vendredi 25 mars 2016

Obéissant jusqu’à la mort (Ph 2,8)

ὑπήκοος μέχρι θανάτου
hupèkoos méchri thanatou

Chers amis,
Hier soir, après une rapide collation au Collège, je suis descendu avec fr Daoud et fr Jose Andres à Gethsémani. L’Heure sainte devait commencer à 21 heures, mais la Basilique était déjà pleine depuis un moment lorsque nous sommes arrivés. Je me souviens, il y a 9 ans, être entré dans la Basilique des Nations et avoir été suffoqué par l’atmosphère humide et lourde : impression d’entrer dans un vestiaire après un match ou encore (les mères de famille sauront de quoi je parle) un bus de scouts après trois semaines de camp… Là, ça pouvait encore aller, mais l’atmosphère a dû se charger rapidement.
Les franciscains arrivent, se disposent dans le chœur. Le custode et une douzaine d’autres franciscains vont dans la sacristie revêtir les ornements rouges : une chape pour le custode, une simple étole pour les autres. Ils vont symboliser le Christ et ses apôtres…
La prière commence dans le jardin de Gethsémani, où sont plantés des oliviers très anciens, peut-être des rejetons de ceux connus par Jésus. Le tout est retransmis sur des écrans géants dans et hors la basilique. Le custode entre avec ses “apôtres”. Il dit : « Vigilate et orate ut non intreris in tentationem » (cf. Mt 26,41 ; Mc 14,38 ; Lc 22,40.46). Le diacre répond : « Surgite, eamus ! » (Mt 26,46 ; Mc 14,42 ; Jn 14,31).
La veillée proprement dite commence. Le custode vénère le rocher de la basilique, lieu où selon la tradition, Jésus a souffert son agonie. Il répand une multitude des pétales de roses sur le rocher, pour symboliser la sueur de sang du Seigneur Jésus.
Des lectures évangéliques (trois fois l’arrivée à Gethsémani, trois fois la prière de Jésus, trois fois son arrestation...) alternent avec des chants et la récitation de psaumes, le tout en diverses langues... Peu de place pour un vrai silence... Dommage.
À la fin, le custode se retire... Une partie de la foule aussi mais se précipite d’abord dans le chœur de la basilique pour récupérer un des pétales. C’est un peu too much...
Je profite de la pression moindre pour m’approcher de la barrière du rocher et prier un moment. Au début, c’est difficile à cause des “chasseurs de reliques” puis ça se calme... Je ne tarde pas trop, la plupart des gens, surtout les locaux partent en procession vers Saint-Pierre en Gallicante, lieu traditionnel du palais de Caïphe et de la prison du Christ. Il y a 9 ans j’avais été un peu surpris par l’ambiance : chants, danses, vin chaud et compagnie. Peu compatible avec une veillée de prière.
Je rentre en vitesse au Collège, poste mon message sur le blog (la vidéo a mis un temps fou à charger...) Je me couche sans oublier de changer l’heure de mon réveil.
Ce matin, lever de bonne heure. Vers 7h25, je retrouve quelques volontaires devant Maria Bambina. Et nous voilà sur la place du Saint-Sépulcre, déjà bien pleine. Les choristes passent sans problème les barrières mais le vulgum pecus que nous sommes reste derrière. La basilique est fermée et n’ouvrira ses portes que pour laisser entrer les fidèles l’espace d’un instant. Il y a une certaine tension : le lieu du calvaire où le patriarche va célébrer est petit et tout le monde n’y entrera pas. Repérage des lieux : les bonnes sœurs sont manifestement placées aux endroits les plus favorables pour entrer les premières, juste après le cortège du patriarche. Elles démontrent aussi une habitude de la situation qui consiste à donner l’impression de se déplacer conformément aux indications de la police, sans pour autant céder un pouce de terrain : la piété autorise tout. À 8h, le cortège arrive... Les portes s’ouvrent suivant le cérémonial séculaire. Il y a 9 ans j’avais vu des barrières voler : la leçon a été retenue, des liens en plastique les solidarisent. On peut toujours perdre sa dignité en passant les barrières... Finalement avec le petit groupe, nous entrons dans les derniers.
On trouve un coin où s’asseoir. Honnêtement je pense qu’en montrant mon col j’aurais pu passer mais j’ai préféré rester un peu au calme. Les célébrants ne tardent pas : séminaristes, franciscains, prélats, le patriarche.
Le début de la célébration est difficile à suivre : le patriarche n’a pas la voix qui porte, qualité essentielle, dit Mgr Cattenoz, des évêques des débuts de l’Église. Je me suis aperçu que ça avait commencé seulement lorsque le refrain du psaume a été entonné.
La Passion est chantée par les mêmes prêtres que dimanche dernier : on entend assez bien le lecteur, ainsi que le falsetto des “autres personnages”, mais Jésus reste inaudible… La chorale se charge des parties de la foule avec de belles polyphonies ; enfin on comprenait bien : merci les choristes ! J’avais heureusement emporté mon Prions en Église et j’ai suivi avec un volontaire. Puis la Grande prière universelle que nous avons suivie avec les Kyrie et les Amen… Mais il paraît que le diacre et le patriarche se sont emmêlés les pinceaux.
Puis la vénération de la Croix a eu lieu. Évidemment, dans ce lieu, elle se fait avec une croix dorée et ornée contenant une relique de la vraie croix. Nous qui étions en bas et n’avons rien vu avons été un peu déçu de voir que la croix n’est pas descendue pour être vénérée… Et impensable de monter : le cerbère en t-shirt cradingue, jean baskets interdisait tout passage.
Puis la procession est partie au Tombeau chercher la réserve eucharistique : Ça a pris un certain temps, mais au moins nous avons pu voir quelque chose.
Telle je vous la raconte, cette célébration n’est peut-être pas très engageante. Malgré tout, c’était un vrai moment de prière. J’étais impressionné du recueillement de ceux qui sont restés en bas et ne voyaient rien. Tout le monde était debout, à écouter, à suivre sur son livret (quand il en avant un !) et fixait du regard la terrasse où tout se déroulait à l’abri de nos regards. Finalement, nous avons vécu ce que nous avions chanté la veille à propos de l’eucharistie :
Visus, tactus, gustus, in te fállitur,
Sed audítu solo tuto créditur
La vue, le goût, le toucher, font ici défaut,
Mais T'écouter seulement fonde la certitude de Foi.
Heureusement, nous avons pu communier… Comme la croix n’était pas descendue, nous doutions que l’eucharistie ne parvienne jusqu’à nous. Mes voisins étaient surpris : ils sont Milanais et, dans le rite ambrosien qui a cours là-bas, tout comme dans l’ancienne liturgie, on ne communie pas le Vendredi saint : le corps du Christ mort et ressuscité n’est pas donné quand il est mort.
Une fois la célébration terminée, il a fallu attendre un peu que les portes s’ouvrent… Cette fois, ceux qui avaient tout vu depuis la chapelle du Calvaire voulaient sortir en premiers… Bref…
Une fois sorti de la basilique, j’ai filé au Collège, il était déjà 10h30 bien tapée.
Je suis parti, sac au dos vers Abu Gosh. Une bonne quinzaine de kilomètres. J’avais imprimé un chemin de croix du Père Marie-Eugène qui m’a accompagné. J’ai aussi écouté Isaïe sur mon téléphone : « dans les Écritures, tout ce qui le concernait » (Lc 24,27)
En traversant la ville de Jérusalem, j’ai constaté l’ambiance diamétralement opposée à celle que nous, chrétiens, vivions…
J’ai croisé un Kinder Surprise® géant, une femme avec une chope de bière sur la tête, des princesses en veux-tu en voilà, un policier israélien avec gilet pare-balle en plastoc, une licorne gonflable, une fraise, un homme de cro-magnon, un Blanche-Neige (oui, UN pas une)… Et, à Mevasseret Sion, j’ai même été attaqué par Spiderman armé d'un sabre laser… Mais c’est que de la gueule : il a un vélo avec des roulettes !
Je suis arrivé à Abu Gosh vers 14h15, suffisamment à l’avance pour me remettre et sécher… J’avais prévu une chemise propre et « conforme à mon état ».
La célébration de la Passion a été très belle. L’obscurité baigne l'église (en plus, le amsin souffle un peu et atténue la lumière du soleil). Et la liturgie prend son temps, on chante la passion.
Pendant la Grande Prière universelle, au moment de la septième, pour ceux qui ne connaissent pas Jésus-Christ, le muezzin de la mosquée voisine s’est mis à chanter. Il ne savait pas que nous priions pour eux. Pour la vénération de la Croix, nous sommes sortis en procession dans le jardin de l’abbaye pour aller la chercher. Et nous l’avons ramenée…
Chacun a vénéré la croix, l’un après l’autre, par une première prosternation puis un baiser à la croix, qui était posée devant l’autel. Nous n’étions pas très nombreux…
La communion n’a été donnée qu’à la toute fin, après la bénédiction, pour ceux qui le désiraient.
Anne-Cécile, la maman d’Henri, m’a ramené chez moi.
Ce soir, procession funèbre au Saint-Sépulcre. En arrivant peu après 19h30, j’ai pris peur : alors que ce matin le silence et le recueillement régnait dans la basilique et à présent, on se serait cru à la gare de Lyon, un soir de départ en vacances.
La procession en elle-même est un rite un peu particulier. La procession part de la chapelle du Saint-Sacrement, la croix est en tête, suivie de tout un aréopage de franciscains en vêtements liturgiques. La procession se dirige vers le Golgotha et là, le Christ est décloué de la croix et descendu avec beaucoup de respect. Déposé dans un linceul, il est déposé sur la pierre de l’onction où le corps est lavé, oint de myrrhe et d’aloès et encensé. Le corps est ensuite enveloppé dans le linceul et déposé solennellement dans la Tombe. La porte en est fermée… Voyez que j'étais aux premières loges...
Ensuite, on proclame l’évangile de la mise au tombeau et de la résurrection (Pierre et Jean qui courent)… Avant le départ de la procession, le sacristain arménien qui se tenait devant la porte de la Tombe a touché la croix de la procession, a baisé sa main et s'est signé : signe concret de communion dans la prière. Quand on en parle comme cela, on pourrait croire à quelque chose de macabre. Il n’en est rien. Tout se fait dans un grand recueillement (après le brouhaha du début), les chants sont calmes et pendant la procession, j’ai attendu près du Tombeau et le silence permettait la prière.
Demain, la résurrection se fête tôt…

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