mardi 23 février 2016

Qu’elle se réjouisse la steppe, qu’elle fleurisse ! (Is 35,1)

ותגל ערבה ותפרח
wetagel ‘arabah wetiphraḥ

Chers amis,
Dimanche matin, je suis allé à la messe à Saint-Sauveur. Il y avait un groupe du Tennessee qui a participé à la messe ; du coup, c’était une messe anglo-arabe (comme les chevaux !).
L’après-midi, je suis allé faire un grand tour : Tombeau des rois, Université hébraïque, Mont des Oliviers, vallée du Cédron, Porte de Sion, Piscine du Sultan, Mamila et retour. Quand je suis parti, il y avait du soleil et un peu de nuage mais, arrivé au Mont des Oliviers, il y a une une belle drache… L’Université hébraïque est située sur le Mont Scopus, une colline qui prolonge au nord le Mont des Oliviers. Le nom vient du grec et indique qu’on jouit de là-haut d’une vue imprenable (scopéô : j’observe) sur Jérusalem. De l’autre côté, on a une vue sur le désert de Juda.
Hier, journée à “Patmos”.
Explorer le désert qui a reverdi...
Aujourd’hui, belle et grande journée dans le désert de Juda avec l’École. Le bus nous a laissé à proximité de la colonie israélienne de Ma’ale Adumim, près d’une autre colonie appelée Qedar. En ce moment, le désert est une splendeur : les pluies, relativement abondantes, de cet hiver ont permis à une multitude de plantes, herbes, fleurs de pousser. Ce qui était dommage, c’était la météo, pas particulièrement ensoleillée. Certains ont évoqué les Highlands écossais… Ici et là, des fleurs : pâquerettes, anémones, pissenlits qui jettent de petites taches de couleurs vives au milieu du vert. Et puis, de nombreux troupeaux de brebis et de chèvres parcouraient le désert, s’en mettant littéralement « plein la panse ». La prophétie d’Isaïe se réalisait, « tous les troupeaux de Qédar s’étaient rassemblés » (Is 60,7). Nous avons aussi vu beaucoup de bédouins à dos d'âne. On a dominé un moment un vallon qui finit par se jeter dans les gorges du Cédron, un peu en amont du monastère de Mar Saba.
Lys des champs, sans souci ! (Mt 6,28)
Nous avons marché une bonne heure pour atteindre le Djebel Muntar, le point culminant du désert de Judée (524 m). De là, on voit Jérusalem, Jéricho, la Mer morte, l’Hérodion et toute cette verdure autour. Avec un œil perçant, on pouvait aussi deviner les deux tours qui dominent Mar Saba. Au-dessus de la Mer morte, le soleil jouait avec les nuages pour le grand plaisir de nos yeux.
À l’époque de Jésus, lors de la célébration du Yom Kippour (le jour des expiations), on envoyait le fameux “bouc émissaire”, chargé de tous les péchés se perdre dans le désert. Certains biblistes pensent que le Djebel Muntar était le lieu où le bouc était abandonné « à Azazel » (Lv 16,10)
Petit bédouin sur son âne
À l’époque byzantine, l’impératrice Eudocie fit construire, à cet endroit, une tour afin de pouvoir y rencontrer l’anachorète Euthyme, homme de grande austérité. Mais celui-ci attaché à sa solitude lui échappa plusieurs fois avant de se laisser convaincre. Il persuada l’impératrice de revenir à une foi droite (on était en plein schisme monophysite qui a fait beaucoup de dégâts en Terre Sainte) et elle, touchée par sa sainteté, retourna à Jérusalem et devint une bienfaitrice en faisant construire monastères et basiliques, dont celle de Saint-Étienne, future École Biblique. Il ne reste plus grand-chose de la tour et du monastère de Saint-Jean-le-Scholarios qui lui succéda.
Il y a 98 ans et 3 jours exactement (20 février 1918), les soldats anglais, venant de Bethléem, ont délogé de là une petite garnison turque avant d’aller s’emparer de Jéricho…
À ce moment-là, bien que le vent soufflât de l’est, les nuages nous ont dégringolé dessus par l’ouest… et nous avons eu droit à une belle averse.
Nous sommes descendus du promontoire du Djebel Muntar, trempés, et avons continué, sans crainte, notre marche. Le soleil a, peu à peu, fait son apparition. Un peu plus loin, nous devinions la masse d’Hyrcania, le but de notre randonnée. Avant de nous approcher de cette forteresse, nous avons fait un
Monastère de Spelaion
détour vers le monastère de Spelaion (si je vous dis que ce mot grec a donné en français le mot “spéléologie”, vous n’avez pas besoin de traduction). Nous nous sommes approchés du wadi Sokoka, qui coulait un peu en amont à cause de la pluie. Le monastère, ou ce qu’il en reste (il a plus de 1500 ans !), est construit à flanc de rocher et même creusé dans la falaise. On voit encore des citernes, des cellules. En revenant à notre point de départ, nous avons constaté que l’eau coulait maintenant dans le fond du vallon… En quelques minutes, le flot avait grossi et était descendu dans le wadi. Le wadi Sokoka descend, traverse la grande plaine de Buqei’a, rejoint le wadi Qumrân et se jette dans la Mer morte en dessous du fameux site archéologique.
Hyrcania avec l'aqueduc au 1er plan
Une fois revenus, nous avons regardé un peu mieux les restes d’aqueduc. Quand on sait qu’Hyrcania fut réaménagée par Hérode, on ne s’étonne pas d’y trouver un réseau d’alimentation en eau… Sur un mamelon rocheux, Jean Hyrcan qui régna sur la Judée de 134 à 104 av. J.-C., édifia un palais-forteresse. Utilisée aussi par sa belle-fille, Salomé Alexandra, la forteresse sera finalement prise par Gabinius lors de l’arrivée des Romains (en 57 av. J.-C.).
Hérode réaménagea somptueusement le site. C’est là qu’il exila son fils Antipater et qu’il le fit exécuter, cinq jours seulement avant sa propre mort…
Plus tard, un monastère appelé Castellion fut installé et compose la plus grande partie des vestiges visibles au sommet. Le monastère fut abandonné au Moyen Âge et une tentative de reprise de la vie monastique par les moines de Mar Saba a avorté dans les années 1920 (les Bédouins ont utilisé tous les moyens possibles pour dissuader les moines de revenir !).

La plaine de Buqei’a

Il était déjà midi passé et nous sommes montés au sommet pour déjeuner. L’avantage de la météo couverte fut de pouvoir manger en plein air et sans être écrasés par la chaleur. J’avais amené des nougats que j’ai partagés avec mes condisciples (de provenance paroissiale, ce sont simplement les meilleurs du monde ; les étudiants ont été conquis : Philippe et Pierre seront contents). Ensuite, nous avons exploré le site : quelques mosaïques (la taille des tesselles est caractéristique de l’époque byzantine) ; des citernes, des murs… En contrebas, nous admirons les reste du système d’alimentation en eau (pierres hasmonéennes, hérodiennes et byzantines). À côté de la forteresse, nous montons sur un piton rocheux où on voit clairement des traces de construction. Serait-ce le mausolée d’Antipater ?
De là, nous avons vu un grand troupeau de chèvres qui a emprunté l’aqueduc (devenu caproduc pour l’occasion !).
Le fameux caproduc
Et nous sommes descendus. Hyrcania est en contrebas du Djebel Muntar et il faut monter un tout petit peu pour y arriver mais, à l’est, on domine de très haut la plaine de Buqei’a qui s’étend sur une vingtaine de kilomètres du nord au sud et jusqu’aux falaises de la Mer morte à l’est. C’est vertigineux.
Il a fallu marcher un moment sur du plat (style green de golf) et nous avons vu quelques chameaux. Mon inquiétude allait croissante… Mes chaussures (de la m…douille achetée pas cher, rue de Jaffa en novembre) se décomposaient littéralement sous mes pieds… La boue du chemin n’aidait pas et nous faisait comme des semelles de cosmonautes. Dans la plaine, nous avons retrouvé notre bus. Nous étions heureux mais je ne pense pas que la joie était partagée par le chauffeur : malgré nos efforts de décrassage, nous avons tous mis de la boue dans son beau bus.
Hyrcania vu depuis la plaine de Buqei’a
Avant de retrouver la route principale, petit arrêt à Nebi Musa. Nous entrons dans la cour du caravansérail à l’instant où le muezzin (électronique !) lançait l’appel à la prière.
À quatre heures, nous étions à l’ÉBAF et un quart d’heure plus tard, j’étais à la maison. En fin d’après-midi, réunion des étudiants à l’École puis j’ai filé rue de Jaffa acheter une paire de chaussures de marche : encore de la m…douille mais ça me durera bien les trois mois qui me restent à passer dans le pays. Trois mois, c’est le temps qui me reste ici… Va pas falloir chômer… En soirée, je rédige ce message et trouve sur Internet un rapport de l’Académie des Inscriptions et Belles Lettres (AIBL), associée à l’ÉBAF, daté de 1934, dans lequel on évoque une excursion dans « le désert de Juda par la tour d’Eudocie et le Castellion (Hyrcania) » (p. 35). Renseignements pris auprès de notre professeur, j’apprends qu’à l’époque, l’excursion se faisait à dos d’âne à partir de Jérusalem… C’était la grande époque.
Bon et saint carême à vous ! Que les paroissiens de Venasque et Saint-Didier profitent bien de leur journée jubilaire samedi.
À bientôt,
Étienne+

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