mardi 28 août 2018

Et le roi de Moab se souleva (2R 3,5)


מואב מלך ויפשע
wayyipša' meleḵ-mô’āḇ


Chers amis,
Non, je ne suis pas en Terre Sainte, mais je viens de vivre une jolie visite qui me semble appartenir à ce que je suis amené à vivre en Terre Sainte.
En effet, après un été particulièrement chargé, me voici à Paris pour quelques jours à l’occasion du Congrès de l’ACFEB (Association Catholique Française pour l’Étude de la Bible) dont je suis membre. Ce congrès 2018 se tient à l’Institut Catholique de Paris du mardi 28 au jeudi 30 août. J’ai décidé de profiter du lundi pour visiter ce qui peut m’intéresser bibliquement à Paris… En effet, notre capitale n’est pas sans intérêt de ce point de vue. Notre musée du Louvre possède quelques richesses, mais lorsqu’on y va lors d’un voyage touristique à Paris, on va plutôt voir les stars du Louvre : la Joconde, la Vénus de Milo et la Victoire de Samothrace (plus le Radeau de la Méduse, le Couronnement de Napoléon et les Noces de Cana de Véronèse, ou la Liberté guidant le Peuple…). Il y a quelques stars bibliques au Louvre.
Pour cette visite, j’étais accompagné de ma sœur Blandine qui a ouvert son canapé à son grand-frère et profitait d’une ultime journée de vacances. Nous sommes arrivés sans encombre quelques minutes avant l’ouverture, une petite demi-heure de queue, un contrôle de sécurité, achat des billets et nous voilà lancés. Ce qui m’a impressionné, c’est le nombre de touristes asiatiques, très majoritairement chinois. Le chinois est même la troisième langue du Louvre (après le français et l’anglais) et à l’accueil une femme chinoise est disponible pour accueillir et orienter les visiteurs.
Avant la visite des galeries d’archéologie du Proche Orient ancien, nous avons vu les vestiges du Louvre médiéval, tel que Philippe Auguste l’a construit en 1200. Cet été avec les adolescents du Jeune Amandier, j’ai visité le château deGuédelon, un château construit avec les techniques du xiiie siècle, sur un plan que les historiens de l’architecture appellent « château philippien » (rien à voir avec la lettre de saint Paul, mais tout avec Philippe Auguste). Je me suis rendu compte que le Louvre médiéval, pour avoir été construit par ce même Philippe Auguste, n’est pas un « château philippien ». En effet, il est conçu comme une enceinte rectangulaire (en carré long, selon l’expression médiévale) au centre de laquelle se dresse le donjon, grosse tour isolée. Or, dans les châteaux du xiiie siècle français, la grosse tour est intégrée à un des angles de l’enceinte !
Ensuite, direction les salles jaunes (salles 300 et plus). Je retrouve les périodes familières : âge du Bronze, du Fer, etc. Les vestiges présentés proviennent surtout de fouilles réalisées par des Français au Levant à l’époque de la présence française dans cette région (entre deux guerres). Vestiges de Tyr et Sidon, Byblos, Ugarit et autres lieux.
On trouve quelques tablettes d’Amarna, notamment une du roi de Meggido. Dans la salle 303, se trouve une des pièces que je désirais voir de mes yeux : la stèle de Mesha.


Une stèle de basalte d’un bon mètre de haut, découverte en 1868 dans ce qui est aujourd’hui la Jordanie. Elle raconte le soulèvement et la victoire du roi de Moab, Mesha, sur le roi d’Israël Omri. Ce qui est intéressant, c’est que l’histoire dont parle la stèle était déjà connue… dans le deuxième livre des Rois, au chapitre 3 ! Avec la Bible et la stèle de Mésha, on a la même histoire racontée du point de vue de chacun des deux combattants. Dans la Bible Israël et Juda entrent en Moab pour mater la révolte de Mésha, ils remportent quelques victoires puis se retirent sans prendre la ville de Mésha. On sent que le récit biblique atténue la déconfiture finale de l’expédition.

Évidemment, comme on est en Orient et que le roi ne peut jamais perdre une bataille, les deux rois prétendent avoir remporté la victoire sur l’ennemi. Allez donc savoir qui a gagné !
Lorsque la stèle a été trouvée, les ouvriers bédouins, qui travaillaient sous les ordres de Charles Clermont-Ganneau, l’ont brisée pensant y trouver de l’or (ils croyaient que les archéologues étaient motivées par l’appât du gain et non par l’amour de la science !). Quelle déception de n’y rien trouver… Mais surtout en brisant la stèle, ils en ont perdu d’importants fragments. Heureusement, M. Clermont-Ganneau avait réalisé un estampage de l’inscription (une sorte de moulage en papier pour déchiffrer une inscription). Cet estampage a permis de reconstituer les parties manquantes de la stèle. Ouf !
Une interrogation demeure : où se trouve l’autre pièce que je voulais voir annoncée dans la même salle 303 sur le site du Louvre ? En fait, elle a été installée dans une autre salle, dans une autre aile du musée, dans un autre ensemble des collections, sans doute plus conforme à la période qu’elle représente… Mais la fiche de l’objet sur le site du Louvre n’a pas été mise à jour depuis 2012… Nous avons donc continué par les antiquités iraniennes : splendides archers perses de Darius, ou chapiteau de l'Apadana du palais de Darius à Suse. Le chapiteau mesure à lui seul 5,5 m ! Imaginez la colonne ! En demandant notre route à un agent du musée, nous avons traversé à toute vitesse les galeries dédiées à la chronologie de l’Égypte ancienne. Cela mérite une visite particulière. Nous nous sommes surtout arrêtés pour regarder les boiseries anciennes. Une galerie présentait une affluence asiatique toute particulière, nous avons fait les curieux : il s’agissait des joyaux de la couronne de France, notamment le Régent et le Sancy. Honnêtement, de loin et à travers la vitre, cela pourrait être du zirconium que je n’y verrais pas la différence.
Un coup d’œil à la Victoire de Samothrace, récemment restaurée, quelques sculptures anciennes, descente d’un petit escalier et nous voilà dans la galerie « L’Orient méditerranéen dans l’Empire romain ». Là se trouvent les vestiges du Tombeau des Rois découverts lors des fouilles réalisées au xixe siècle par des Français. À l’époque, l’archéologue était persuadé d’avoir mis à jour les tombeaux de David et Salomon (rien que ça !) mais très vite on a convenu que le monument était plus récent, ier siècle de notre ère. Ce site est une des quatre possessions françaises à Jérusalem (avec Sainte-Anne, le Carmel du Pater et Abu Gosh). J’ai eu la chance de le visiter en 2007 lors de mon premier séjour à Jérusalem, en ayant oublié mon appareil photo à cette occasion (du coup, je n’en ai pas de photos). Depuis le site a été refouillé, mais n’est plus accessible, même pour les privilégiés.
Ce tombeau semble donc être celui de la reine Hélène d’Adiabène, un petit royaume au nord de l’actuel Irak, convertie au judaïsme et inhumée à Jérusalem au ier siècle de notre ère. C’est évidemment Flavius Josèphe qui nous parle de cette reine et de sa tombe. Le P. Humbert, qui a réalisé la dernière campagne de fouilles, a quelques hypothèses un peu hétérodoxes sur la question…
Au Louvre, on peut donc admirer le sarcophage de la reine, retrouvé intact dans une des salles du tombeau. Une inscription grossière en araméen et hébreu (Tzada Malchata (צדה מלכתה, reine Saddah) affirme qu’il renferme la dépouille de la reine Saddan. En plus du sarcophage, il y a quelques menus objets découverts sur places, ainsi que des moulages de la frise du tombeau des rois. On voit aussi une jarre de Qumrân et un fac-similé du fameux et mystérieux rouleau de cuivre de Qumrân.
Nous avons ensuite continué par un rapide coup d’œil aux mosaïques d’une basilique byzantine découverte par Ernest Renan dans l’actuel Liban, au département des arts islamiques et à quelques statues antiques. Au détour d’un escalier, je me trouve nez à nez avec mon vieil ami Hadrien… Souvenez-vous de l’exposition Hadrian, an emperor cast in bronze que j’avais visitée au Musée d’Israël, il y a deux ans.
Elle rassemblait les trois bustes en bronze connus de l’empereur Hadrien : celui de Londres, celui de Paris et celui de Jérusalem. Eh bien, les trois bustes sont en ce moment présentés au Louvre. Cela m’a touché de les revoir. Mais si l’expo de Jérusalem bien que modeste était fascinante, celle du Louvre a relégué les trois bustes derrière un paravent, dans un recoin sombre, sans grande visibilité et sans les objets qui entouraient les bustes à Jérusalem (témoins de la deuxième révolte juive).
Pour finir, nous avons fait les touristes : nous avons jeté un coup d’œil à la Joconde et nous sommes arrêtés un peu plus longtemps devant les Noces de Cana de Véronèse.
Après un petit tour à la boutique et un déjeuner sur le pouce, nous avons parcouru les rues et places du 1er arrondissement grâce à un petitlivre d’énigmes et de jeu de piste sur les arrondissements parisiens. Nous avons donc vu la Cour des comptes, et le Conseil d’État, l’église Saint-Eustache et la paroisse polonaise, la Comédie française et le Théâtre du Palais-Royal, la maison où Diderot est mort faisant face à celle où Molière est passé à trépas, la Place Vendôme et le Pont Neuf, le lieu où Henri IV a été assassiné, celui où Jeanne d’Arc a été blessée, le square du Vert-Galant et le Louvre. Trois heures de marche et de découvertes : nous avons appris et vu des tas de choses, devisant et parlant de choses et d’autres.
De retour dans le xve, petite tisane reconstituante. Puis je suis allé faire oraison à Saint-Lambert de Vaugirard, la paroisse voisine. Enfin, j’ai pu voir l’église où Jeanne Moreau se marie dans La mariée était en noir de Truffaut. Le film montre à plusieurs reprises et sous tous les angles la sortie du cortège nuptial et la mort du jeune marié, accompagné de la musique de Bernard Hermann (compositeur attitré de Hitchcock) qui reprend le thème de la Marche nuptiale de Mendelssohn. J’ai concélébré la messe. Pour les amateurs de littérature, c'était aussi la paroisse de Léon Bloy : il y assistait à la messe et s'y est marié. À la sortie, je retrouve Clémence, ma petite sœur et son petit Alexandre (3 mois et demi) et nous allons manger chez Blandine. Soirée sympa à refaire le monde…
Ce mardi, place aux réflexions des biblistes sur « Exodes et migrations dans les traditions bibliques ».
À bientôt,
Étienne+