mardi 29 décembre 2015

Annuntio vobis gaudium magnum (Lc 2,10)



Je vous annonce une grande joie

Chers amis,
Les célébrations de Noël se poursuivent… L’autre jour, je vous laissais avec la triste nouvelle d’un nouveau mort, dans des circonstances qui ne correspondent pas aux déclarations du porte-parole de la police. Il faut dire que la politique du « Shoot to kill », « tirer pour tuer », plus ou moins officielle, ne possède pas d’étape “dialogue et débat contradictoire”. Ça me rappelle l’attaque au couteau ayant eu lieu dans le métro de Londres au début du mois. Les vidéos que j’ai vues à la TV montraient le bobby qui en était presque à dire au forcené : « Voudriez-vous vous donner la peine de mettre les mains dans le dos afin que j’aie tout le loisir de vous passer les menottes ? ».
Je suis donc allé ce jour-là à l’École Biblique pour la célébration solennelle de la Saint-Étienne. Le drapeau français flottait sur le clocher. Il faut dire que cette messe est l’une des messes consulaires qui scandent l’année du Consul général de France à Jérusalem. Il était présent au premier rang. Les Dominicains avaient monté une petite chorale avec les étudiants présents pour l’occasion (beaucoup sont partis pour les fêtes). Belle messe suivie d’un apéritif dans la grande salle de l’École. Beaucoup de gens à saluer, à embrasser ; évidemment, beaucoup me souhaitent « bonne fête ! ». Quelqu’un m’accoste et me demande : « Vous êtes le P. Étienne, de Saint-Didier ? » À ma réponse positive, il me dit : « Je suis tombé sur votre blog… » et la conversation a commencé. Début de la célébrité ?
Je souhaite aussi bonne fête au gardien (=prieur) des franciscains de Saint-Sauveur qui s’appelle Stéphane.
Ensuite, repas pris à l’École avec les professeurs et les étudiants. Le Consul était à la table d’honneur avec le prieur des Dominicains, quelques supérieurs religieux, le vicaire patriarcal grec-catholique de Jérusalem, le provost luthérien de l’église du Rédempteur…
Très bon repas (salade de saumon, pièce de bœuf, camembert et tarte au citron meringuée, vins de Latroun), café et alcools. L’après-midi, j’étais cané…
Dimanche matin, messe précoce à 6h30 à l’autel latin du Calvaire avec le groupe du Père Matthieu. Puis on trouve un café ouvert pour boire chaud, on complète avec quelques gâteaux et brioches apportés par les jeunes. Nous avons ensuite fait le chemin de Croix mais pas sur le parcours traditionnel mais à partir de la Citadelle (Porte de Jaffa). En passant par les petites rues, on a eu un moment vraiment calme et recueilli alors que sur la Via Dolorosa, on a toujours un marchand qui vous dit : « Good price for you, father ! » (Oui, je te remercie, je suis en train de prier)
Ensuite, j’ai fait visiter la basilique au groupe : histoire du lieu, des édifices. En sortant, au moment de dire au revoir au groupe, je me fais “alpaguer” par une famille française à qui j’ai donc finalement fait visiter le monument (heureusement que j’avais révisé la veille !) du coup, ils m’ont invité à déjeuner. Au cours de la visite, j’ai croisé les anglais qui terminaient ce jour-là leur pèlerinage. Nous avons déjeuné au petit restaurant du Muristan, sur la terrasse avec une jolie vue sur le quartier du Saint-Sépulcre.
Puis retour au Collège, sieste, courrier en fin d’après-midi. À ce sujet, je vais acheter un lot de cartes postales. J’en prends quatorze que je tends au marchand qui me demande 50 ₪ ; je tique et lui demande « How much is one card ? » « Three ₪ ». Je lui ai dit que 3 fois 14, ça faisait 42… Et qu’en conséquence, il pouvait me les faire à 35 et que même avec ça, il y gagnait encore beaucoup…
Hier matin, après la messe des Saints Innocents, j’ai passé la matinée à la Bibliothèque. J’ai travaillé Ap 19… L’après-midi, un peu de flemme… Je suis allé me balader jusqu’au Mont Herzl en suivant la voie du tramway.
Ce soir-là, je suis allé dîner à Ramallah, chez Agnès et Nicolas, qui tiennent l’hôtel Mövenpick de Ramallah, le seul ***** de Cisjordanie (oui, vous avez bien compté, 5*). Christophe et Anne-Cécile m’ont emmené : le trajet tournicote pas mal pour sortir de Jérusalem, prendre le bon check-point et arriver à Ramallah. Une fois que le check-point est franchi, on s’aperçoit tout de suite que ce ne sont pas les mêmes personnes qui s’occupent de l’entretien du réseau routier : nids de poule, dos-d’âne artisanaux…
Nous étions finalement une vingtaine autour de la table dans une des salles à manger de l’hôtel, en gros les familles qui étaient l’autre soir à Bethléem (sans les enfants, toutefois). Repas très sympathique et excellent, grâce au chef Carlo Frusciante. Je vous recommande la bisque de homard et le foie gras d’oie aux pistaches… Avez-vous déjà mangé des fraises à Noël ? A Ramallah, c'est possible. J’étais à côté de la maîtresse de maison qui, merci le service, a pu rester avec ses invités. À ma droite, sa mère qui a épousé le cousin de ma tante Sylvie. Ces gens ont aussi connu ma grande-tante Marie-Thérèse, puisqu’ils habitaient dans la même rue à Grenoble. D’autres convives connaissaient mon amie de Fribourg et Rome, Marine. Bref, excellente soirée et je suis rentré à 1h30 bien sonnée…
Réveil pas facile, facile ce matin. Mais on y arrive… Avec Pierre, nous avons bien pensé à l’anniversaire de la fondation de la branche sacerdotale de NDV, il y 51 ans aujourd’hui. Nous avons prévu un repas au resto ce soir, pour célébrer. Aujourd’hui et demain, travail en bibliothèque, ensuite, la bibliothèque ferme pour les fêtes ainsi que pour l’Épiphanie qui est célébrée le 6 janvier dans le pays. Ensuite, on prendra un peu le temps de jeûner...
À bientôt,
Étienne+

samedi 26 décembre 2015

Aujourd’hui vous est né un Sauveur (Lc 2,11)

ἐτέχθη ὑμῖν σήμερον Σώτηρ

etechthè humin sèmeron Sôtèr

Chers amis,
Joyeux et saint Noël ! J’ai eu la grâce de le vivre à Bethléem, in situ.
Ces derniers jours ont été bien occupés… Mercredi matin, j’ai fait une petite grasse matinée (7h00 !). Après la messe de midi, célébrée avec Pierre C., nous sommes partis avec les Frères pour le repas de Noël des professeurs et personnel du Collège. Nous étions dans un grand resto derrière la cathédrale anglicane de Jérusalem (celle dont le clocher ressemble à ceux de la cathédrale de Montpellier). L’ambiance était très sympa ; le directeur académique, le fr Rafael et le fr Daoud ont dit un petit mot chacun très court, pour remercier et encourager.
Sinon, à peine rentré à la maison, j’ai retrouvé le groupe anglais conduit par Monique et Odile (de NDV). Quand je dis anglais, c’est qu’ils viennent d’Angleterre mais en fait, il y a deux Philippins, trois Brésiliens, quelques Français, un Italien, un carme anglais… Diversités des âges aussi, bref un groupe que je peux décrire autrement que par l’adjectif hétéroclite mais avec ce petit grain de folie anglais qui fait l’unité. J’ai visité avec eux la Dormition et le Cénacle, puis nous sommes rentrés chez eux, au foyer maronite qui se trouve près de la Porte de Jaffa. Le quartier était en ébullition, car une attaque avait eu lieu en tout début d’après-midi, provoquant la mort de deux personnes (l’une d’entre elles touchée par une balle perdue des policiers qui sont intervenus…) Le guide leur a donc déconseillé de sortir, c’était dommage car nous voulions aller prendre un verre en Vieille Ville. J’ai profité de l’occasion pour admirer la vue que l’on a depuis la terrasse. On est presque à la jonction entre les quatre quartiers de la Vieille Ville et surtout, on aperçoit la piscine d’Ézéchias, qui date en fait de l’époque hérodienne. Le lieu n’a jamais été construit mais est inaccessible au public ; il faut pouvoir trouver un habitant qui accepte d’ouvrir sa porte…

En fin d’après-midi, le frère Daoud est venu rencontrer le groupe ; il a parlé du système éducatif palestinien, des défis éducatifs et des relations chrétiens/musulmans dans les écoles. C’était passionnant. Le repas a suivi puis il y a eu une petite célébration pénitentielle. Nous étions trois prêtres, le P. Pierre, le P. Matt (ocd anglais) et moi-même. Simple et authentique.
Jeudi matin, rendez-vous était fixé à Saint-Pierre-en-Gallicante pour retrouver le groupe de Jeunes pros cornaqué par le P. Matthieu Aine (NDV-Lille). Le petit-dèj a été vite expédié mais je n’ai rien demandé à Matthieu, car il avait d’autres soucis… Une de leurs voitures avait été volée la veille au Wadi Qelt… Une des filles n’avait plus de passeport, etc. J’ai guidé la vingtaine de jeunes depuis la maquette de la Jérusalem byzantine (pour expliquer l’histoire de la ville).
Ensuite, nous avons parcouru la cité de David, pour moi, pas de problèmes car nous l’avions visitée avec l’École dix jours plus tôt, c’était frais dans ma tête. Mais au lieu de prendre le tunnel cananéen (tunnel sec) nous avons suivi le tunnel d’Ézéchias : 533 mètres de long, 0,70 mètre de large et de l’eau à mi-mollet, le tout creusé en 701 avant Jésus-Christ, pour envoyer de l’eau dans un bassin et se mettre ainsi à l’abri de la soif en cas de siège. Quelle aventure !
Puis nous sommes remontés par le fameux égout de la semaine précédente, qui heureusement était sec cette fois-ci. Nous sommes allés jusqu’au bout pour atteindre le centre Davidson avec les vestiges qui entourent le mont du Temple au sud et à l’ouest. Ma visite de dimanche dernier n’avait pour autre but que de me rafraîchir la mémoire. Et puis, il était déjà 12h30 passée et grand temps de se séparer. Le groupe était sympa, intéressé mais je me suis dit que quelqu’un avait dû leur mettre du Valium® dans le café du matin… Pour ma part, j’ai remonté le fameux égout à toute vitesse mais, ils allaient à un train de sénateur…
Repas avec les Frères puis sieste, nécessaire pour affronter la longue soirée. À quatre heures, j’ai célébré la messe avec Pierre et à 17h00, rendez-vous devant le Consulat général. Christophe nous y a récupéré et nous avons filé vers Beit Sahour, village voisin de Bethléem et lieu du sanctuaire appelé “Champ des Bergers”. Nous étions très en avance et nous avons donc attendu un bon moment. Les familles sont arrivées bien comme il faut. Nous étions dans la grotte 2 (j’y avais déjà célébré la messe en 2007 avec la Route des Jeunes : j’avais gardé un souvenir d’une étuve bouillante et depuis, le Champ des Bergers ne me passionnait pas du tout). Mais là, l’ambiance nocturne, la fraîcheur de décembre, la grotte et les lumières, tout concourrait à nous plonger dans la grâce de la Nativité. Familles nombreuses avec des tout-petits, quelques grands parents, et un beau recueillement.
La messe a été très belle (au moins de mon point de vue) ; sauf que les gens avec qui j’étais avaient un gros défaut : ils ne prennent pas de photos pendant la messe ! Nous n’aurons d’autre image que celles que nos cœurs garderont. Pendant l’homélie, j’ai repris la belle poésie de Marie Noël (1883-1967), Berceuse de la Mère-Dieu, que je trouve tout à fait adaptée à la circonstance.


Mon Dieu qui dormez, faible entre mes bras,
Mon enfant tout chaud sur mon cœur qui bat,
J’adore en mes mains et berce, étonnée,
La merveille, ô Dieu, que m’avez donnée.


De fils, ô mon Dieu, je n’en avais pas.
Vierge que je suis, en cet humble état
Quelle joie en fleur de moi serait née ?
Mais vous, Tout-Puissant, me l’avez donnée.


Que rendrai-je à Vous, moi sur qui tomba
Votre grâce ? O Dieu, je souris tout bas,
Car j’avais aussi, petite et bornée,
J’avais une grâce et Vous l’ai donnée.


De bouche, ô mon Dieu, vous n’en aviez pas
Pour parler aux gens perdus d’ici-bas…
Ta bouche de lait vers mon sein tournée,
Ô mon Fils, c’est moi qui te l’ai donnée.


De main, ô mon Dieu, Vous n’en aviez pas
Pour guérir du doigt leurs pauvres corps las…
Ta main, bouton clos, rose encor gênée,
Ô mon Fils, c’est moi qui te l’ai donnée.


De chair, ô mon Dieu, Vous n’en aviez pas
Pour rompre avec eux le pain du repas…
Ta chair au printemps de moi façonnée,
O mon Fils, c’est moi qui te l’ai donnée.


De mort, ô mon Dieu, Vous n’en aviez pas
Pour sauver le monde… ô douleur, là-bas,
Ta mort d’homme, un soir, noire, abandonnée,
Mon petit, c’est moi qui te l’ai donnée.


Après la messe, vin chaud, thé et brioches ont été partagés dans la joie. Puis chaque famille est rentrée chez elle prendre le repas de Noël. J’étais chez Anne-Cécile et Christophe dont la maison était remplie de vie puisqu’ils accueillaient aussi, la sœur de Christophe et son mari et leurs trois enfants. En plus de cela, ils avaient fait signe à quatre membres du consulat qui étaient ici en “célibataires”. Ils avaient assisté à la messe, il fallait aller au bout de la fête. Le repas a été excellent : salade de saumon, mangue et crevette de Gaza (ne me demandez pas comment elles ont passé la frontière… Je l’ignore), Parmentier de canard (à tomber par terre). Le dessert avait été confié aux enfants, qui s’étaient surpassés : un igloo (ce sont des carrés de guimauve qui tiennent lieu de blocs de glace !) composé par les filles (avec un pingouin et un ours blanc pour la déco) ; et un “gâteau-très-bon” (c’est son nom !), œuvre des garçons, à base de chocolat. Sain, économique et nourrissant ! comme on dit par chez nous.
Retour pas trop tard à la maison et dodo. Ce matin, laudes avec Pierre et départ pour Bethléem en bus. Nous retrouvons les Anglais sur la place de la Mangeoire, excellent timing. Nous entrons dans la basilique et fonçons vers la grotte de la Nativité. Il y avait pas mal de monde et ça bousculait pas mal pour rentrer dedans et vénérer l’étoile d’argent. Les Indiens m’ont surpris par leur capacité à bousculer les gens et à pousser pour se faufiler devant toi…
À 10 heures, messe dans la grotte de saint Joseph. Ce fut très beau et simple. Petit tour au Champ des Bergers après une rapide visite de la basilique de la Nativité. L’ambiance diurne change tout. Repas au Restaurant la Tente, qui évoque en effet une tente de bédouin. Excellent repas de Noël. Les Lillois du P. Matthieu Aine étaient là aussi (nous les avions croisés à la Nativité). A la fin, notre guide nous a fait danser pour participer à la joie de Noël !
Nous sommes montés dans le bus pour nous rendre à la crèche, un orphelinat tenu par les sœurs de St-Vincent de Paul. Au détour d’une route, un peu plus loin, quelques gars masqués, avec fronde au milieu des panaches de lacrymogènes… Même pas de trêve à Noël…
La visite de l’orphelinat a été un beau moment, qui a apporté une note de gravité à cette fête : les sœurs accueillent une quarantaine d’enfants abandonnés, ou placés par les services sociaux. Il y a beaucoup de filles-mères en Palestine, souvent à la suite de viols à l’intérieur des familles et si la grossesse vient à être connue, elles risquent la mort « pour laver l’honneur de la famille »… L’orphelinat ne survit que grâce à des dons et aux bénéfices de la Guest house voisine (celle où les Prêtres de NDV avaient passé une nuit en 2014). Les services sociaux palestiniens n’ont d’autre souci que de s’assurer que ces enfants, légalement réputés musulmans, ne deviennent pas chrétiens. C’est pratiquement leur seul intervention… Ces jours-ci, trois enfants sont arrivés au centre. Le dernier a été nommé Majid (Gloire !) parce qu'il est né hier : on ne peut leur donner de prénom chrétiens, les sœurs ont donc contourné l'interdit.
Après cela, nous avons quitté le groupe qui rentrait à l’hôtel et nous avons suivi Peter, le guide, qui devait nous ramener à Jérusalem. Mais auparavant, nous sommes allés goûter chez ses parents qui habitent une jolie demeure en contrebas de Bethléem… La déco est typiquement palestinienne…
Thé, beignets aux pommes. Les parents de Peter parlent un excellent français (monsieur Sabella est un ancien des Frères, en auriez-vous douté !). Puis vers 19h00, nous avons regagné, sans encombre Jérusalem. J'ai un peu parlé avec Peter ; je l'ai senti meurtri de la situation politique, des difficultés quotidiennes... Priez pour lui ! Petit repas léger et dodo rapide après avoir commencé à rédiger ce billet.
Que l’Enfant de la crèche vous bénisse tous et vous comble de sa grâce d’humilité ! Je vous laisse avec ce beau chant et ce témoignage organisé par les Franciscains de Budapest, lors du 3ème dimanche de l'Avent.

À bientôt,
Étienne+

PS (9h55) : Au moment où je postais ce billet, des détonations ont éclaté. N'ayant pas entendu de sirènes ensuite, je ne me suis pas inquiété outre mesure. En fait, la police montée a abattu un jeune homme sur la place Tsahal (National Garden), juste derrière le Collège. Notre cuisinière passait un coup de balai sur la terrasse a tout vu et me dit que le jeune homme était à plus de 20 mètres des policiers et vraisemblablement désarmé. Quoiqu'il en soit, la légitime défense paraît difficile à plaider... Prions pour la paix...

mardi 22 décembre 2015

Ils conspirèrent contre lui à Jérusalem et il s’enfuit à Lakish. (2R 14,9)



wayyiqsherû alayw qesher bîrushalayim wayyanos lakishah
ויקשרו עליו קשר בירושלים וינס לכישה

Chers amis
Et oui, bravo à ceux qui ont deviné que מלחמת הכוכבים faisait référence à la Guerre des Étoiles ; pour un hébraïsant moyen, c’est très facile puisque ces deux mots font vraiment partie du vocabulaire de base.
Lundi, ben… c’était comme un lundi quoi ! Sinon, que j’ai eu un cours supplémentaire sur saint Paul car notre professeur quitte Jérusalem en janvier.
Ce matin, après la messe, rendez-vous était fixé à l’École à 7h20. À cause de la proximité de Noël, plusieurs étudiants étaient retournés en France, une était malade et d’autres avec leur famille venue les visiter… Du coup nous étions seulement treize dans un bus 54 places… Nous ne nous sommes pas disputés…
Direction la Shephelah, une région de petites collines au sud-ouest de Jérusalem, en bordure de la plaine côtière. La végétation est assez maigre, un peu comme notre garrigue sur la Gardiole. Nous avons d’abord visité Lakish, c’est (encore !) un tell occupé du néolithique à l’époque hellénistique (après Alexandre le Grand). Le site a été pas mal fouillé mais n’est pas vraiment aménagé pour la visite. Dans la Bible, on en parle dans le livre de Josué lorsque l’armée des Hébreux s’en empare (Jos 10) puis dans le Deuxième Livre des Rois, lorsqu’on rapporte rapidement la mort du roi Amasias : « On trama un complot contre lui à Jérusalem, il s'enfuit vers Lakish, mais on le fit suivre à Lakish et mettre à mort là-bas » (2R 14,19). Vous voyez qu’il ne faisait pas nécessairement bon être roi à cette époque. Lakish est surtout connue pour le siège qu’elle a subi de la part du roi d’Assyrie, Sennachérib, aux alentours de l’an 700 avant J.-C. L’Assyrie était un empire hyper puissant et pour subvenir à ses besoins, elle faisait régner la terreur autour d’elle (cela évitait parfois d’avoir à se battre, on ne faisait que montrer ses crocs). Elle soumettait les royaumes autour d’elle en leur imposant de lourds tributs, si le royaume se rebellait, elle déclenchait un coup d’état pour mettre un roitelet à sa botte et si ça continuait, alors là, elle se mettait très en colère… Elle débarquait avec ses armées et saccageait tout. À Lakish, on a retrouvé le charnier consécutif au siège… Pas beau à voir.
En plus, on connaît assez précisément le déroulement du siège puisque Sennachérib a décoré une des pièces de son palais de Ninive avec des bas-reliefs qui dépeignent les événements du siège, et a fait décrire sa campagne militaire sur un prisme en argile cuite découvert par un certain Taylor. Pas besoin d’aller à Ninive pour voir tout cela, c’est au British Museum.
À la même époque, Sennachérib a menacé Jérusalem alors gouvernée par Ézéchias. C’est le moment où le fameux tunnel a été vraisemblablement creusé. Jérusalem ne s’en est pas trop mal sortie : dans la Bible, on dit que l’ange du Seigneur a envoyé la peste sur les Assyriens qui sont repartis chez eux ; il semble quand même que le royaume de Juda a été soumis au tribut (selon le prisme de Sennachérib, ils ont payé 900 kilos d’or et 2400 kg d’argent, des blocs de pierre précieuse, de l’ivoire, des laines colorées, des armes, des femmes...)
Sinon, sur le site lui-même nous avons pu admirer tout de même la porte double de la ville : une rampe permet d’accéder à une première porte puis on fait un tournant à angle droit et on pénètre dans la ville par une porte à tenaille (comme celles que l’on a vues à Ḥaçor et Megiddo). Lakish est connue aussi pour sa double enceinte qui la rendait plus facile à défendre. En revanche, le fameux temple fosse est plutôt décevant : heureusement qu’on nous a dit qu’il y avait quelque chose… En parcourant ces sites, on s’aperçoit que laisser les fouilles à l’air libre est très destructeur : la pluie, la végétation ont tôt fait de tout recouvrir. Mais si l’on y prête attention, l’archéologie n’est que la destruction méthodique et soigneusement consignée des vestiges de l’ancien temps.
La porte à tenaille de Lakish
Puis nous avons continué à quelques kilomètres de là pour gagner Tel Maresha. Le lieu a été bâti par Roboam, fils de Salomon, selon 2Chr 11,5. Sur le site, on voit bien le tel mais sur le tel, il n’y a absolument rien à voir. Tout a été recouvert… On a mis à jour à l’époque la ville hellénistique avec son plan hippodamien (en damier, avec les rues à angle droit) mais les vestiges visibles sont surtout autour du tel.
Le sol de cette région est composé de calcaire. La première couche appelée nira est dure mais épaisse d’un bon mètre seulement… En dessous, c’est de la craie que l’on peut creuser à la petite cuillère… Les habitants ont donc profité du fait qu’il était plus facile de creuser que de construire. Les maisons ont disparu mais les citernes et caves sont restées. On a vu comme ça un immense columbarium souterrain, des pressoirs à huile.
Pressoir à huile hellénistique
Une des citernes s’appelle la « grotte polonaise », non à cause de la présence d’une colonie polonaise à l’âge du Fer mais tout simplement à cause du graffiti d’un soldat polonais de la deuxième guerre mondiale… Les pressoirs à huile sont très bien conservés et mis en valeur… Les olives étaient d’abord broyées sous une petite meule tournée par un âne ; la bouillie grasse ainsi obtenue était mise dans des sortes de paniers en cordes que l’on empilait avant de les presser à l’aide de pierres très lourdes qui exprimaient l’huile contenue dans les olives. L’huile coulait hors du panier et était recueillie en dessous. On laissait décanter pour séparer l’huile et l’eau, et voilà !
Nous avons aussi parcouru le labyrinthe, un réseau complexe de citernes, columbariums, pressoirs, souterrains. On y passe un bon moment et en sortant on se rend compte qu’on n’a parcouru qu’une cinquantaine de mètres depuis l’entrée.
La matinée s’est achevée aux tombes sidoniennes. Après l’exil, la région n’était plus occupée par des juifs mais par des Iduméens (les descendants d’Ésaü, dont le nom est aussi Édom). Alexandre le Grand y a fait s’installer une colonie phénicienne (originaire de Sidon, au Liban actuel).
Lynx dans les tombes sidoniennes
Les tombes ont été découvertes dans les années trente et des relevés précis des peintures qui les ornaient ont été réalisés par le P. Vincent de l’École Biblique. Il y a une vingtaine d’années, les Antiquités Israéliennes ont demandé les relevés pour pouvoir reproduire les peintures que le temps avait fait disparaître… On attend toujours leur retour et les Antiquités Israéliennes affirment qu’ils ne sont plus en leur possession… Les peintures représentent un bestiaire plus ou moins fantastique : éléphant, rhinocéros, girafe (chameau-léopard en grec), lion à tête humaine. Regardez à qui vous fait penser le lynx… Il y a aussi une inscription en grec qui montre que deux amants, séparés par le mariage de la dame, ont dû se servir de la tombe comme lieu pour se faire passer des messages...
Aux environs de l’an 100, le roi hasmonéen Jean Hyrcan a pris la ville et l’a judaïsée de force. Après l’arrivée des Romains, elle reprit son indépendance et est détruite par les Parthes alors qu’elle était défendue par Hérode. Certains historiens pensent qu’il y est né.
Après le pique-nique, nous avons voulu prendre un café mais la bonne femme du magasin nous a éconduits avec la délicatesse qui gouverne les relations humaines dans ce pays. Et en plus, Marie des Neiges était absente et nous ne pouvions même pas compter sur le thermos qu’elle emporte habituellement en excursion.
Vers Sandahanna
Nous en avons été réduits à reprendre le chemin vers Sandahanna, l’abside d’une église byzantine, retapée par les croisés et dédiée à sainte Anne. Puis nous sommes arrivés aux Bell Caves. À cet endroit, l’exploitation de la craie a été faite à l’échelle industrielle de la fin de l’époque byzantine jusqu’au début de l’époque islamique. Environ 800 cloches sont recensées dans le site : on commençait par creuser un petit trou d’un mètre de diamètre dans la roche dure de surface puis lorsqu’on arrivait à la craie, on élargissait le trou et on creusait couche par couche.
Les cloches
Cela produit des trous en forme de cloches, d’où le nom du site… Les bases des cloches se rejoignent et dessinent un immense réseau souterrain. À quelques endroits, c’est éboulé mais d’autres lieux sont très expressifs. Une séquence du film musical Jesus Christ Superstar a été tournée là-bas dans les années 70 : Jésus baba cool à son paroxysme.
Le site est très beau mais il y avait là quelques 200 moutards et c’était insupportable ! Les animateurs les encourageaient même à hurler pour profiter de l’acoustique flatteuse du lieu. Avec les étudiants, on a chanté Les anges dans nos campagnes. Et nous avons eu 2 secondes de silence ensuite. Merci, bravo !
La visite s’est achevé par Beth Guvrin, la cité hellénistique, romaine et byzantine. Ce nom araméen signifie la maison des braves. Septime Sévère lui donna le nom d’Éleuthéropolis (≈ Villefranche). À l’époque talmudique, on sait qu’il y avait une importante communauté juive.
L'amphithéâtre de Beth Guvrin
Le site a été peu fouillé et on voit surtout un amphithéâtre, le mieux conservé de toute la Terre Sainte, mais il ferait gentiment sourire les Nîmois et les Arlésiens… À côté, une église byzantine recyclée et une forteresse croisée, plus connue sous le nom de Gibelin (déformation du Jivrin arabe, lui-même dérivé de Guvrin). L’église possède de beaux restes car après son recyclage croisé, elle a été mosquéïfiée… Les croix ont donc été martelées…
Il n’était pas encore 15h mais nous étions crevés et nous sommes donc repartis vers la maison. On a hésité à passer par Hébron mais le chauffeur n’était pas chaud (c’est un comble !) du coup, on a repris la route du matin et nous sommes arrivés à l’École à 16h20.
Jusqu’à lundi, la bibliothèque est fermée… Pas de cours, ce sont les vacances !
À bientôt,
Étienne+