dimanche 28 février 2016

Ouvrez-moi les portes de justice (Ps 118,19)


pitḥû-lî shaˁărei-tsedeq
פתחו־לי שערי־צדך

Chers amis,
J’ai encore dans les yeux les splendeurs de mercredi dernier…
Mercredi matin, cours sur la chronologie hérodienne : cette deuxième séance a été consacrée à la connaissance des calendriers en usage à l’époque. Égyptien, mésopotamien, hébraïque, grec, julien… Calendriers lunaires, luni-solaires et solaires… Noms des mois et des jours… On en perdrait son latin (l’eût-on possédé au départ !)
Jeudi et vendredi, travail en bibliothèque… Jeudi en revenant en début d’après-midi, je croise Marc de Raimond, un prêtre de Versailles, ancien du Studium et de l’École Biblique. Du coup, rendez-vous fut pris pour une pizza ce soir-là, c’était du côté de la rue Salah ed-Dîn.
Vendredi midi, messe à l’Ecce Homo… En fin d’après-midi, conseil d’École… Et pour sortir de l’ordinaire, ce conseil était convoqué à 17h au lieu de l’horaire habituel de 17h30…
Ce matin, lecture à la bibliothèque. Puis après-midi simple. Je suis allé d’abord au Saint-Sépulcre. À 14h30, c’était l’entrée solennelle du patriarche au Saint-Sépulcre. Pendant le Carême, le patriarche latin célèbre la liturgie au Saint-Sépulcre : il arrive solennellement à la basilique en début d’après-midi et participe à la procession quotidienne. Tard le soir, au cœur de la nuit, les Vigiles sont célébrées suivies de la messe présidée par le Custode.

Tôt le matin, le patriarche préside la messe à la chapelle de l’Apparition. Il y a quinze jours, j’avais croisé la procession des franciscains qui allaient chercher le patriarche pour le mener à la messe du matin. Aujourd’hui, je suis arrivé un peu en avance pour assister à l’entrée.
Les kawas en grande tenue,
ceux de droite sont les habituels
Les quatre personnages en costume et tarbouche qui ouvrent la procession en frappant de la canne sur le sol sont appelés kawas. Aujourd’hui, ils ne portaient pas le costume à pantalons bouffants et broderies dorées qu’ils portent parfois (je ne connais pas le dress code qui associe vêtement/occasion) L’un d’entre eux est portier au Couvent Saint-Sauveur. Admirez la couleur des tarbouches, introuvable dans le souk... Ici, ils sont bordeaux alors que les tarbouches pour touristes tirent plutôt sur l'orangé. La croix vient ensuite, suivie par les Franciscains, quelques séminaristes du séminaire patriarcal latin en soutane, puis viennent les grossi pezzi en dentelles. Le grand franciscain qui accompagne l’évêque, c’est le fr. Stéphane dont je vous ai déjà parlé. L’évêque, je ne sais pas qui c’est, mais ça n’est pas le patriarche (vu sur Internet, c’est Mgr Shomali, auxiliaire du patriarche)… J’imagine que le patriarche était absent et s’est fait remplacer pour l’occasion. Puis un chevalier du Saint-Sépulcre (en cape blanche) ferme la marche ; deux bonnes sœurs. Petite touche d’humour… La jeune femme qui ferme la marche se couvre le haut mais aurait pu avantageusement se couvrir le bas (nos frères grecs-orthodoxes ont dû tomber en pâmoison !!)
Puis, je suis allé à Gethsémani, je craignais que la foule de Saint-Sépulcre se retrouve là-bas, mais en fait, c’était très calme. J’ai fait une démarche jubilaire… en communion avec les paroissiens de Saint-Didier et Venasque qui faisaient la leur à Notre-Dame de Vie (lieu jubilaire jusqu’au lundi de Pâques : c’est le moment d’aller recevoir l’indulgence du jubilé de la Miséricorde). J’ai prié un bon moment, je suis passé à la grotte de Gethsémani puis au tombeau de la Vierge.
Il y avait tout un groupe de musulmans indonésiens qui visitaient pour vénérer l’église. Si seulement leurs lieux saints étaient accessibles avec autant d'ouverture aux non-musulmans… Les messieurs ont visité avec une discipline étonnante, puis les dames ont suivi. Puis j’ai fait un joli tour, à travers le jardin Orson Hyde (le jardin des Oliviers des Mormons), puis sur le reste du Mont des Oliviers. Sur le Mont Scopus, j'ai trouvé des vestiges de tombeaux anciens. Retour à la maison pour les Vêpres.


Le Mont des Oliviers en ce moment...
Je comptai aller aux Vigiles au Saint-Sépulcre mais j’étais trop crevé pour me coucher si tard (vers 1 h du matin…)
Ce matin, laudes avec les Frères. En fait, ces jours-ci, fr Daoud et fr Rafael sont à Amman pour le conseil de district. Mais, comme ce message est un peu court, je peux vous parler aussi de la prière avec les Frères. Habituellement, les laudes sont à 6h suivies de la messe à 6h30. Du coup, je suis à la chapelle habituellement vers 5h20… Le dimanche, grasse mat’ ! Youpi, les laudes sont à 7h30 ! Mais de toute façon les cloches de Saint-Sauveur sonnent à toute volée à 6h15, donc à partir de ce moment-là, c’est mort…
La chapelle des Frères avec la déco "Carême"
La prière commence toujours par la devise de saint Jean-Baptiste de la Salle, fondateur des Frères des Écoles Chrétiennes :
– « Vive Jésus dans nos cœurs,
– À jamais !
– Souvenons-nous que nous sommes dans la sainte présence de Dieu.
– Et adorons-le.
Après un bref instant de silence, les laudes commencent.
À la fin des laudes, nous disons : « Que les fidèles défunts reposent en paix, par la miséricorde de Dieu. » Amen.
La fin des laudes consiste en un petit temps de silence avant la messe. À la fin de la messe, on reprend l’invocation « Vive Jésus dans nos cœurs », suivie de « Saint Jean-Baptiste de la Salle, priez pour nous ! ».
Le soir, pour les Vêpres, c’est la même chose. Parfois, à l’occasion de certaines fêtes ou certaines journées, un des Frères lit un extrait d’une méditation du fondateur. Elles sont numérotées et suivent la liturgie. C’est une manière pour eux d’intérioriser l’enseignement lasallien.

Je me prépare pour aller à la messe à Saint-Sauveur. Bon et saint dimanche !
À bientôt,

Étienne+

mardi 23 février 2016

Qu’elle se réjouisse la steppe, qu’elle fleurisse ! (Is 35,1)

ותגל ערבה ותפרח
wetagel ‘arabah wetiphraḥ

Chers amis,
Dimanche matin, je suis allé à la messe à Saint-Sauveur. Il y avait un groupe du Tennessee qui a participé à la messe ; du coup, c’était une messe anglo-arabe (comme les chevaux !).
L’après-midi, je suis allé faire un grand tour : Tombeau des rois, Université hébraïque, Mont des Oliviers, vallée du Cédron, Porte de Sion, Piscine du Sultan, Mamila et retour. Quand je suis parti, il y avait du soleil et un peu de nuage mais, arrivé au Mont des Oliviers, il y a une une belle drache… L’Université hébraïque est située sur le Mont Scopus, une colline qui prolonge au nord le Mont des Oliviers. Le nom vient du grec et indique qu’on jouit de là-haut d’une vue imprenable (scopéô : j’observe) sur Jérusalem. De l’autre côté, on a une vue sur le désert de Juda.
Hier, journée à “Patmos”.
Explorer le désert qui a reverdi...
Aujourd’hui, belle et grande journée dans le désert de Juda avec l’École. Le bus nous a laissé à proximité de la colonie israélienne de Ma’ale Adumim, près d’une autre colonie appelée Qedar. En ce moment, le désert est une splendeur : les pluies, relativement abondantes, de cet hiver ont permis à une multitude de plantes, herbes, fleurs de pousser. Ce qui était dommage, c’était la météo, pas particulièrement ensoleillée. Certains ont évoqué les Highlands écossais… Ici et là, des fleurs : pâquerettes, anémones, pissenlits qui jettent de petites taches de couleurs vives au milieu du vert. Et puis, de nombreux troupeaux de brebis et de chèvres parcouraient le désert, s’en mettant littéralement « plein la panse ». La prophétie d’Isaïe se réalisait, « tous les troupeaux de Qédar s’étaient rassemblés » (Is 60,7). Nous avons aussi vu beaucoup de bédouins à dos d'âne. On a dominé un moment un vallon qui finit par se jeter dans les gorges du Cédron, un peu en amont du monastère de Mar Saba.
Lys des champs, sans souci ! (Mt 6,28)
Nous avons marché une bonne heure pour atteindre le Djebel Muntar, le point culminant du désert de Judée (524 m). De là, on voit Jérusalem, Jéricho, la Mer morte, l’Hérodion et toute cette verdure autour. Avec un œil perçant, on pouvait aussi deviner les deux tours qui dominent Mar Saba. Au-dessus de la Mer morte, le soleil jouait avec les nuages pour le grand plaisir de nos yeux.
À l’époque de Jésus, lors de la célébration du Yom Kippour (le jour des expiations), on envoyait le fameux “bouc émissaire”, chargé de tous les péchés se perdre dans le désert. Certains biblistes pensent que le Djebel Muntar était le lieu où le bouc était abandonné « à Azazel » (Lv 16,10)
Petit bédouin sur son âne
À l’époque byzantine, l’impératrice Eudocie fit construire, à cet endroit, une tour afin de pouvoir y rencontrer l’anachorète Euthyme, homme de grande austérité. Mais celui-ci attaché à sa solitude lui échappa plusieurs fois avant de se laisser convaincre. Il persuada l’impératrice de revenir à une foi droite (on était en plein schisme monophysite qui a fait beaucoup de dégâts en Terre Sainte) et elle, touchée par sa sainteté, retourna à Jérusalem et devint une bienfaitrice en faisant construire monastères et basiliques, dont celle de Saint-Étienne, future École Biblique. Il ne reste plus grand-chose de la tour et du monastère de Saint-Jean-le-Scholarios qui lui succéda.
Il y a 98 ans et 3 jours exactement (20 février 1918), les soldats anglais, venant de Bethléem, ont délogé de là une petite garnison turque avant d’aller s’emparer de Jéricho…
À ce moment-là, bien que le vent soufflât de l’est, les nuages nous ont dégringolé dessus par l’ouest… et nous avons eu droit à une belle averse.
Nous sommes descendus du promontoire du Djebel Muntar, trempés, et avons continué, sans crainte, notre marche. Le soleil a, peu à peu, fait son apparition. Un peu plus loin, nous devinions la masse d’Hyrcania, le but de notre randonnée. Avant de nous approcher de cette forteresse, nous avons fait un
Monastère de Spelaion
détour vers le monastère de Spelaion (si je vous dis que ce mot grec a donné en français le mot “spéléologie”, vous n’avez pas besoin de traduction). Nous nous sommes approchés du wadi Sokoka, qui coulait un peu en amont à cause de la pluie. Le monastère, ou ce qu’il en reste (il a plus de 1500 ans !), est construit à flanc de rocher et même creusé dans la falaise. On voit encore des citernes, des cellules. En revenant à notre point de départ, nous avons constaté que l’eau coulait maintenant dans le fond du vallon… En quelques minutes, le flot avait grossi et était descendu dans le wadi. Le wadi Sokoka descend, traverse la grande plaine de Buqei’a, rejoint le wadi Qumrân et se jette dans la Mer morte en dessous du fameux site archéologique.
Hyrcania avec l'aqueduc au 1er plan
Une fois revenus, nous avons regardé un peu mieux les restes d’aqueduc. Quand on sait qu’Hyrcania fut réaménagée par Hérode, on ne s’étonne pas d’y trouver un réseau d’alimentation en eau… Sur un mamelon rocheux, Jean Hyrcan qui régna sur la Judée de 134 à 104 av. J.-C., édifia un palais-forteresse. Utilisée aussi par sa belle-fille, Salomé Alexandra, la forteresse sera finalement prise par Gabinius lors de l’arrivée des Romains (en 57 av. J.-C.).
Hérode réaménagea somptueusement le site. C’est là qu’il exila son fils Antipater et qu’il le fit exécuter, cinq jours seulement avant sa propre mort…
Plus tard, un monastère appelé Castellion fut installé et compose la plus grande partie des vestiges visibles au sommet. Le monastère fut abandonné au Moyen Âge et une tentative de reprise de la vie monastique par les moines de Mar Saba a avorté dans les années 1920 (les Bédouins ont utilisé tous les moyens possibles pour dissuader les moines de revenir !).

La plaine de Buqei’a

Il était déjà midi passé et nous sommes montés au sommet pour déjeuner. L’avantage de la météo couverte fut de pouvoir manger en plein air et sans être écrasés par la chaleur. J’avais amené des nougats que j’ai partagés avec mes condisciples (de provenance paroissiale, ce sont simplement les meilleurs du monde ; les étudiants ont été conquis : Philippe et Pierre seront contents). Ensuite, nous avons exploré le site : quelques mosaïques (la taille des tesselles est caractéristique de l’époque byzantine) ; des citernes, des murs… En contrebas, nous admirons les reste du système d’alimentation en eau (pierres hasmonéennes, hérodiennes et byzantines). À côté de la forteresse, nous montons sur un piton rocheux où on voit clairement des traces de construction. Serait-ce le mausolée d’Antipater ?
De là, nous avons vu un grand troupeau de chèvres qui a emprunté l’aqueduc (devenu caproduc pour l’occasion !).
Le fameux caproduc
Et nous sommes descendus. Hyrcania est en contrebas du Djebel Muntar et il faut monter un tout petit peu pour y arriver mais, à l’est, on domine de très haut la plaine de Buqei’a qui s’étend sur une vingtaine de kilomètres du nord au sud et jusqu’aux falaises de la Mer morte à l’est. C’est vertigineux.
Il a fallu marcher un moment sur du plat (style green de golf) et nous avons vu quelques chameaux. Mon inquiétude allait croissante… Mes chaussures (de la m…douille achetée pas cher, rue de Jaffa en novembre) se décomposaient littéralement sous mes pieds… La boue du chemin n’aidait pas et nous faisait comme des semelles de cosmonautes. Dans la plaine, nous avons retrouvé notre bus. Nous étions heureux mais je ne pense pas que la joie était partagée par le chauffeur : malgré nos efforts de décrassage, nous avons tous mis de la boue dans son beau bus.
Hyrcania vu depuis la plaine de Buqei’a
Avant de retrouver la route principale, petit arrêt à Nebi Musa. Nous entrons dans la cour du caravansérail à l’instant où le muezzin (électronique !) lançait l’appel à la prière.
À quatre heures, nous étions à l’ÉBAF et un quart d’heure plus tard, j’étais à la maison. En fin d’après-midi, réunion des étudiants à l’École puis j’ai filé rue de Jaffa acheter une paire de chaussures de marche : encore de la m…douille mais ça me durera bien les trois mois qui me restent à passer dans le pays. Trois mois, c’est le temps qui me reste ici… Va pas falloir chômer… En soirée, je rédige ce message et trouve sur Internet un rapport de l’Académie des Inscriptions et Belles Lettres (AIBL), associée à l’ÉBAF, daté de 1934, dans lequel on évoque une excursion dans « le désert de Juda par la tour d’Eudocie et le Castellion (Hyrcania) » (p. 35). Renseignements pris auprès de notre professeur, j’apprends qu’à l’époque, l’excursion se faisait à dos d’âne à partir de Jérusalem… C’était la grande époque.
Bon et saint carême à vous ! Que les paroissiens de Venasque et Saint-Didier profitent bien de leur journée jubilaire samedi.
À bientôt,
Étienne+

samedi 20 février 2016

J’aurais beaucoup à t’écrire (3Jn 13)

Πολλὰ εἶχον γράψαι σοι

Polla eichon grapsai soi

Chers amis,
Rien de bien trépidant ces derniers jours. J’ai surtout travaillé en bibliothèque. Jeudi soir, une conférence était organisée : il s’agit d’une tradition ancienne de l’École, quelque peu tombée en désuétude. L’idée est de faire intervenir quelqu’un qui présente l’état de sa recherche dans un domaine qui touche d’une manière ou d’une autre à la Bible, l’archéologie de Terre Sainte, etc…
Codex Minuscule 1, fol. 265v-266r
de la collection de Jean de Raguse
C’était un enseignant de Fribourg qui intervenait sur le sujet suivant : La collection de manuscrits grecs du dominicain Jean Stojković de Raguse à la base du Textus Receptus. Je ne connaissais pas ce Jean Stojković, même si depuis quelques jours je savais, grâce aux lectures de ma petite maman, que Raguse est l’ancien nom de Dubrovnik. Sinon, vous vous posez sans doute aussi la question du Textus Receptus : je vous renvoie à ce billet du mois de novembre, où j’en parlais rapidement. C’est, en gros, le texte grec de la Bible publié au xvie siècle par les humanistes, parmi lesquels Érasme. Celui-ci s’était aperçu de différences entre les versions grecques et celle de la Vulgate de saint Jérôme et avait entrepris une édition pour les comparer. Pour éditer son texte grec, il a fait comme il a pu en se servant de différents manuscrits anciens, notamment une série qu’il a trouvée au couvent des dominicains de Bâle, ville où le fameux humaniste résidait. Aujourd’hui, les manuscrits sont conservés à la bibliothèque universitaire de Bâle et portent encore des annotations érasmiennes ainsi que les ex libris du couvent dominicain.


Cette collection de manuscrits avait été, un siècle plus tôt, léguée au couvent par le dominicain croate Jean de Raguse qui avait été nommé pour diriger les travaux du concile de Bâle en 1431, censé mettre un terme au grand schisme d’Occident. Un projet d’union œcuménique avec les Orthodoxes avait été lancé et Jean de Raguse a résidé pendant trois années à Constantinople, où il eut l’occasion de rassembler une collection de manuscrits grecs (manuscrits bibliques, patristiques…). L’un de ces manuscrits fut découvert par un des “rabatteurs” à l’affut d’une bonne occasion dans une poissonnerie… Le poissonnier s’en servait pour emballer sa marchandise ! ! !
Le manuscrit fut édité à la fin du xvie siècle mais disparut lors du bombardement prussien de Strasbourg en 1870. C’était l’unique exemplaire connu de l’épître à Diognète, une apologie chrétienne du iie siècle.
Ἁπλῶς δ’ εἰπεῖν, ὅπερ ἐστὶν σώματι ψυχή, τοῦτ’ εἰσὶν ἐν κόσμῳ Χριστιανοί.
« En un mot, ce que l’âme est dans le corps, les chrétiens le sont dans le monde » (VI, 1).
De retour à Bâle, Jean de Raguse a déposé tout son stock de manuscrits grecs et le projet d’union avec les Orientaux a fait long feu. Jean de Raguse fut créé cardinal par l’antipape Félix V et meurt à Lausanne…
Vendredi à midi, messe à l’Ecce Homo. La semaine précédente, à cause de la présence de mes parents, je n’y suis pas allé mais je m’étais fait “remplacer” par Sa Béatitude Mgr Fouad Twal, Patriarche latin de Jérusalem. Mes parents m’ont dit que je le connais depuis une messe qu’il avait célébrée à la Grande Motte, alors qu’il était évêque de Tunis, il y a presque 25 ans…
Malgré tout, vous vous doutez bien que je ne lui ai pas envoyé un texto pour lui demander slt, fouad, est-ce ke tu peux me remplacer pr la messe a l’ecce homo le 12/02 ? En fait, le vendredi après les Cendres, le Patriarche célèbre habituellement la messe à la basilique de l’Ecce Homo pour la mémoire du couronnement d’épines du Seigneur Jésus. Je n’ai donc pas eu à demander au Patriarche et j’étais libre d’aller célébrer la messe ailleurs… Et ce fut au Saint-Sépulcre.
Le petit amandier dans le jardin de l'École
Après la messe et le repas, j’ai salué Gilda qui retourne en Italie lundi après quatre ans et demi passés ici. Le café sur la terrasse fut apprécié. Cette semaine, nous avons des températures plus que printanières et les amandiers explosent de fleurs et de parfum. Même dans la rue Ha AyinHeth (le chemin de l’École) qui est un véritable dépotoir, ils parviennent à couvrir les odeurs de poubelles.
Dans l’après-midi, je rencontre pendant une bonne heure Anthony Giambrone, qui devrait être mon directeur. C’est un dominicain italo-américain. On a pas mal discuté : je parle en français, il répond en anglais (même s’il se débrouille pas mal en français). La discussion m’a bien motivé. Au boulot !!
Le soir, j’ai quitté l’École un peu plus tôt qu’à l’accoutumée pour ma rendre, avec les Frères, à Bethléem. À l’école des Frères était organisée un repas de carême pour financer les œuvres des Frères et notamment la participation de quelques étudiants de l’université aux JMJ de Cracovie. L’école des Frères se
Bingo ! ! !
trouve juste derrière le couvent des Pères de Bétharram et le carmel de Bethléem. Pour le repas, j’imaginais quelque chose comme un bol de riz paroissial mais, si nous n’avons pas mangé de viande, on ne peut tout de même pas parler de jeûne… Après le repas, nous avons joué au bingo. C’est le nom du loto ici. On achète pour 10 ₪ un feuillet A6 où sont imprimées trois grilles semblables à celles de nos lotos (trois lignes de cinq chiffres de 1 à 90). On boulègue, on tire les numéros les uns après les autres mais au lieu de marquer avec des jetons ou des grains de maïs, on biffe au stylo. La première personne qui a cinq chiffres d’une grille gagne un lot, on ne démarque pas ; puis il faut avoir un quine, puis deux quines sur la même grille, puis la grille complète. À ce moment-là, la partie est finie et il faut racheter un feuillet à trois grilles pour la partie suivante. Pour moi, ce fut l’occasion de réviser les chiffres en arabe… Je me suis pas trop mal débrouillé.

Ce matin, bibliothèque. A midi, les Frères sont retournés à Bethléem pour inaugurer les panneaux solaires qui alimentent désormais l'école en électricité. Honnêtement, après le soleil éclatant des ces derniers jours, c'était dommage qu'aujourd'hui, nous renouions avec les nuages et la fraîcheur. (c'est normal c'est le WE, il fait donc mauvais... Après-midi à bouquiner avant de recevoir Henri pour le préparer à la confirmation. Soirée calme.
À bientôt,
Étienne+

mardi 16 février 2016

Permets que mon père et ma mère restent (1S 22,3)

יצא־נא אבי ואמי אתכם
yēṣēˀ-nāˀ ˀābî weˀimmî ˀittekhem

Chers amis,
Depuis une semaine vous êtes entrés en carême et vous avez un peu dû jeûner de blog. Et oui, les visites familiales sont peu propices à la rédaction de billets…
Mercredi des Cendres, comme je vous l’ai dit, j’ai dû m’abstenir de bibliothèque. Le matin, j’ai célébré la messe pour les Frères avec imposition des Cendres. Du coup, j’ai un peu pris le temps de la solitude. Je suis allé prier au Saint-Sépulcre le matin ; j’avais cette habitude en 2007 et mon emploi du temps actuel ne me permet pas vraiment de le faire régulièrement. Je n’aime pas la foule qui s’y presse en journée et qui nuit au recueillement. L’après-midi, après un repas léger, j’ai fait une petite sieste puis je suis parti me balader. J’ai fait un tour immense, de près de 17 km. Je suis parti du Collège, j’ai rejoint le Pont de Cordes (aussi appelé Harpe de David), puis le terminus de la ligne de tramway, sur le Mont Herzl. Là, j’ai traversé un quartier récent peuplé de juifs orthodoxes (des yeshivoth – pluriel de yeshiva – partout !). Puis j’ai rejoint la fameuse Tour Holyland… elle a fait parler d’elle ces jours-ci puisque c’est à cause de supposés pots-de-vin touchés pour la construction de cette tour que l’ancien premier ministre israélien, Ehud Olmert, est allé en prison hier. Puis j’ai rejoint le stade Teddy Kollek, et de là, j’ai emprunté l’ancienne voie ferrée que je connaissais déjà mais pas si loin de l’ancienne gare. Je suis rentré juste pour les Vêpres.
Le soir, je suis allé accueillir mes parents à la descente du Sherout. Il faisait bien froid… Ils ont passé cinq jours ici. Au programme, quelques nouveautés.
Jeudi, visite du musée Rockefeller. Nous avons pu comparer le musée avec les scènes du film le Tombeau (2001). L’après-midi, le tramway nous a déposé à son terminus et nous avons visité le Musée du Yad Vashem. C’est le nom du mémorial construit pour honorer le souvenir des victimes de la Shoah. Le nom provient d’un verset du livre d’Isaïe : « Je leur donnerai dans ma maison et dans mes remparts un monument et un nom (Yad vaShem) meilleurs que des fils et des filles » (Is 56,5).
Le musée de la Shoah est construit dans un long couloir qui traverse l’arête rocheuse des collines de Jérusalem. Le musée est très intéressant, exhaustif et ne se complait pas dans les horreurs dont cette période a été l’occasion. Après le musée, nous avons visité la vallée des Communautés, c’est une sorte de labyrinthe creusé dans la roche et dans lequel sont inscrits les noms de villes où des communautés juives ont été persécutées à cette époque à travers l’Europe. Carpentras est mentionné. Il était un peu tard pour aller se recueillir à la salle de la mémoire. À la boutique, j’ai vu un gros livre où le seul texte écrit est le mot JEW reproduit 6 millions de fois. On touche un peu du doigt ce que cela représente…
Retour avec le tramway mais sans aller jusqu’au bout : nous avons descendu la rue de Jaffa à partir du marché de Maḥane Yehuda. Puis baguenaude dans la ville. Après le repas à la Casa Nova, où mes parents logeaient, je suis allé me coucher tôt.
En effet, le lendemain matin, il a fallu se lever vers 4h30, j’avais réservé une messe au Saint-Sépulcre dans la tombe… Je n’avais pas célébré là-bas depuis mon arrivée.
Dans la matinée, nous avons visité le tunnel du Mur occidental. Pour y accéder, nous avons pris le temps de passer le long des remparts et d’aller voir la Dormition et le Cénacle. Pour la visite du tunnel du Mur, on remonte le Mur occidental vers le nord. J’avais visité en 2007, sous la direction de Dan Bahat, l’archéologue qui a dirigé les fouilles. On traverse un peu toutes les époques de l’histoire de Jérusalem (hasmonéenne, croisée, hérodienne, islamique, croisée)… Malheureusement, il n’y avait pas de visite en français au cours du séjour de mes parents, j’ai donc réservé une visite en anglais et nous avons eu du mal à suivre le débit de mitrailleuse de la guide, doublé d’un accent américain à couper au couteau. Difficile à suivre. Et on avait envie de se cotiser pour lui offrir une jupe neuve : la sienne était déchirée sur une bonne vingtaine de centimètres. En plus, je pense que nous n’étions pas les seuls à ne pas tout comprendre car lorsqu’elle posait des questions, les gens restaient amorphes… Elle devait s’attendre à un public américain, toujours prompt à s’enthousiasmer, comme lors de notre visite au petit musée sur la Jérusalem à l’époque du premier temple.
Arrivés à la piscine du Strouthion, nous ne sommes pas sortis par la porte devant le couvent de la Flagellation mais nous avons rebroussé chemin pour ressortir par l’entrée. Du coup, petit tour dans le quartier musulman avec quelques beaux bâtiments mamelouks.
Dans l’après-midi, nous avons profité de la voiture louée ce matin-là pour aller admirer le désert qui avait revêtu son manteau hivernal. Les biquettes et les brebis s’en donnaient à cœur joie pour brouter ici et là. En passant, je me dis que c’est peut-être l’occasion de visiter le parc de l’auberge du Bon samaritain. Il était 3h15 et le gars nous a fait de grands signes pour nous dire que c’était fermé… J’étais un peu sceptique et j’en ai eu confirmation aujourd’hui.
Nous avons finalement admiré le monastère de Saint-Georges de Choziba. Puis nous sommes allés à Nebi Musa. Le lieu était calme et paradisiaque… En voulant entrer dans la mosquée, Papa (bien que déchaussé) s’est fait virer comme un malpropre par un jeunot mal élevé.
Descente jusqu’à la Mer morte, pour regarder Qumrân d’en bas et admirer la lumière du coucher de soleil sur les Monts de Moab. Nous avons déposé la voiture devant le consulat et avons fait un petit tour dans Yemin Moshe. Ce soir-là, repas chez Rossini. Le patron devient un copain car l’apéro grandit de semaine en semaine…
Samedi, journée à Bethléem. Visite de l’Hérodion en matinée puis pèlerinage à Bethléem. Nous avons vécu la petite procession de midi avec les Franciscains. En revanche, j’étais surpris de voir que presque rien ne signalait la Porte sainte de la Miséricorde et le Jubilé, alors que l’église Sainte-Catherine est lieu jubilaire…
Repas à la terrasse d’un restau sur la place de la Mangeoire. Le temps était en fait incomparablement plus beau que pour la visite de mes deux sœurs… Après cela, nous avons remonté la rue centrale pour aller visiter le Carmel de la (désormais) sainte Mariam Baouardy. Petit instant de prière dans la chapelle, devant ses reliques et visite du petit musée.
Retour à Jérusalem.
Dimanche matin, en attendant les parents, j’ai vu passer la procession des Franciscains guidés par les kawas qui allaient chercher le Patriarche pour le mener au Saint-Sépulcre. Le frère Stéphane, qui fermait la marche, me demande : « Qu’est-ce que tu fais là ?
– J’attends mon papa et ma maman.
– Tu viens à la messe au Saint-Sépulcre ?
– Non, on fait comme les Français, on va à Abu Gosh. »
Nephtali, Joseph, Benjamin
Avant d’aller à Abu Gosh, on est allé à Hadassa Ein Karem, le grand centre hospitalier de Jérusalem. La synagogue de l’hôpital a été décorée par douze vitraux de Marc Chagall, représentant les douze tribus d’Israël. La couleur dominante de chaque vitrail est celle de la pierre fine qui symbolisait la même tribu sur le pectoral du grand prêtre. Une petite lecture des bénédictions de Jacob (Gn 49) nous a aussi aidés à interpréter les images des vitraux. En repartant, on a hésité à passer aux toilettes et nous avons bien fait de ne pas y aller. Le Pervenche local était en train de verbaliser à quelques voitures de là. Il a fallu démarrer sans stress (attention à la boîte automatique !) pour repartir. Nous avons dû bien nous en sortir…
Arrivée en avance à Abu Gosh et célébration de la messe. La communauté était revenue d’Égypte mais les fidèles faisaient défection : seuls 10 avaient pris place dans les bancs de l’église. Tant pis ! la messe était si belle et paisible.
L’apéritif a été très accueillant et fraternel. En revanche, le repas au petit restau sur la route vers la sortie du village n’a pas été marqué par une amabilité excessive de la part du serveur. C’est le moins qu’on puisse dire…
Passage à Latrun (fermé !) puis à Emmaüs-Nicopolis (fermé !) du coup nous sommes retournés vers Jérusalem et nous nous sommes arrêtés à Ein Karem, le lieu traditionnel de la Visitation. Calme, recueillement et silence. Merci Seigneur ! Fin d’après-midi dans les quartiers arménien et juif (cardo, mosaïque, gros mur…)
Lundi matin, visite de la cité de David, comme la semaine précédente avec mes sœurs. Nous avons évité le film en 3D qui donne le vertige. Après la visite, nous avons rejoint l’École Biblique pour voir rapidement le site.
Repas de midi avec les Frères.
L’après-midi, petit pélé à Gethsémani et au Dominus Flevit. À Gethsémani, on a ramassé des rameaux d’oliviers (c’est la saison de la coupe). J’ai filé ensuite à l’EBAF pour l’accueil des nouveaux étudiants du second semestre, suivi d’un apéro.
Repas à la Casa Nova, soirée… Puis je suis allé me coucher… Leur taxi partait à 5h30...
Aujourd’hui, excursion de l’École Biblique. Nous devions aller à Hyrcania, mais ce sera pour la semaine prochaine… Nous avons réédité la visite de Qumrân, mais avec le P. Jean-Baptiste Humbert. Il nous a présenté son hypothèse sur le site, hypothèse originale et qui contredit l'hypothèse traditionnelle même si elle est échafaudée à partir des documents originaux des fouilles du P. de Vaux dans les années 50. Ce qui est amusant, c'est le détachement dont fait preuve le P. Humbert à l'égard de Qumrân. Depuis près de 70 ans, les biblistes et les archéologues sont hypnotisés par ce site et les manuscrits; notre professeur nous a d'abord dit que le lieu de Qumrân est moche et qu'on devait le remercier de nous avoir épargnés le film qui est "nigaud"...
Selon J.-B. Humbert, Qumrân reste un lieu juif, essénien même, mais on
Citerne de Qumrân, partagée par un séisme
sort d’une interprétation trop monastique et on va sur une sorte de lieu de pèlerinage pour les communautés esséniennes réparties tout autour de la Mer morte.
Qumrân est relativement proche de Jérusalem et en Terre sainte, donc convenable pour vivre la Pâque et les autres fêtes juives, sans pour autant se fixer sur Jérusalem, dont le Temple était profané selon les esséniens. La difficulté que présente l'hypothèse traditionnelle est celle de la citerne centrale partagée par une faille sismique, traditionnellement associée au tremblement de terre de 31 av. J.-C. Or, si le lieu a été occupé jusqu'en 68 ou 70 ap. J.-C., elle aurait dû être réparée et elle ne l'a jamais été... Un mystère de plus. Je me plongerai dans le livre qui sera publié l’été prochain et qui dit tout…
Bâtiment d'Ein Feshḥa, autour d'une cour centrale
Puis repas à Ein Feshḥa, à peu de distance de Qumrân. Le site est d’ailleurs lié à Qumrân. Quand l’eau manquait à Qumrân, on pouvait descendre à Ein Feshḥa pour y faire ses ablutions rituelles à la source qui coulait abondamment. Enfin, je me disais que l’été, quand on remontait à Qumrân après ces ablutions à Ein Feshḥa, on était peut-être pur mais on devait avoir fait une bonne suée…
Le site est une sorte de ferme (tannerie de peaux, indigoterie ?) Ce qui est sûr, c'est que la structure du bâtiment est semblable à celle du carré central de ceux de Qumrân... Le lien est bien attesté.
Nous avons terminé par l’auberge du Bon samaritain qui est ouverte jusqu’à 16h… L’autre jour ça n’était donc pas fermé… Sale type ! Enfin quand nous sommes arrivés, il n'y avait personne dans la guérite et on leur a fichu une pagaille monstre pour récupérer les cartes d'accès aux sites... Tant pis pour eux.
Dans un bâtiment ottoman, on a installé des mosaïques trouvées dans les Territoires palestiniens. Le lieu est géré par l’armée mais fait partie des parcs nationaux. À l’époque byzantine, c’était le lieu qui était vénéré comme l’auberge du Bon samaritain entre Jérusalem et Jéricho. En lisant le livret du site, nous avons ri car la parabole de Jésus est citée in extenso (Lc 10,25-37) mais il y a un petit commentaire qui affirme que Jésus ne peut pas avoir donné en exemple un samaritain alors qu’ils étaient si méchants et incapables de bonnes actions ! J’en suis resté comme deux ronds de flans…
Finalement à trois heures j’étais à la maison. Sieste, tri des photos et rédaction du message.
À bientôt,
Étienne+