mercredi 28 février 2018

Celui qui ouvre et nul ne fermera. (Ap 3,7)

ὁ ἀνοίγων καὶ οὐδεὶς κλείσει
ho anoigôn kai oudeis kleisei

Chers amis,
Peut-être avez-vous donc suivi les développements de la crise du Saint-Sépulcre. Mardi après-midi, le bureau du Premier Ministre a publié une déclaration informant de la suspension des procédures législatives en cours à la Knesseth, ainsi que du gel par la municipalité des comptes de certaines entités chrétiennes de Jérusalem. Le soir, les responsables des Églises du Saint-Sépulcre ont informé de la réouverture de la Basilique le lendemain matin (ce mercredi). Israël a essayé de passer en force, les Églises sont montées au créneau.
Un des ressorts secrets de cette affaire, c’est la tension entre le gouvernement israélien et la municipalité de Jérusalem. Ici, comme en France, les dotations de l’État baissent et les municipalités râlent. Jérusalem a tenté de forcer la main du Premier ministre en se servant des Églises comme levier. Le Premier ministre dont la situation judiciaire est un peu délicate en ce moment (le chef de la police, nommé pourtant par Netanyahu, a demandé sa mise en examen pour une affaire de corruption) a dû céder…
À propos de corruption, le monde politique israélien est assez corrompu. Quand je dis “assez”, il l’est certainement autant qu’en France mais au moins ici, quand ils se font prendre la main dans le sac, ils sont souvent condamnés et ils ne s’en tirent pas avec un petit sursis. Un ancien Premier ministre a même fait de la prison ferme pour une histoire de corruption dans une affaire immobilière. Ceci dit, une fois libéré, la vie continue, pas vraiment de retraite anticipée. L’autre jour, j’ai vu une affiche invitant à une conférence qu’il allait donner sur le leadership et la gouvernance. Bon… Pourquoi pas.
 
Dans l'alignement de la coupole dorée et de la petite coupole du Saint-Sépulcre, ma fenêtre

Pour ma part, j’ai vécu cette crise à distance, depuis la bibliothèque de l’École. Si vous voulez savoir ce qui s’est passé à l’intérieur, cliquez sur ce lien. Il y a le témoignage des Franciscains qui étaient enfermés à l’intérieur. Ils ont, au côté des Grecs orthodoxes et des Arméniens vécu la liturgie (messes, offices, processions…) tout simplement. Finalement, ils ont vécu ce que vivaient les Franciscains jusqu’au milieu du xixe siècle : une réclusion plus ou moins volontaire, pour un temps indéterminé. Enfin, le positif de cette affaire, c’est que les Églises ont travaillé main dans la main. Lundi et mardi même l’église du Rédempteur, l’église luthérienne voisine du Saint-Sépulcre, avait fermé ses portes par solidarité. Il faut dire que toutes les communautés chrétiennes sont dans le collimateur. On peut regretter que l’unité se soit faite autour d’une question d’argent mais il faut bien commencer par un bout. Ceci dit, les procédures sont suspendues mais Israël ne renonce pas à faire cracher les Églises au bassinet. Il faudra négocier…
J'ai aussi eu la tristesse d'apprendre le décès de Laurie, animatrice d'aumônerie du diocèse d'Avignon. Une fille super qui avait participé au pélé de la Pastorale des Jeunes en janvier 2015 : elle en était revenue transfigurée de joie. Je lui ai aussi donné quelques cours au Studium aux alentours de 2011-2012.L'autre jour, je pensais à elle en regardant les photos du pélé, sans savoir qu'elle livrait son dernier combat... Une nouvelle amie au ciel.
A la bibliothèque, j’ai travaillé simplement, sans stress. J'ai pris le temps aussi de bouquiner sur ma liseuse une thèse d'histoire sur l'eau à Jérusalem, de 1840 à 1940. Pendant ces 100 ans, Jérusalem est passée d'un peu plus de 10 000 à 150 000 habitants. Politiquement, c'est la fin de l'empire ottoman et le mandat britannique, avec la poussée du mouvement sioniste pour la fondation d'un état hébreu en Palestine. L'alimentation en eau de la ville est un enjeu fondamental pour cette ville située au sommet de la dorsale palestinienne, à 800 m d'altitude, avec un climat relativement aride (640 mm d'eau par an mais 6 mois de saison sèche). L'histoire des systèmes d'adduction d'eau permet aussi de voir comment on passe d'une administration impériale dans laquelle les puissances européennes tentent d'asseoir leur influence à travers la diplomatie et la philanthropie, à une administration municipale dans laquelle les "citadins" de Jérusalem prennent leur destin en main indépendamment des appartenances communautaires et religieuses, avant que la situation n'empire pendant le mandat britannique, qui est géré non pas comme un vrai mandat mais avec un état d'esprit colonial. Dit comme ça, vous vous demandez peut-être "mais en quoi est-ce intéressant ?" Vous pouvez lire ce livre sur internet, laissez-vous passionner. L'auteur est un historien qui enseigne à Paris - Marne-la-Vallée. Il connaît Jérusalem comme sa poche. Il a écrit un livre sur Jérusalem en 1900, une histoire de Jérusalem et il pilote un projet ayant pour ambition d’identifier, de localiser et d’organiser, l’ensemble des archives disponibles, dans toutes les langues, sur l’histoire de Jérusalem : Open Jerusalem. En effet, cette ville intéresse beaucoup de pays et il y a des archives sur l'histoire de Jérusalem au xixe et xxe siècles, à Jérusalem bien sûr, mais aussi à Istanbul, au Caire, en Angleterre, en Allemagne, en France, en Éthiopie, dans les institutions religieuses, les ambassades... C'est énorme mais c'est une mine d'informations pour permettre une histoire désidéologisée de la ville.
J'ai consacré un peu de temps à mettre la dernière main à notre pélé des chefs d’établissements catholiques du diocèse d’Avignon. Nous serons accompagnés de l’archevêque, Mgr Cattenoz, du Délégué diocésain à l’enseignement catholique, M. Aillet, du prêtre référent de l’Enseignement Catholique d’Avignon, le P. Cesareo et d’un bon groupe de dirlos. Nous serons 30 en tout.
Vous comprendrez qu’il me sera difficile de rédiger un billet lors du pélé, où je serai sur le pont à chaque instant. Mais il vous sera possible de suivre la page Facebook du diocèse d
Avignon qui sera alimentée par quelqu’un du groupe. La page est publique et ne nécessite pas de se connecter à Facebook.
Ce soir en sortant de la bibliothèque, j’ai fait quelques emplettes… Notamment une carte topographique pour la balade de dimanche au mont Arbel.
Messe, repas, oraison…
À bientôt,
Étienne+

lundi 26 février 2018

S’il ferme, nul n’ouvrira. (Ap 3,7)

καὶ κλείων καὶ οὐδεὶς ἀνοίγει
kai kleiôn kai oudeis anoigei

Chers amis,
Vendredi matin, un peu d’étude et, comme à l’accoutumée, je me suis rendu à l’Ecce Homo. Beaucoup de monde ce jour-là pour aller à la salat-ul-joumou’a ; je passe donc par la petite rue cachée qui est bien moins encombrée.
Jolie messe, simple… Ce lieu est assurément beau et priant. Même si l’événement évangélique dont on y fait mémoire ne s’est pas passé là, il y a une vraie force. L’après-midi, je retourne travailler.
Samedi matin, étude. Je suis parti un peu plus tôt que la fermeture pour aller à la maison d’Abraham. En effet, les sœurs dominicaines de la Présentation m’avaient invité à célébrer la messe à l’intention de mon grand-oncle, Hubert de Veye qui travailla pendant 30 ans à la maison d’Abraham et dont il fut même le directeur.

À la messe dans la petite chapelle, il y avait les trois sœurs colombiennes et une petite dizaine de volontaires de la maison. Ce fut simple mais j’ai cherché à montrer comment l’invitation à aimer son prochain était un itinéraire de Carême qui nous menait à la communion avec Jésus. Ce fut l’occasion aussi de mettre en valeur un trait de la vie de mon grand-oncle, résumée par ce qu’il écrivait il y a quelques années : « Ma vie est un itinéraire en dents de scie, mais elle peut être considérée comme féconde, si on ne perd pas de vue le but : la Rencontre avec le Seigneur Ressuscité ». Puis nous avons mangé ensemble, ce qui fut aussi l’occasion d’évoquer la figure de l’Oncle Hubert. L’aumônier de la maison nous a annoncé que les États-Unis venaient de déclarer que leur ambassade serait inaugurée le 14 mai prochain, jour des 70 ans de la fondation de l’État d’Israël… Un peu surpris par la rapidité de la décision. En décembre dernier, les échéances annoncées étaient plus lointaines. Trump affirme qu’en prenant cette décision il extrait Jérusalem de l’équation du conflit israélo-palestinien et permet d’avancer vers sa résolution : « Nous faisons en fait de gros progrès. Jérusalem, c'était ce qu'il fallait faire. On a réglé la question ». Honnêtement, sans être un grand diplomate, je ne suis pas aussi optimiste que Donald… Il est vrai que les accords d’Oslo en 1993 ne traitaient pas de la question de Jérusalem alors que c’est le point fondamental. Une fois qu’un accord sera acquis sur Jérusalem, dans quelque sens que ce soit, on pourra régler la question. Par sa déclaration unilatérale et externe, Trump court-circuite une partie du problème et la considère comme résolue. Ça ne marche pas en maths. Et la diplomatie est un art, pas une science exacte.
Par ailleurs, la date choisie pour l’inauguration est susceptible de froisser la susceptibilité palestinienne et, là non plus, je n’ai pas de diplôme en psychologie…
En partant de la maison d’Abraham, sœur Amanda m’a indiqué quelques albums photos et en fouillant bien, nous avons retrouvé une photo de l’Oncle Hubert. La voici avec deux des religieuses qui tenaient la maison à l’époque (début des années 1990).

 
Oncle Hubert à la Maison d'Abraham (début des années 90)

L’après-midi, je n’ai pas été me balader comme j’en ai l’habitude… En effet, j’avais plein de petits trucs à faire pour la paroisse et le Studium, ainsi que pour le pélé des directeurs d’établissements catholiques du Vaucluse. En travaillant dans ma chambre, j’ai entendu un grand cri provenant du salon et je me suis dit : « Il doit y avoir un match du Real de Madrid ». Le soir, après le dîner, je suis allé me balader. J’ai fait un grand tour, par la rue de Jaffa et Maḥane Yehuda. Ce qui m’a surpris, c’est qu’en Israël, le jour de repos c’est le samedi, le shabbat. Mais comme ce shabbat commence le vendredi au coucher du soleil, le vendredi soir n’est pas analogue à notre samedi soir où les gens profitent du repos dominical pour sortir au resto, en boîte, retrouver les amis au bar… Le vendredi soir, pour entrer en shabbat, les gens se retrouvent en famille. Cette soirée de détente entre amis se fait donc quand le shabbat est fini : le samedi soir !
Dimanche matin, messe à Abu Gosh. Il y avait un groupe d’Américains et le chœur était plein de prêtres (11 !). Après l’apéritif, retour à Jérusalem. Ce ne fut pas une mince affaire !
C’était les funérailles de Shmuel Auerbach, un rabbin ultra-orthodoxe, chef d’une faction qui s’oppose radicalement à la conscription des haredîm (juifs ultra-orthodoxes). Souvenez-vous d’un de mes billets de novembre dernier où j’évoquais une manifestation s’opposant à la suspension d’une loi d’exemption.
À cause de l’énorme affluence pour ces obsèques, nous avons dû contourner la ville et jouir des embouteillages pour regagner Talbiyeh où je devais déjeuner chez des amis. Encore un peu d’attente que tout le monde arrive et nous voilà attablés à presque 15 h ! ! ! J’étais affamé ! Nous avons dégusté un excellent poulet à l’arak et aux clémentines. C’était délicieux ! Je m’étais entraîné en décembre dernier et je vais en préparer un le mois prochain lorsque je recevrai les prêtres du doyenné. Mais là, il va falloir que je me surpasse.
Ce fut un bon repas entre amis avec quelques éclats de rire, échanges…
Quand je suis rentré au Collège, j’ai croisé le frère José, il m’a appris que les communautés chrétiennes du Saint-Sépulcre avaient annoncé en milieu de journée que la Basilique resterait fermée jusqu’à nouvel ordre pour protester contre un projet de loi actuellement en discussion à la Knesseth (parlement unicaméral israélien).
Depuis quelque temps la municipalité de Jérusalem entend prélever des taxes foncières sur les propriétés des communautés chrétiennes (couvents, hôtelleries, écoles…) exemptées de ces mêmes taxes du fait de l’exemption dont elles bénéficiaient à l’époque ottomane et qu’Israël a reconnu lors de sa fondation et lors de l’annexion de Jérusalem. La municipalité trouve que cette exemption est un manque à gagner qui l’empêche de financer son fonctionnement. Au début du Carême, les responsables des différentes confessions chrétiennes ont publié un communiqué pour protester. En réponse, le maire de Jérusalem a fait geler les comptes de certaines d’entre elles. Merci, monsieur le maire ! :-(
Ce week-end était discuté à la Knesseth un projet de loi « sur les propriétés des Églises » qui pourrait, s’il était adopté, permettre l’expropriation des biens des Églises. Pour protester contre ce qu’ils estiment être un projet raciste et discriminatoire (le projet vise précisément les communautés chrétiennes), les responsables du Saint-Sépulcre – le patriarche grec orthodoxe, le patriarche arménien et le custode de Terre Sainte – ont pris la décision inédite de fermer le Saint-Sépulcre. Hier, à midi, les pèlerins ont été conduits à l’extérieur de la Basilique et les portes ont été fermées. Une conférence de presse s’est tenue sur place. Aucune date n
a été annoncée pour une réouverture...
Toute l’après-midi, les pèlerins se sont “cassé les dents” sur les portes fermées. Parmi eux, Mgr Cattenoz, archevêque d’Avignon, en pèlerinage avec quelques membres de sa famille.
À 19 h, je l’ai retrouvé devant son hôtel à 5 minutes à pied de chez moi. Avec ses amis, nous sommes allés dîner dans un resto, près de la rue Hillel. Première surprise, due au caractère casher du restaurant, il n’y a pas de viande (בשרי) mais des laitages (
חלבי = crème, fromage, beurre…). Heureusement, nous nous rabattons sur le poisson (non considéré comme viande, on peut en manger au cours d’un repas où l’on mange des laitages). Pour comprendre pourquoi les juifs ne mélangent pas viande (בשרי) et laitage (חלבי) au cours d'un même repas : Ex 23,19; 34,26; Dt 14,21...
L’archevêque est détendu et plaisante volontiers. Ses amis ont plein de questions sur le pays, la situation, les chrétiens… Vers 10 h, je les ramène vers leur hôtel (pour aller au resto, nous avons fait un joli détour, pas déplaisant mais pas direct non plus !)
Ce lundi, étude. Je rencontre mon directeur qui m’encourage. J’ai été un peu désabusé par mon séjour ici. Au début, j’ai eu du mal à étudier dans la direction que je voulais… La semaine dernière, j’ai changé de direction pour faire quelque chose de plus concret, plus exégétique, plus à ma portée et j’ai trouvé plein de choses intéressantes sur une béatitude que j’avais, jusqu’à présent, soigneusement contournée…
Ce soir, la basilique est toujours fermée... Au début, je me demandais pourquoi fermer le Saint-Sépulcre alors que les églises (en tant que bâtiments) ne sont pas visées par le projet de loi. Mais les responsables veulent faire comprendre qu'activités des
Églises et lieux saints sont intrinsèquement liés. J'espère que ce sera rouvert la semaine prochaine... En fait, hier, le parlement a reporté la discussion du projet de loi à la semaine prochaine... Prions.
À bientôt,
Étienne+

PS : interview du custode sur le Figaro

jeudi 22 février 2018

Ma vigne à moi est devant moi (Ct 8,12)

כָּרְמִ֥י שֶׁלִּ֖י לְפָנָ֑י
karmî šellî lepānāy

Chers amis,
L’autre dimanche, après avoir posté mon message, je suis allé faire quelques emplettes. Je suis retourné au magasin de sport et de randonnée de la rue Hillel pour faire l’acquisition de la carte topographique des monts de Jérusalem. En l’étudiant attentivement, j’ai vu qu’il y avait quelques belles balades à faire. Juste à côté, j’ai visité le musée d’Art juif italien, situé dans un joli bâtiment, construit pour faire un hospice allemand destiné aux pèlerins catholiques, construit en 1886. Le lieu abrite une authentique synagogue du xviiie siècle qui a été intégralement déplacée de la ville italienne de Conegliano Veneto en 1952. La salle est assez petite mais très joliment décorée. Du fait de l’agencement des lieux, on a dû déplacer l’estrade où l’on lit la Torah. Sur trois côtés, une galerie à claustra permettait aux femmes d’assister à l’office à part des hommes. Il y a des éléments communs à la synagogue de Carpentras.
Pendant la visite, j’ai eu à la fois de la chance et de la malchance… et pour la même raison. La malchance tenait à la présence d’une horde de gamines d’une école qui visitaient. Le mot horde est à peine exagéré : ça piaillait, ça criait ! Ce qui m’a surpris c’est l’absence de réaction de la part des adultes qui encadraient. La chance est venue de leur présence : dans la synagogue, les gamines étaient à peu près sages et attentives et l’animateur a ouvert le tabernacle (mishkan) – ou arche sainte – dans lequel sont conservés les rouleaux de la Torah. Il y en avait huit, tous enveloppés dans de beaux tissus brodés, ornés de couronnes (keter), de plaques et de grenades (rimonîm) en argent. Pour les juifs, ces rouleaux donnent la parole de Dieu et on les vénère comme nous le Saint Sacrement ! C’est pour cela qu’on les orne pour qu’ils soient beaux.
En plus d’être un musée, la salle est toujours utilisée par la communauté juive d’origine italienne de Jérusalem (ils n’ont pas intérêt à être trop nombreux, sinon ils ne rentrent plus !). Ils célèbrent la liturgie juive avec les particularités des juifs romains.
Ensuite, cinq salles sont consacrées à la présentation de divers objets de la vie juive italienne : chapeaux, vêtements, mobilier de synagogue. Il y a même deux nécessaires à circoncision… Tout cela est en argent. L’un des modèles est une petite lame circulaire, qui ressemble à l’outil avec lequel on coupe une pizza en huit. L’autre a une forme suggestive… Pour voir une pince, suivez ce lien.
Pendant la visite, la horde sauvage investissait les salles en faisant une sorte de jeu de piste. C’était insupportable ! J’ai fait la visite avec les mains sur les oreilles, seul moyen de pouvoir lire les cartels sans devenir fou.
Puis je suis rentré à la maison. Le repas a été anticipé et l’apéro a été laissé de côté : nous devions aller à l’hôpital Saint-Joseph pour donner le sacrement des malades au Fr. Henri, sa nièce accompagnée de son mari devaient arriver de Nazareth.
Nous avons donc vite mangé. L’hôpital est bien aménagé, propre et bien tenu. Nous avons attendu un peu le curé, un franciscain jordanien. En attendant, j’ai piqué un roupillon. Puis nous avons pu pénétrer dans l’Unité de Soins intensifs. Fr. Henri était au lit avec des tuyaux partout, une machine pour le faire respirer, des capteurs ici et là, inanimé.
Le curé a célébré le sacrement des malades en arabe. Ce jeudi, les nouvelles sont rassurantes. Fr. Henri peut parler et s’alimenter.
Puis nous sommes rentrés au Collège. Peu après, j’ai profité d’un trajet de Fr. Rafael à Bethléem pour y aller. Il m’a laissé devant la basilique de la Nativité. J’en ai profité pour aller faire mes dévotions. Les travaux à l’intérieur ont bien avancé et on arrive à voir les mosaïques de la nef qui sont splendides. Et j’en ai remarquées deux dans le transept que je n’avais jamais vues : les Rameaux et l’incrédulité de Thomas. Il y avait du monde qui attendait pour aller à la grotte, mais j’avais du temps alors je l’ai pris. Il m’a fallu près d’une heure pour rentrer dans la grotte mais je me suis mis au fond et j’ai prié. Le lieu est certes touchant mais les gardiens font avancer les gens, les gens prennent la photo avec leur téléphone et vénèrent la crèche, avec souvent une posture un brin ridicule.
Puis je suis allé vers Beit Jala. Pour cela, il faut remonter la rue qui mène à l’Université et continuer. J’étais invité chez Denis et Dorothée pour dîner avec les volontaires français de Bethléem. Ils étaient finalement peu nombreux ; parmi eux ma cousine issue d’issus de germain, Maylis.
Lundi, mardi, travail à la bibliothèque… Quelques gens de passages chez les Frères. Mercredi, une conférence avait lieu à l’ÉBAF. C’était la première des Lagrange Lectures (il faut prononcer à l’américaine, ça fait plus hype !) de cette année. Le thème était On Love and Beauty: The Complex Relations between the Song of Songs and Biblical Narrative. (Amour et beauté : les subtiles relations entre le Cantique des Cantiques et les récits bibliques) le professeur Yair Zakovitch, de l’Université hébraïque de Jérusalem a parlé. Il est arrivé en retard car son taxi s’est perdu… Honnêtement, c’est comme si un taxi parisien n’arrivait pas à trouver Notre-Dame… Je pense surtout que le taxi a fait des manières pour ne pas avoir à entrer à Jérusalem Est, repaire, comme chacun sait, de méchants Palestiniens assoiffés de sang, prêts à égorger un Israélien. Enfin, c’était intéressant. En fait, le professeur a souligné le fait que dans le Cantique on chante la beauté et l’amour mais que partout ailleurs dans la Bible, lorsqu’on dit que quelqu’un est beau, ou que deux personnes tombent amoureuses, on se dit que quelque chose va mal tourner.
Après la conférence, j’ai rapidement salué le P. Peter Du Brul, de l’université de Bethléem, puis j’ai filé pour aller célébrer la messe. Devant le Collège, je retrouve Grégoire, un séminariste du Studium qui est volontaire ici pour deux ans. Il vient pour la messe puis nous allons dîner en ville. Une bonne soupe chez haMaraqia puis une glace sur la rue de Jaffa. Nous discutons un bon moment de son service, auprès d’enfants, de l’apprentissage de l’hébreu, de la paroisse hébréophone… En rentrant à la maison, nous croisons un groupe de pèlerins de son diocèse.
Jeudi calme, avec étude. J’ai un peu repris mon plan et travaillé le chapitre 20 de l’Apocalypse. J’ai compris quelques petites choses. Le soir, messe de la chaire de saint Pierre.
À bientôt,
Étienne+

dimanche 18 février 2018

On processionnait au son de la trompe (Jo 6,13)


הלוך ותקוע בשופרות
hālôḵ weṯāqôa‘ baššôpārôṯ

Chers amis,
Depuis mercredi, pas mal de choses… Jeudi, je me suis réveillé avec les jambes bien courbaturées mais cela ne m’a pas empêché de prendre part à la halte spi, organisée par Dorothée en ce début de Carême : une journée de réco mensuelle dans un couvent ou une communauté des environs de Jérusalem. La halte spi du Carême est traditionnellement vécue dans le désert. Il y a deux ans, j’avais déjà rendu ce service. Rendez-vous était pris à la station-service derrière le Consulat : mic-mac de places dans les voitures, transfert de table pliante, en voiture ! Nous retrouvons les Telaviviens (c’est le gentilé de Tel Aviv, je sais c’est
Moi qui topote
moche mais c’est l’Arrêté français du 4 novembre 1993 relatif à la terminologie des noms d'États et de capitales signé par Alain Juppé qui l’impose, je préfère – et de loin – le gentilé de Jérusalem : Hiérosolymitain, ça se pose là !) et nous commençons notre journée au panorama du désert de Judée qui domine Ain Qelt. J’ai fait un topo sur saint Jean-Baptiste qui nous conduit au désert, au début du Carême.
De là, nous sommes repartis vers le point de vue sur le monastère Saint-Georges (vu la veille). J’ai retrouvé mes copains les bédouins qui s’obstinent à te proposer verroteries (made in PRC), keffiehs, jus de fruits… Non merci, ḥalas !
Puis nous sommes descendus par la route qui suit le wadi Qelt vers Jéricho, juste un regard sur la forteresse hasmonéo-hérodienne de Kypros et sur les palais d’hiver d’Hérode et nous remontons vers Nebi Musa, ce joli caravansérail où les musulmans vénèrent la tombe de Moïse. Nous nous éloignons un peu pour aller célébrer la messe non loin du lieu où les moines d’Abu Gosh vont célébrer les Vêpres du deuxième dimanche de l’Avent. Je célèbre la messe et le vent souffle fort.
Retour vers le caravansérail que nous visitons, toute une série de travaux a été entreprise pour « upgrader l’attractivité du site ». Je crains la Disneylandisation du lieu…
Puis nous nous dirigeons vers Qasr el-Yahud (le château des juifs, en arabe), site baptismal sur la rive ouest du Jourdain. Là, nous pique-niquons à l’abri mais en fait le soleil n’est pas vraiment de la partie… Pour vous dire, j’ai même mon pull !
Petit temps de prière au bord du Jourdain, tout simple : quelques chants, un évangile. J’en profite pour remplir une bouteille, pour les prochains baptêmes paroissiaux…
Il est temps de remonter à Jérusalem. En effet, je vais assister à la conférence du Frère Stéphane à l’ÉBAF : “La Vénération des Lieux saints : un exemple concret, le Saint-Sépulcre”. C’était passionnant : il nous a aidé à considérer le Saint-Sépulcre (et plus largement les sanctuaires de Terre Sainte) non pas comme un lieu historique, archéologique, biblique, théologique mais comme un lieu liturgique : un lieu où l’on prie, parce que c’est pour cela qu’il a été construit et c’est à quoi il sert chaque jour. En gros, l’idée est qu’au Saint-Sépulcre, on a principalement deux lieux : un lieu de célébration et un lieu de vénération. Mais chaque micro-sanctuaire dans l’édifice est lui aussi dédoublé : un lieu pour célébrer la liturgie et un lieu pour vénérer la mémoire des événements du salut. Par exemple, dans la chapelle du Saint-Sacrement des Latins, il y a l’autel pour célébrer la messe et devant, sur le sol, un disque de marbre signale l’endroit – traditionnel – de l’apparition de Jésus à sa mère. Le Fr. Stéphane a aussi expliqué la présence d’étranges sanctuaires dans le Saint-Sépulcre : la prison du Christ, notamment. Depuis 1306, date à laquelle les Franciscains sont autorisés à s’installer au Saint-Sépulcre par le sultan Baybars II, et jusqu’au milieu du xixe siècle, l’église du Saint-Sépulcre était habituellement fermée et ne s’ouvrait que lorsqu’un pèlerin fortuné payait tribut à la famille Nuseibeh pour ouvrir. Donc, les Franciscains qui célébraient la liturgie au Saint-Sépulcre étaient littéralement reclus dans la Basilique et se souvenaient d’événements de la Passion à l’intérieur de la Basilique, un peu comme les chemins de croix de nos églises.

 
Déjà, le 30 mai 1431 (jour connu par ailleurs…), un pèlerin Mariano de Sienne raconte comment était vécue la visite d’un évêque qui avait payé pour entrer. En fin d’après-midi, une entrée solennelle où le pèlerin est accompagné par tous ceux qui profitent de l’occasion pour aller prier. Les pèlerins sont accueillis par la communauté des Frères et ils font le tour de la Basilique, non pas pour une visite archéo-historique mais pour une prière, cette visite prend donc la forme d’une procession avec chandelles, chants, prières, vénération des différents lieux saints. La procession passe aussi dans les lieux saints détenus par les autres communautés chrétiennes (Grecs, Arméniens, Coptes…) pour les vénérer (pas pour y célébrer la liturgie !).
Dans la nuit, l’office de matines (avec beaucoup de psaumes, de lectures, de cantiques et en plus, on faisait durer le plaisir pour “occuper temporellement” les lieux. Par exemple, chaque psaume était suivi d’une oraison psalmique (un peu comme à la vigile pascale). Les prêtres célébraient ensuite leurs diverses messes basses aux différents autels latins et la nuit se prolongeait avec les confessions et la prière. Au matin, la messe solennelle était présidée par l’évêque et on sortait enfin de la Basilique (en graissant la patte de M. Nuseibeh).
Ce modèle survit dans les Vigiles solennelles célébrées au Saint-Sépulcre à divers moments de l’année, notamment les dimanches de Carême, ainsi que dans la procession quotidienne. En fait, Fr. Stéphane faisait en quelque sorte de la retape pour le Carême de cette année ! Et de fait, alors que je n’étais pas un fan absolu de ces célébrations un peu formelles au Saint-Sépulcre, j’ai un peu mieux compris le sens profond de la démarche et me suis trouvé mieux disposé à la vivre !
Après la conférence, je suis parti à toute vitesse pour la messe au Collège.
Vendredi matin et début d’après-midi, travail à la Bibliothèque. À 15 h, je suis allé à l’Ecce Homo. Le Vendredi après les Cendres, c’est fête là-bas : commémore le couronnement d’épines de Jésus à cet endroit. En fait, c’est aussi l’anniversaire liturgique de l’érection de l’église de l’Ecce Homo en basilique par Léon XIII en 1902. Avant la messe, j’ai répété quelques chants avec la communauté du Chemin Neuf, notamment un très beau Per Crucem composé par un polonais.

La messe était présidée par Mgr Pizzaballa, administrateur apostolique du Patriarcat latin de Jérusalem. Je n’ai littéralement rien entendu de ce qui a été dit au micro, par personne (lecteurs, prédicateur…) Pourtant je célèbre souvent à cet endroit, sans micro et on arrive très bien à se faire entendre. Quelques séminaristes de Beit Jala assuraient le service liturgique. Ils me paraissaient bien jeunes, plus encore que notre Baptiste de Saint-Didier.
Après la messe, une sobre collation fut servie sur la terrasse : il fallait bien se réjouir ensemble et partager mais aussi rester dans une sobriété quadragésimale. En remontant au Collège, je passe dans une galerie qui expose des photomontages : une photo ancienne de Jérusalem, sur laquelle est appliquée en transparence la même photo aujourd’hui. C’est amusant. Vous voyez le résultat que cela produit avec la porte Neuve près de laquelle j’habite.




Samedi, mauvaises nouvelles du Fr Henri qui est revenu de Nazareth mercredi. Il est tombé pendant la nuit et était très faible. Dans la matinée, Rafael et Daoud l’ont emmené à l’hôpital où ils lui ont trouvé la tension dans les chaussettes, de l’eau dans les poumons et les reins en grève… Ils ont même conseillé d’appeler la famille. On peut le porter dans la prière.
Pour ma part, j’étais à la bibliothèque. L’après-midi, travaux pratiques à la suite de la conférence du jeudi : entrée solennelle au Saint-Sépulcre de l’administrateur et procession autour du Saint-Sépulcre. La procession n’est pas menée par l’évêque mais par les Franciscains, l’évêque assiste à la procession parce qu’il vit lui aussi le Carême et se prépare à Pâques. N’étant pas revêtu du sésame liturgique, j’ai suivi la procession avec les fidèles mais en fait, si on se débrouille bien, on peut être tout contre le point névralgique de la procession. La procession commence à 14 heures et se termine peu avant 16 h, on a bien le temps de prier, de faire ses dévotions. On tourne trois fois autour de l’édicule. À chaque station, il y a une prière en latin dans laquelle apparaît souvent l’adverbe hic (ici) pour se souvenir de cette liturgie localisée.
En fin d’après-midi, il y avait le bingo au Collège. Ça tombait bien, au même moment à Saint-Didier, il y avait le loto de la paroisse. J’étais même en communion avec vous.
Après le repas, j’ai dormi un peu puis je suis allé aux Vigiles du premier dimanche de Carême (à 23 h 40). La conférence du jeudi avait porté ses fruits : une foule nombreuse s’était réunie dans la chapelle du Saint-Sacrement. J’ai réussi à trouver un bout de banc pour poser une demi-fesse. J’ai remarqué le nouveau tabernacle de cette chapelle. Certainement moins dangereux que le précédent : une énorme sphère en bronze massif dont la porte était une calotte qui pesait comme un âne mort et s’ouvrait comme la porte d’un four. Si on fermait mal la serrure, on courait le risque de se recevoir la boule sur le crâne au moment de la génuflexion. L’office de vigiles consiste en un développement de l’office des lectures : invitatoire, hymne, trois psaumes, lecture biblique, lecture patristique, trois cantiques de l’Ancien Testament, puis nous partons en procession pour chanter le Benedictus. Mal assis sur ma demi-fesse, j’étais pourtant bien placé pour suivre la procession au plus près. Nous chantons le Benedictus en allongeant la sauce : l’orgue fait de nombreux interludes improvisés et on reprend l’antienne après chaque verset. L’antienne est celle du Benedictus de Pâques : « Angelus Dómini descéndit de coelo, et accendens revolvit lapidem, et sedebat super eum. Alleluia, alleluia ». Vous avez bien lu, un alléluia en Carême ! Que se passe-t-il ? On nous change la religion ! Non, tout simplement, on fait mémoire de la Résurrection dans cette nuit du samedi au dimanche sur le lieu où cela s’est passé. En fait, partout ailleurs, la liturgie suit le temps : Avent, Carême, Pâques, diverses fêtes… Dans les oraisons, on trouve normalement l’adverbe de temps hodie (aujourd’hui). Mais en Terre Sainte, la liturgie suit aussi le lieu : dans la chapelle on a célébré les vigiles du premier dimanche de Carême mais à quelques mètres de là, c’est Pâques toute l’année et on chante Alleluia ! C’est le hic des oraisons. Pendant la procession, le président (habituellement le Custode, mais ce soir c’était le P. Dobromir, vicaire custodial) porte l’évangéliaire qui est encensé par les diacres. La procession fait une fois le tour de l’édicule et l’évangéliaire entre dans la tombe pour en sortir.
Les vigiles se sont achevées vers 1 h du matin et prolongées par la messe basse présidée par le P. Dobromir à l’autel du Calvaire. La messe n’a pas été longue, c’est le moins qu’on puisse dire. À 1 h 25, j’étais sorti du Saint-Sépulcre.
Dehors, c’était le déluge ! Après la bonne pluie de mardi, nous avons eu un orage dans la nuit de vendredi à samedi et depuis il pleut abondamment. Mais cette nuit, c’était particulièrement fort. Dans la rue du Quartier chrétien, des cataractes tombaient des ouvertures dans la voûte. En remontant au Collège par la rue des Grecs, j’ai dû remonter le torrent qui s’écoulait. Je suis vite allé me coucher. La nuit a été un peu compliqué avec une sirène qui n’a pas cessé dans la rue de Jaffa. Un truc à rendre fou un moine bouddhiste. Ce matin, cela avait cessé.
À bientôt,
Étienne+