mercredi 30 mars 2016

Les rois de la terre ne croyaient pas (Lm 4,12)

לא האמינו מלכי־ארץ
Loˀ heˀěmînû malekê-erets

Chers amis,
Aujourd’hui, mercredi, c’est la reprise. Après six jours de célébrations diverses, d’interruption des cours et de fermeture de la bibliothèque, tout reprend. Demain, les étudiants partent en voyage archéologique dans le Néguev mais je reste à “Patmos”.
Sinon, depuis lundi soir, après le retour d’Emmaüs-Qubeibeh, je suis allé dîner avec des amis dans un restaurant géorgien. L’une d’entre nous y a fait deux séjours et se passionne pour ce pays : j’ai pu le constater lorsqu’elle a fait le commentaire de la carte du resto. J’ai craqué pour le khatchapouri (ხაჭაპური en géorgien) adjaruli : la pâte à pain est façonné en forme de bateau et on la remplit de fromage (suluguni) fondu avec un œuf et une noisette de beurre. Ça câle ! Le repas était sympa et bien animé.
Du coup, on s’est mis d’accord pour aller visiter deux expos du Musée d’Israël le lendemain après-midi.
Le matin, je suis allé à Ramallah. Cette ville à une douzaine de kilomètres de Jérusalem est la capitale “de fait” de l’autorité palestinienne. Ce n’est pas très loin mais le fait de franchir une frontière (et quelle frontière !) impressionne souvent. En fait, c’est très simple d’y aller. On prend le bus 218 à la gare routière devant l’École Biblique. Et le bus dépose les gens sur son trajet lorsque ceux-ci déclenchent la sonnette au-dessus de leur siège. Me voilà déposé au terminus, proche du centre. Et je vois que le monde a changé, on est vraiment en Orient : Jérusalem, c’est une ville occidentale déguisée en ville orientale, un Levant propre et fréquentable pour Européens angoissés. Mais à Ramallah, mon navigateur GPS fonctionne, j’ai donc pu m’en servir pour me diriger vers mon but. Avant 10 heures du matin, la ville dort… Il n’y a pas beaucoup de monde dans les rues, les magasins sont fermés. J’ai demandé ma route à des passants : très gentils, ils font tout pour aider mais leur maîtrise de l’anglais ne leur permet pas de détailler les informations et ma “maîtrise” de l’arabe ne permet pas de converser dans cette langue…
Je passe devant l’hôtel Mövenpick dont je découvre enfin la façade de jour (après trois visites nocturnes). Je trouve le Grand Park Hôtel, à côté duquel se dresse l’ambassade de Jordanie auprès de l’autorité palestinienne… Eh oui, c’était pour la Jordanie que je suis allé à l’ambassade. En effet, Julie, une amie de Carpentras, travaille dans l’humanitaire à Amman et, avec son mari Arnaud, ils ont eu une petite Manon en décembre dernier. Ayant appris ma présence à Jérusalem, ils m’ont demandé de la baptiser. Rendez-vous a été pris pour les Pâques juliennes, le 1er mai, sur les bords du Jourdain. Et pour cela, j’avais besoin d’un visa. Des amis m’ont donné un formulaire que j’ai rempli et apporté à l’ambassade. Et en une demi-heure, le tour était joué. Retour à Jérusalem par le même chemin. Le retour se fait en deux temps, le bus nous accompagne jusqu’au check-point de Qalandia qu’il franchit et nous dépose derrière. Qalandia, c’est le gros check-point entre Jérusalem et Ramallah. Je l’avais franchi à pied en 2007 et j’en avais été impressionné. Le « manège désenchanté » avais-je dit à l’époque. Même si le moyen de passage a un peu évolué, c’est toujours impressionnant. La représentation muette de Guy Delisle, dans Chroniques de Jérusalem, donne une image suggestive de ce point de passage.
J’arrive vers midi à la maison. Je célèbre la messe.
Rendez-vous avec mes amies à 15h30 en bas de la rue de Jaffa. Nous rejoignons le Musée d’Israël, qui s’ouvre en nocturne le mardi soir (16h00-21h00). Nous avions pour but de visiter deux expositions temporaires présentées en ce moment au Musée.
 
Porte du palais de Beth Shéan
Nous avons commencé par la plus importante : Pharaoh in Canaan: The Untold Story, « Pharaon en Canaan : silence de l’histoire ». Plus de 680 objets provenant des collections du Musée d’Israël et d’autres institutions, dont le Louvre, sont rassemblés pour évoquer les relations entre Canaan et l’Égypte à l’âge du Bronze (en très gros, le iie millénaire av. J.-C.). Curieusement, un certain nombre d’objets proviennent du musée Rockefeller mais ne sont jamais identifiés comme tels (par exemple les vestiges de Beth Shéan).
Pendant cette période, Canaan n’appartenait pas à l’Égypte mais était constitué d’une myriade de petites cités-états dont les rois étaient des vassaux de Pharaon. On a donc retrouvé ici et là des objets de facture égyptienne. Lors de notre périple galiléen en novembre dernier, nous avons visité Megiddo, lieu d’une bataille qui opposa Thoutmosis III à une coalition syro-palestinienne commandée par le roi de Qadesh. On la date traditionnellement du 9 mai 1457 av. J.-C. Pharaon voulait s’assurer le contrôle de Canaan. Thoutmosis III a fait inscrire le récit de la campagne militaire sur le mur du temple de Karnak.
Stèle de Séthi 1er, Beth Shéan
Nous avions aussi visité le site de Beth Shéan et notamment le tell au sommet duquel un bâtiment imposant a été découvert. Il est considéré comme le palais du gouverneur égyptien de la ville au xiie siècle av. J.-C. Les vestiges ont été disposés de manière à évoquer la porte d’entrée du palais ainsi que les colonnes qui soutenait la charpente et dont on a retrouvé les chapiteaux en forme de fleur de papyrus.
Autres documents intéressants : les fameuses lettres d’el-Amarna. C’était la capitale égyptienne au xive siècle, sous le règne du pharaon Akhenaton, qui avait institué le culte unique du dieu soleil. Dans les ruines de la cité antique, les archéologues ont découvert, à partir de 1887, près de 400 tablettes d’argile, grosses comme le poing, écrites en cunéiforme qui documentent les relations de l’Égypte avec ses vassaux en Canaan… Les roitelets locaux écrivaient au roi pour lui rendre des comptes et, très souvent, se plaindre des voisins et des brigands. Pour s’adresser au Pharaon, ils savaient y mettre les formes et ne lésinaient pas sur la pommade et la brosse à reluire : « mon roi, mon dieu, mon soleil », « je me prosterne 7 fois et 7 fois », « j’ai regardé à droite et à gauche et il faisait sombre ; je t’ai regardé, et ce fut la lumière »… Ainsi, on a pu connaître le nom du roi de Jérusalem à l’époque : Abdi-Heba.
Couvercle de sarcophage
Vases égyptiens
D’autres endroits de l’expo présentaient les influences religieuses mutuelles des deux pays : divinités cananéennes intégrées au panthéon égyptien et divinités égyptiennes vénérées en Canaan. On voit aussi beaucoup de scarabées votifs, des vases à maquillages, des pièces de céramiques (beaucoup en albâtre)… Il y a aussi des sarcophages en terre cuite où l’influence égyptienne est frappante.
À la fin, un petit documentaire sur l’un des premiers alphabets connus : le proto-sinaïtique (ou proto-cananéen). Sur un site minier dans la péninsule du Sinaï, les mineurs avaient édifié un petit sanctuaire à Hathor, déesse égyptienne. Des inscriptions ont été découvertes et déchiffrées. Cet alphabet a inspiré les alphabets phénicien, hébreu et, plus lointainement, le nôtre. À la fin, un petit ordinateur permettait d’écrire son nom en proto-sinaïtique et de s’envoyer par courriel l’image ainsi créée. Voici ce que donne Étienne.
Deuxième exposition, Hadrian: An Emperor Cast in Bronze « Hadrien, un empereur coulé dans le bronze ». En 1906, devant l’École Biblique, une inscription monumentale fut découverte. Nos braves pères se sont dépêchés de faire les relevés de l’inscription qui a disparu et a fini par atterrir après quelques péripéties dans les collections du Musée de la Flagellation, chez les Franciscains. Il y a deux ans, à quelques mètres du lieu de découverte de la première pierre, on a retrouvé un autre fragment de l’inscription qui put ainsi être datée précisément et attribué à l’empereur Hadrien. Pour la première fois, les deux fragments sont présentés ensemble. Cette inscription semble provenir d’un monument officiel en l’honneur de l’empereur : il pourrait avoir déclenché la deuxième révolte juive en 132 ap. J.-C.
Inscription d'Hadrien à Jérusalem
A gauche la partie trouvée en 1906; à droite, celle découverte en 2014

On a aussi rassemblé les trois bustes en bronze connus de l’empereur. Le premier provient du Musée du Louvre mais sa provenance est inconnue. Le deuxième, le plus beau, fut découvert à Beth Shéan en 1975 : le torse apparaît avec la cuirasse. Le troisième fut trouvé en 1834 dans la Tamise à Londres. L’analyse de ces bustes en bronze montre des traits bien individualisés ; on a découvert aussi une déformation du lobe des oreilles, signe d’une maladie de l’artère coronaire dont Hadrien semble avoir souffert (les historiens anciens évoquent certains symptômes de cette affection).
Un petit documentaire explique en quelques minutes la technique du bronze “à la cire perdue”. C’est intéressant.

À la fin, deux éléments importants aussi pour la compréhension de l’empereur. La deuxième révolte juive a été réprimée très violemment par Hadrien. Des découvertes archéologiques ont retrouvé les traces du meneur de la révolte, Simon bar Kokhba (fils de l’étoile) que des rabbins de l’époque avaient reconnu comme le messie d’Israël, avant que sa défaite ne le fasse rejeter. On voit donc une des lettres de Bar Kokba et des objets découverts dans les grottes où il se cachait avec ses partisans (comme celle du Wadi Muraba’at, visitée en janvier dernier). Parmi ces objets, des clefs. Le panneau explique :
Quand tout espoir de victoire disparut, rebelles et civils cherchèrent refuge dans des grottes du désert de Judée. Dans l’espoir de retourner chez eux une fois la guerre achevée, ils avaient fermé les portes de leurs maisons et emporté la clé dans leur fuite, ainsi que des objets précieux, des armes, des documents officiels. Mais ils ne devaient jamais revenir. Leurs clefs et leurs sandales, gisant à côté de leurs restes, témoignent de leur tragique destin.
Buste d'Hadrien, trouvé à Beth Shéan
C’est drôle, l’autre jour à Bethléem, j’ai vu quelque chose d’exactement semblable, moins ancien certes (70 ans seulement) mais pas moins tragique. En 1948, de nombreux Palestiniens ont fui leur maison en emportant la clef dans l’espoir d’y revenir une fois les hostilités terminées. Depuis lors, ils conservent ces clefs comme signe de leur exil. On en voit parfois au-dessus des portes des magasins de souvenirs.
Autre détail qui, lu à la lumière de la situation actuelle, laisse songeur : la présentation du Mur d’Hadrien. Hadrien fit construire par ses légions un mur à la frontière nord de la province romaine de Britannia. Voici la présentation :
Ce rempart était non seulement une structure défensive, construite pour « séparer Romains et Barbares », mais fut également une barrière de sécurité brutalement efficace qui a donné à Rome le contrôle économique de la région. Le mur d'Hadrien fut autant un outil concret de la domination romaine qu’un symbole agressif de la puissance de Rome.
Là aussi, « toute ressemblance avec des personnes ou des situations existantes ou ayant existé ne saurait être que fortuite et indépendante de la volonté de l’auteur ». La capacité de certains à ne pas voir les relations, les similitudes de relations entre les choses, dès lors que ça touche au conflit qui déchire ce pays.
Nous avions un peu de temps avant la fermeture du musée : nous voulions aller voir l’exposition ננו ויהי « Et le nano fut ». L’intégralité de la Bible hébraïque a été gravée, en utilisant les nano-technologies sur une puce électronique de la taille d’un grain de sucre (un grain, pas un morceau !). Il faut agrandir le texte 10 000 fois pour être capable de le lire. Cette “plus petite bible du monde” était présentée au sanctuaire du Livre. Du coup, nous avons visité l’exposition permanente sur les manuscrits de la Mer morte, ainsi que le Codex d’Alep. Une fois sorti de là, la salle de la nano-Bible était fermée. Nous avons vu de très loin, à travers les portes de verre, le grain de sucre.
Retour vers la rue de Jaffa et repas dans une gargotte, un restaurant de soupe. La salle était bondée et nous avons donc pris place sur le trottoir, au frais. Dans la salle, un batteur, un guitariste et un contrebassiste enchaînaient les bœufs. La situation sur le trottoir nous a permis de parler. La clientèle du resto est très bobo : je devais être le garçon aux cheveux les plus courts. Beaucoup de garçons avaient des dreadlocks ou des chignons ; les filles étaient vêtues de houppelandes en peau de mouton… En revanche, la soupe de patate douce était un vrai délice.
Ce matin, reprise… Messe à 6h30 (avec l’oraison avant !) et cours sur l’histoire hérodienne.
À bientôt,
Étienne+

lundi 28 mars 2016

Reste avec nous (Lc 24,29)

μεῖνον μεθ᾽ ἡμῶν
Meinon meth’ hèmôn

Chers amis,
Comme annoncé hier, je suis allé à Emmaüs aujourd’hui… La question archéologique est un peu difficile. En effet, dans le texte de saint Luc (24,13-35), les manuscrits dont on dispose ne disent pas tous la même chose. Certains évoquent une distance de 60 stades entre Jérusalem et Emmaüs (Lc 24,13), ce qui correspond à 11,1 km (1 stade équivaut à 185 m, chez les Romains en tout cas !). Certains autres manuscrits, et non des moindres, ont inscrit 160 stades (29,6 km). L’existence d’un village nommé Emmaüs est bien documentée par les historiens anciens mais on ne sait pas trop où il se situait… Il y a donc au moins trois Emmaüs différents (et même un quatrième !).
Vestiges de la "Maison de saint Cléophas"
Les Français connaissent bien l’Emmaüs des Croisés à Abu Gosh (situé à 12 km de Jérusalem, le chemin que j’ai pris l’autre jour était un poil plus long). À 30 km de Jérusalem, on trouve Emmaüs-Nicopolis qui fut indiqué par la carmélite sainte Mariam Baouardi et où on a trouvé les vestiges d’une basilique byzantine. Le troisième Emmaüs est celui des Franciscains situé à Qubeibeh, un village de Cisjordanie et c’est là que nous sommes allés.
Rendez-vous traditionnel à Notre-Dame, à deux pas du collège à 8 heures, mais nous n’avons décollé qu’à 8h45 bien sonnées… Qubeibeh est à la bonne distance de Jérusalem (11 km environ) mais, situé de l’autre côté de la muraille de séparation, il faut faire une série de détours compliqués pour aller chercher le checkpoint de passage et rejoindre le sanctuaire. Le village s’accroche au sommet d’une colline et nos bus s’arrêtent devant l’église Saint-Cléophas. Nous sortons en vitesse pour rentrer dans l’église car il pleut à verse.

Le bâtiment a été construit en 1902 avant la tempête Barluzzi (Gethsémani, Dominus Flevit, les Béatitudes, Jéricho, Mont Thabor, Ein Karem, Bethphagé, champ des Bergers) dans un style néo-roman, assez sobre. La déco intérieur est un peu sulpicienne mais je pense qu’elle a été allégée depuis quelques années. Une partie de la nef et du bas-côté est occupée par les vestiges de la « Maison de saint Cléophas »… Le lieu avait été acheté en 1861 par une pieuse dame française, la marquise Paule de Nicolay, et donné aux Franciscains mais la tradition l’identifiant à Emmaüs était bien plus ancienne puisque c’est le nom du wadi qui coule en bas de la colline.
De nombreux prêtres sont venus se réjouir. Mais l’assistance était beaucoup plus locale que dans les célébrations du Saint-Sépulcre. Après le repas, je parlais au frère Stéphane en lui disant que c’était la première fois que je venais ici parce qu’en tant que français, j’ai un peu tendance à dire qu’Emmaüs est à Abu Gosh. Il m’a répondu : « Maintenant, tu vois où est l’Emmaüs des gens d’ici ! »
La messe était présidée par le custode (le même jour, le patriarche préside la liturgie à Emmaüs-Nicopolis : cela évite les doublons liturgiques des jours précédents) avec un mélange de latin et d’arabe.
À la fin de la messe, des paniers de pains apportés lors de l’offertoire sont bénis par le custode et distribués. Les gens partagent leur petite miche car c’est à la fraction du pain que les disciples reconnurent Jésus : le partage doit nous permettre de reconnaître Jésus.
Après la messe, petit coup d’œil sur le panorama des collines de Cisjordanie. C’est magnifique même si, ici ou là, on aperçoit misère et saleté. Je retrouve quelques connaissances et nous mangeons ensemble. Le repas est simple : poulet, riz un peu amélioré et un yaourt. Le yaourt est rarement mangé tout seul ici mais on le verse sur le riz. Cela adoucit les épices. Je mange de tout mais j’ai du mal avec le yaourt sur le riz. Le repas était bon mais manquait le café : or, avec mes amis, nous sommes un peu accros… En traversant le jardin, on est allé du côté du couvent et le Fr Stéphane nous a fait rentrer dans la salle où il y avait le café et le dessert.
Les Vêpres devaient avoir lieu à 14h30 mais pendant le repas, nous avons appris qu’elles étaient avancées à 14h00 et après le café, la cloche a sonné pour l’office à 13h30. Oui, nous avons dit les Vêpres à 13h30 (j’avais pas encore dit milieu du jour !). Le custode est toujours pressé même si j’ai trouvé que pour la célébration il avait pris son temps (À l’Épiphanie, on avait du mal à le suivre pour le récit de l’institution).

Pour honorer la dimension eucharistique du mystère d’Emmaüs, les Vêpres sont couplées à une exposition du Saint-Sacrement (je n’ose pas dire adoration car il n’y a pas vraiment eu de silence). J’avais trouvé place sur le marbre qui recouvre les vestiges de la maison de Cléophas. Mais le cierge pascal me cachait le Saint-Sacrement ! drôle de cachette.
Retour en bus assez rapide, malgré le passage au check-point. À 15h20, j’étais à la maison.
Le soleil est revenu.
Que le Seigneur ressuscité emplisse vos cœurs de son feu.
À bientôt,
Étienne+

dimanche 27 mars 2016

Dic nobis Maria, quid vidisti in via ?

Dis-nous, Marie Madeleine, qu’as-tu vu en chemin ? (Séquence de Pâques)



Chers amis,

« À quoi servirait-il de naître sans le bonheur d’être sauvé ? »

C’est cette joie du salut qui a résonné dans nos nuits pascales et qui est chantée aujourd’hui. La vie sur la terre aurait-elle un sens sans cette rupture de la Résurrection ?

Vous savez qu’en Orient, on se salue aujourd’hui avec ces mots :

– Le Christ est ressuscité ! Alléluia !   – Il est vraiment ressuscité ! Alléluia !

Mais ici, si vous le dites en français, vous ne serez vraisemblablement pas compris.

Voici donc l’hébreu : ! באמת קום !המשיח קום 
                               HaMashiaḥ qûm ! Beémet qûm !


Le grec : Χριστός ανέστη! Αληθῶς ανέστη!

              Christos anestè ! Alèthôs anestè !


L’arabe : المسيح قام حقا قام

              alMasi qam! Hakkan qam!


Le latin : Surrexit Christus ! Surrexit vere !

Sinon, hier l’après-midi fut calme. J’ai fait la sieste…

Les frères sont allés dans diverses veillées pascales. En fait, la maison est pleine ces jours-ci : trois frères de Bethléem sont venus. Américains, ils assistent aux offices intercommunautaires franco-anglais organisés par les Assomptionnistes (la Cène du Seigneur), le Chemin Neuf et les Sœurs de Sion (Ecce Homo pour le Vendredi Saint et la messe du matin de Pâques) et les Pères Blancs de Sainte-Anne (pour la Vigile pascale) alors que ceux de Jérusalem vont plutôt à la paroisse.

Du coup, j’ai mangé seul et dormi un peu avant de me rendre à la Basilique de l’Anastasis peu avant minuit pour l’office de nuit. Comme chaque nuit du samedi au dimanche, les Franciscains font mémoire de la résurrection du Seigneur avec l’office des lectures suivie des vigiles et de la procession autour du Tombeau. Comme je l’ai vécu il y a quelques semaines pour le quatrième dimanche de Carême.
En cette nuit l’office a lieu devant la tombe et de nombreux fidèles se sont joints aux franciscains. Il y a même des orthodoxes (on reconnaît les femmes au premier coup d’œil : elles portent un foulard qui les fait ressembler à des babouchkas russes !) mais c’est pas grave : nous honorons tous le Christ et sa Résurrection.
Le Christ notre espérance est ressuscité !
C’est le custode qui préside. Pour des raisons compliquées, dues à l’histoire et aux relations parfois difficiles dans le passé entre le custode et le patriarche, quand le patriarche préside, le custode est absent et vice-versa. Du coup, on a souvent des célébrations en doublon : le lavement des pieds de jeudi matin au Saint-Sépulcre par le patriarche est célébré à nouveau au Cénacle dans l’après-midi par le custode ; l’office de la Passion avec le patriarche est suivi par le chemin de croix guidé par le custode ; la vigile pascale est doublée par cet office nocturne.
La première lecture de l’office est, sans surpris, 1Co 15,1-11 : le témoignage de la résurrection par saint Paul. « Je vous ai transmis ceci, que j’ai moi-même reçu : le Christ est mort pour nos péchés conformément aux Écritures, et il fut mis au tombeau ; il est ressuscité le troisième jour conformément aux Écritures, il est apparu à Pierre, puis aux Douze ; ensuite il est apparu à plus de cinq cents frères à la fois – la plupart sont encore vivants, et quelques-uns sont endormis dans la mort –, ensuite il est apparu à Jacques, puis à tous les Apôtres. Et en tout dernier lieu, il est même apparu à l’avorton que je suis. »
La deuxième lecture est un extrait d’une catéchèse baptismale prononcée par Cyrille de Jérusalem au ive siècle.
Puis la procession s’ébranle au chant du Benedictus, l’antienne est répétée de nombreuses fois, l’orgue glisse des interludes… À l’étage, un arménien filme la procession avec son téléphone. On a l’impression qu’il cherche le réseau… Surprenant, car la rotonde de l’Anastasis est le seul coin de la Basilique où on capte. Les policiers israéliens ont une chandelle dans la main. Ensuite, l’évangile de la Résurrection est proclamé et nous sommes bénis par l’évangéliaire : c’est bien à nous de proclamer par nos actes et nos paroles cette Bonne Nouvelle.
Nous sortons de la Basilique alors que les Orthodoxes se précipitent sous la rotonde pour leur office.
Je cours me coucher… Grasse matinée et lever à 7h30 ! Youpi !

Je pars à la messe à la paroisse : je dois réviser mon المسيح قام حقا قام.
Dans la sacristie, je trouve sur un des buffets les trois récipients des saintes huiles de la messe chrismale de jeudi matin. Je m'approche de celui contenant le saint chrême : quelle déception, il ne sent que la bonne huile d'olive... Aucun parfum ne s'exhale. Je comprends mieux le phénomène de l'autre jour. Et moi qui avait fait mousser à Henri la bonne odeur du saint chrême... Nous avions même trouvé la recette dans la Bible : Ex 30,23-25.
Messe joyeuse, tout de même, à la paroisse. Le prêtre a fait répéter aux gens la salutation pascale, j'ai donc pu soigner ma prononciation. J'ai même rigolé, car il parlait et il a lancé la salutation et j'ai répondu "حقا قام" assez fort, presque par réflexe, alors que la foule avait seulement murmuré... Il m'a désigné en disant (au moins ce que j'en ai compris) : "Voilà comment il faut dire; lui il ne parle pas arabe mais il sait répondre comme il faut. Allez ! المسيح قام" Et la réponse de l'assemblée fut forte et ferme.
A la sortie, je rencontre une amie qui fréquentait la bibliothèque de l'École il y a 9 ans. Elle m'invite à prendre le café chez elle.
Je déjeune avec les Frères : la joie partagée est sensible même s'il faut passer la barrière des langues : 3 Colombiens, 2 Espagnols, 1 Basque, 2 Palestiniens, 2 Américains, 2 Australiens et 1 Néo-Zélandais... Et moi, le Frenchie de base. Suzanne la cuisinière a été opérée la semaine dernière et elle est revenue aujourd'hui : elle tenait à être là pour que le repas soit réussi. Bien qu'orthodoxe, elle nous a souhaité de joyeuses Pâques. C'était touchant de la voir si heureuse de faire plaisir.
Demain, les festivités continuent... Je pars à Emmaüs. Mais lequel? Vous verrez bien.

Avez-vous remarqué, c’est le 100ème article du blog ?

Étienne+