mardi 31 mai 2016

Et il était dans les déserts (Lc 1,80)

καὶ ἦν ἐν ταῖς ἐρήμοις
kai èn en tais erèmois

Chers amis, 
Après une dernière journée de bibliothèque ce lundi avec un dernier survol bibliographique (revues, livres…), j’ai rangé mon bureau : en effet, la bibliothèque de l’ÉBAF est fermée tout le mois de juin, son accès étant alors réservé aux résidents de l’École mais pas à ceux de l’extérieur… Dans la soirée, repas dans une pizzeria tenue par des chrétiens près de la rue Saladin, avec quelques étudiants, et deux de nos profs du séminaire sur la Samarie du mois de novembre. Ce fut très sympa, très libres et on a bien rigolé. On a évoqué nos travaux respectifs, notamment une modélisation informatique du lit du Nil au cours du temps, à partir de données informatiques. On est rentrés bien tard, trop en tout cas pour aller voir les illuminations.
Le lever de ce matin, à l’heure habituelle, fut un peu difficile… Mais j’avais rendez-vous avec Michelle et Marie des Neiges pour une visite archéologique exceptionnelle… Annemieke, une néerlandaise expatriée, nous a rejoints. Pour honorer la fête de la Visitation, nous ne sommes pas allés à Ein Karem, lieu traditionnel de cet événement évangélique mais nous avons tout de même rendu visite à un sanctuaire qui honore la mémoire du Précurseur.
À sept kilomètres à l’ouest d’Hébron, à un kilomètre au sud-est du village de Taffūḥ (en hébreu Tapuaḥ = “Pomme”), ʿAin el-Maʿmoudiyeh (la source du baptême) tire son nom de Jean le Baptiste (Yaḥya al-mûʿamidan). Selon la tradition byzantine, au moment du massacre des saints Innocents, Élisabeth cacha son fils de la colère d’Hérode dans une petite grotte près d’Ein Karem, là où se dresse désormais le couvent de Saint-Jean du Désert. La tradition affirme qu’elle se rendit ensuite en secret à Hébron, où Jean grandit et commença son ministère. Cette tradition situe ces événements à ʿAin el-Maʿmoudiyeh, où nous sommes allés.
Plan du site

Une bonne heure de route pour nous rendre à Hébron, du côté de Taffūḥ, on a tournicoté pour trouver le lieu qui se trouve au fond d’un wādī. Arrivés sur place, on se demandait si on était arrivés car on ne voyait personne : l’équipe de fouilleurs était cachée sous les plans de vigne qui abritent le site. Ces plans de vignes sont assez haut (1,6 m) et procurent une ombre salutaire en cette saison…
Le site a été identifié par un allemand sur la base du toponyme arabe et fouillé par l’École biblique en 1945-46, notamment par le fameux P. de Vaux (le premier fouilleur de Qumrân).
Chapelle baptismale
La petite équipe de fouilleurs est constituée de Bertrand, que je connais de l’École biblique ; c’est lui le responsable de la fouille. Son épouse Solène le seconde, ainsi que Jérôme (plus habitué à l’âge du Bronze dans les steppes d’Asie), et Marie-France, jeune retraitée dynamique qui met à profit son temps libre pour un master d’archéologie à la Sorbonne ! Une bonne équipe de Palestiniens est là aussi : fonctionnaires du ministère du Tourisme (dont un spécialiste des mosaïques qui parlait trois mots d’italien), étudiants en archéologie de l’université d’Hébron et quelques jeunes du village de Taffūḥ : en tout, une douzaine de personnes. Il est toujours important d'avoir des locaux sur un chantier de fouilles : ici, par exemple, les villageois sont persuadés qu'il y a un trésor caché dans le site et que les archéologues ne sont que des chercheurs de trésors. Parfois, la nuit, les habitants des environs peuvent venir fouiller à leur manière, selon leur technique, à la recherche du "trésor perdu de Yaḥya al-mûʿamidan"...
La fouille est répartie sur trois sites distants de quelques dizaines de mètres. Le premier est la source proprement dite. D’abord, Solène nous a montré une petite chapelle du vie siècle (règne de Justinien, 527-565) à une seule nef (6,5 m x 3,2 m), construite avec de gros blocs très bien taillés [cercle rouge sur le plan]. Près de l’abside, une cuve baptismale ronde de plus de 1,5 m de diamètre, avec une volée de cinq marches. La cuve est alimentée directement par la source. Nous avons bu l’eau de cette source bien fraîche et désaltérante (dans le pays l’eau a souvent un goût de javel, ici rien de tel). La cuve baptismale enthousiasme les gens, mais pour moi, curé de Venasque, ça n'est pas si impressionnant...
À côté de la chapelle, on distingue des départs de murs, mais tout cela est caché par des terrains agricoles, les routes et des travaux de “restauration” réalisés en 2010. La fouille à cet endroit s’est bornée à quelques sondages sous la vigne (il a fallu convaincre le propriétaire que la fouille n’endommagerait pas son bien). Un deuxième bassin a été découvert à gauche de la fontaine avec une rigole enduite et le coin d’un troisième bassin. La fouille n’est pas très profonde et n’a pas permis la découverte de beaucoup d’objets anciens (surtout des tessons de céramique).
Édicule byzantino-croisé
À une cinquantaine de mètres au nord-ouest, Jérôme a présenté le site de l’édicule (rond vert). Tout d’abord une installation byzantine, remaniée plus tard à l’époque des croisés. Les voûtes sont belles et larges et montrent une technique éprouvée. On suppose que c’est un petit moustier qui desservait le site baptismal. Dans la voûte, on remarque une jolie ouverture quadrilobée, typiquement médiévale, mais évoquant aussi la forme de certains baptistères byzantins (celui de Tabgha). Au sol, un petit morceau de mosaïque ornée (0,66 x 0,33 m) de l’époque byzantine.

Khirbet ed-Deir
Enfin, Marie-France nous a accompagnés au sommet de la colline à l’est où Bertrand achevait les relevés d’un fortin appartenant au même ensemble (rond bleu). C’est un bel ensemble de 10 m sur 12 m. Le toponyme arabe est Khirbet ed-Deir, la “ruine du monastère”. Mais en fait de monastère c’est un peu petit. Les murs sont faits de belles pierres très bien taillées et agencées avec soin. Il n’y a qu’une seule entrée surmontée d’un linteau décoré d’un joli médaillon… En regardant bien, ce médaillon me rappelait quelque chose…
L’un de vous saura-t-il me dire où ce médaillon a été reproduit ? Une plaquette de chocolat au premier qui donne la réponse en commentaire !

Sinon, la fermeture de ce fortin est assez impressionnante : une énorme pierre ronde de 2 mètres de diamètres glissait le long d’un rail pour bloquer le passage. Sinon, la porte était solidement fortifiée. À quelque distance de là, Bertrand a dégagé une sorte de pressoir, un lieu d’extraction de pierres… C’était magnifique.
En redescendant, nous avons eu la surprise de voir une nichée de petits perdreaux traverser la route devant nous ; ils avaient dû sortir de l’œuf depuis quelques jours seulement. Puis nous avons rejoint le premier site et remercié nos hôtes qui se sont démenés pour nous accueillir. Merci à eux. Vous pouvez voir quelques photos sur la page Facebook de l'IFPO qui dirige la fouille.
Retour à Jérusalem et sieste monumentale cet après-midi ! 
À bientôt, les perdreaux ! 
Étienne+
Logo, repris du linteau de Khirbet ed-Deir

dimanche 29 mai 2016

Pour l’affliction, un poème (Ps 88,1)

לענות משכיל 
leˁannôt maśkîl

Chers amis,
Vendredi soir, je pensais aller faire un petit tour en Ville pour admirer les illuminations… Mais c’était Shabbat, et donc pas de lumières… En revanche, samedi soir ! la foule était extrêmement dense.
Samedi matin, à la bibliothèque… Calme, je commence à ranger ma table et à rapatrier mes affaires au Collège.
L’après-midi, j’ai profité des températures douces pour aller me promener. Consulat de France, Ancienne gare, Avenue Koenig et ainsi de suite jusqu’au monastère de Mar Elias, qui se situe sur une crête à mi-chemin de Jérusalem et Bethléem. Il est occupé par des moines orthodoxes et commémore un arrêt du prophète Élie sur la route du Sinaï. Entre 1949 et 1967, le monastère était situé sur la ligne verte de cessez-le-feu, côté jordanien. Sur la petite butte derrière le monastère, on voit encore les installations militaires jordaniennes. Depuis la butte, on a une vue imprenable sur Jérusalem-Ouest et on comprend les Jordaniens de s’y être installés. Au sud, c’est Bethléem et plus loin, l’Hérodion. À l’est, on voit l’énorme colonie israélienne de omat Shmuel : cela ressemble à une cité futuriste dans un film de science-fiction. J'ai prié un bon moment, c'était un petit pèlerinage élianique.
Jérusalem vue depuis la colline de Mar Elias
En revenant, je croise une joggeuse sortie tout droit d’un sketch des Inconnus (bandeau fluo, tee-shirt fluo, short fluo et baskets fluo) qui m’avait doublé deux heures plus tôt, près de l’ancienne gare… Pendant mes balades, il m’arrive souvent de croiser à plusieurs reprises les mêmes personnes.
Je suis revenu par la promenade Haas, Abu Tor, Yemin Moshe.
Ce soir-là, les Frères ont regardé la finale Real/Atletico : de ma chambre,
Fontaine du Muristan
j’entendais le Frère Rafael (burgalais, inconditionnel du Real) qui poussait des cris à chaque occasion de but… Je suis aussi allé admirer les illuminations : j’ai suivi le chemin bleu qui passe dans la très étroite (1,5 m) rue du foyer maronite et serpente dans le quartier chrétien (il n’y avait pas de vraies illuminations mais les magasins étaient ouverts). Seule la fontaine du Muristan était éclairée en bleu avec des abat-jour XXL très kitchs. Pour compléter la déco, il y avait juste une bonne dizaine de policiers. Le chemin se terminait dans le cardo, au milieu du quartier juif. Rentrer à la maison a représenté un beau défi : des barrières de partout pour obliger les gens à circuler dans le même sens. Je suis donc passé par les toits, ça m’a fait gagner du temps. En redescendant, j’ai été bloqué par une barrière et le bonhomme m’a dit : « You can’t go this way » ; je lui ai répondu « No one asked your opinion » et je suis passé, il n’a rien dit…
Ambiances lumineuses dans la rue des Maronites
Ce matin, tram puis bus vers Abu Gosh. Cela fut un peu compliqué : j’attendais le 185 à l’arrêt près de la gare centrale. Un bus avec un voyant lumineux indiquant 185 arrive. Sur le pare-brise, il y a un pauvre écriteau où était péniblement écrit “187” (le type avait dû apprendre à tracer ses chiffres la veille). En montant, je demande au chauffeur « Abu Gosh » (en raclant un brin le g), il me répond quelque chose qui ne ressemblait ni à de l’hébreu, ni à de l’arabe, mais dans lequel je comprends Abu Gosh. Je monte, je paye. Je lis sur mon ticket “Ligne 192” et j’ai fini par descendre à l’entrée d’Abu Gosh à un arrêt de la ligne 195… J’ai marché une vingtaine de minutes, heureusement, j’étais en avance.
Belle messe, comme toujours.
J’ai vu les Agnès, Nicolas et leurs enfants qui m’ont invité à déjeuner à Ramallah. En voiture ! Ramallah n’est pas très loin mais le trajet prend du temps puisqu’il faut aller chercher le check-point de Gib… Repas excellent et soigné (sauf le “saignant” qui ressemblait plutôt à du “cuit”, mais la viande était savoureuse – ça changeait du poulet et du kebab).
Mausolée de Yasser Arafat
Après le repas, on a discuté un bon moment puis Agnès m’a emmené faire le tour des curiosités de la capitale palestinienne. Tout d’abord le mausolée de Yasser Arafat, c’est un petit bâtiment cubique au milieu d’un espace large. L'arête du mausolée mesure 11 mètres pour évoquer la date du décès de Yasser Arafat (11/11/2004). La pierre tombale est gardée par deux policiers, qui ne sourient JAMAIS !!
Un policier nous a accompagnés, il parlait réellement trois mots d’anglais, mais il était très sympa. J’ai demandé à voir la mosquée qui jouxte le mausolée, d’une sobriété quasi cistercienne (c’est assez rare en Palestine pour pouvoir être noté !). Derrière le mausolée, se trouve la Mouqata’a, le palais présidentiel de Palestine.


Puis le petit musée Mahmoud Darwish, le grand poète palestinien proche de Yasser Arafat. Le musée est tout petit mais présente quelques objets ayant appartenu au poète (mort en 2008). Il est un des rédacteurs de la déclaration d’indépendance de la Palestine écrite en 1988. Sur une photo, on le voit avec Jean-Paul II. Je vous laisse cet extrait d’un discours, prononcé en 2003 :

Mais nous souffrons d’un mal incurable qui s’appelle l’espoir. Espoir de libération et d’indépendance. Espoir d’une vie normale où nous ne serons ni héros, ni victimes. Espoir de voir nos enfants aller sans danger à l’école. Espoir pour une femme enceinte de donner naissance à un bébé vivant, dans un hôpital, et pas à un enfant mort devant un poste de contrôle militaire. Espoir que nos poètes verront la beauté de la couleur rouge dans les roses plutôt que dans le sang. Espoir que cette terre retrouvera son nom original : terre d’amour et de paix. Merci de porter avec nous le fardeau de cet espoir.
Puis il fut temps de rentrer à Jérusalem… Mais aussi de dire au-revoir à ces amis devenus chers : depuis le barbecue au monastère de l’Emmanuel, à l’excursion dans le Néguev en passant par la messe de Noël et les randonnées dans le Wadi Qelt… que de rencontres et de souvenirs, que j’espère entretenir !
Je suis arrivé au Collège, au moment où une grande foule était réunie dans la cour pour la procession mariale de la fin du mois de mai : Ave Maria de Lourdes en arabe, les scouts, les filles en enfants de Marie qui portaient la statue de la Vierge Marie, les franciscains presque au complet et la foule des fidèles.
Soirée calme et brève…
À bientôt,
Étienne+

vendredi 27 mai 2016

Les nations marcheront vers ta lumière (Is 60,3)

והלכו הגוים לארך 
wehalkhû gôyim leˀôrekh

Chers amis,
Mercredi, journée ordinaire. En fin d’après-midi, conseil d’École où je siège en tant que délégué des étudiants. C’était le dernier de l’année académique, pas fâché d’être délivré de cette servitude.
En soirée, un barbecue avait été organisé pour les étudiants et professeurs. Soirée sympathique dans le parc de l’École.
En rentrant, il y avait quelques réjouissances dans la rue Ha-Ayin Heth (mon chemin de l’École). Du côté de l’école de photographie, c’était plutôt bobo. Il faut dire que la rue a une tradition assez artiste et contestataire (avec les Panthères noires). Mais il y a aussi quatre synagogues dans la rue qui sont souvent des extensions du quartier ultra-orthodoxe de Mea Shéarim… Je me disais donc que les ultras n’étaient pas nécessairement heureux de ces festivités. En fait, ils étaient rassemblés dans le terrain vague à l’autre bout de la rue, là où la police montée stationne habituellement.

Et ils célébraient Lag Ba’Omer, une fête juive d’institution rabbinique qui a lieu le 18 Iyar, soit 33 jours après Pessa’h. La signification de cette fête est obscure bien qu’elle fasse souvent appel à un grand feu de joie autour duquel les gens dansent, avec un pique-nique familial ; elle serait liée à la bravoure, notamment celle de Bar Kokhba, le fameux chef de la deuxième révolte juive contre Hadrien en 132-135 ap. J.-C. En passant, nous avons pensé au feu de la Saint-Jean d’été.


Jeudi, journée à la bibliothèque.

Le soir après le repas, je suis allé me balader dans la Vieille Ville, depuis huit ans, la municipalité a organisé un festival de la Lumière.
Des lieux de la Vieille Ville et de la rue de Jaffa sont illuminés de diverses manières. Sur le chemin de l’École, je passe devant des pissenlits géants faits de bouteilles en plastique recyclées ; sur la place derrière le Collège, un enchevêtrement de voitures évoque les embouteillages de Jérusalem.
Pour les Français, cela n'est pas sans évoquer la Fête des Lumières” de Lyon. Il y a même une installation de cette année qui a été testée à Lyon en 2014, selon le dépliant mis à disposition des promeneurs. J'ai plutôt l'impression que l'on RECYCLE une illumination de Lyon
Les illuminations sont belles mais les explications des “artistes” sur le sens à leur donner me semblent vraiment fumeuses…
Mais je dois vous avertir : ermites, ochlophobes et misanthropes s’abstenir… Cette manifestation draine des foules nombreuses, des familles, des touristes qui viennent de tout le pays pour être là à ce moment… Différents itinéraires sont proposés autour et dans la Vieille Ville… On suit une guirlande lumineuse colorée. Du coup, on suit aussi le flot des badauds…

Voici ce que ça peut donner sur la façade du Christian Information Center, rêveries avec le Petit Prince.
Aujourd’hui, vendredi, bibliothèque. Je suis allé dire la messe à l'Ecce Homo... Comme c'est mon dernier vendredi à Jérusalem, je commence un peu la semaine des dernières fois... Pour rentrer à l’ÉBAF, il m'a fallu de la patience.
À bientôt,
Étienne+