre présence dans ce coin a excité un type, il s'est mis à crier... Le P. Dominique-Marie est allé voir si l'on pouvait visiter le musée islamique mais la visite est réservée aux musulmans ! Expliquez-moi le concept du musée qui ne se visite pas... Et l'excité s'agitait... Nous n'avons pas insisté. La bêtise ne se discute pas.
Nous
avons terminé la visite par le coin nord-ouest, où se dressait à l’époque de
Jésus la forteresse Antonia.
Retour
à l’École avec un crochet par le Collège pour prendre un café et faire profiter
de la terrasse à Marie des Neiges et Michelle. À 11h, cours du P. Łukasz sur l’histoire
de l’Ancien Testament. Dans l’après-midi, le P. Dominique-Marie a fait le cours
pour présenter plans et photos de l’esplanade des mosquées. L’École Biblique a
une extraordinaire collection de photos noir et blanc qui montrent les lieux au
début du xxe siècle :
pas un arbre sur l’esplanade et le grain noir et blanc est très pratique pour
distinguer les détails.
Ensuite,
retour au Collège, jus de fruit en terrasse du Yerevan avec quelques camarades
de classe.
Demain,
au boulot !
À bientôt,
Étienne+
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire