שמחו את־ירושלם
Śimḥû ˀeth-Yerûšalaïm
Il vient en fait avertir le général en chef que les Turcs projettent d’attaquer le canal de Suez… Les Anglais se moquent un peu de lui, répondent qu’ils ont des indics par là-bas et que ça ne risque pas grand-chose…
Aujourd’hui, matinée en bibliothèque. Et marche dans la ville l’après-midi. J'ai écouté les évangiles en marchant.
Ce soir, je vais à aux vigiles au Saint-Sépulcre, c’est un peu tard mais... Ça vaut le coup.
À bientôt,
Étienne+
Śimḥû ˀeth-Yerûšalaïm
Chers amis,
Mercredi,
journée normale à l’ÉBAF : bibliothèque. Dans l’après-midi, j’ai mis la
main sur deux articles passionnants à propos des Béatitudes. Plein de pistes s’ouvrent…
Dans la matinée,
cours sur la chronologie hérodienne. Après les deux mercredi d’introduction,
nous sommes enfin entrés dans le vif du sujet avec les événements qui précèdent
l’accession au trône d’Hérode le Grand… Guerre civile de succession entre les
héritiers hasmonéens, intervention des Romains en la personne de Pompée, jeux d’alliances
subtils pour soutenir tel ou tel prétendant. Il y eut même entre les deux
prétendants un événement atroce : Hyrcan II et Antigone (son neveu) se
disputent le trône auquel la charge de grand prêtre est associée. Après une
bataille, Hyrcan II est fait prisonnier et présenté à son neveu. « Hyrcan s’étant agenouillé devant lui,
Antigone lui déchire les oreilles à belles dents, pour empêcher que, même dans
le cas d’un retour des choses, il pût jamais recevoir de nouveau le pontificat,
car pour exercer la fonction de grand-prêtre il faut jouir de son intégrité
physique » (Flavius Josèphe, Guerre
des Juifs, I, xiii, 9, 270).
Tout le reste de l’histoire est de la même eau… À côté de ça, Game of Thrones c’est les Bisounours. Au milieu de cette violence et
de ces intrigues, un certain Hérode mène son jeu et finit par obtenir d’être nommé roi de
Judée par le Sénat romain. Il lui faudra encore trois bonnes années pour s’emparer de
Jérusalem et exercer un pouvoir indiscuté… C’est à ce moment-là que nous nous sommes
arrêtés.
Arbre de Judée, (gainier siliquastre, cercis siliquastrum) |
Jeudi,
lecture à “Patmos”. En fin d’après-midi, conférence de l’École. Ce jour-là, il a fait un vent à décorner les bœufs. C'était un peu dommage, car un bel arbre fruitier était en fleurs devant l’École et après la tempête, toutes les fleurs s'étaient envolées... Mais depuis deux jours, les arbres de Judée s'y mettent, c'est splendide !
Le P.
Jean-Jacques Pérennès, directeur, a présenté la figure haute en couleur du P.
Jaussen. Né dans une famille paysanne de l’Ardèche, dixième de onze enfants, il
entre très jeune chez les Dominicains après avoir fréquenté une de leurs
« écoles apostoliques » (l’équivalent d’un petit séminaire pour un
ordre religieux, comme le Petit Castelet à l’époque). À dix-neuf ans, il arrive
à Jérusalem quelques semaines avant le Père Lagrange, fondateur de l’École
pratique d’études bibliques (future École Biblique). Il se révèle extrêmement
doué pour les langues : hébreu, arabe, araméen, sabéen, dialectes divers… Il
met en place à l’École les excursions archéologiques : croisière sur la
Mer morte, expédition à Petra pour estamper les inscriptions nabatéennes,
Et avec tout
cela, il aime les gens, parler avec eux, les rencontrer, partager leur vie… Il
en arrive à connaître très bien les tribus bédouines du désert. Il publiera
même en 1907 un ouvrage Coutumes des Arabes au pays de Moab.
Avec un autre
père de l’École, le P. Savignac, il explore l’Arabie à dos de chameau, en
empruntant le train du chemin de fer du Hedjaz, etc… Il prend beaucoup de
photographies ; c’est nouveau pour l’époque même si cela implique de
transporter tout un attirail, parmi lequel d’encombrantes et fragiles plaques
de verre… Certaines sont un témoignage unique sur certains sites désormais
rayés de la surface par l’iconoclasme musulman.
En 1914, les
religieux français de Jérusalem sont faits prisonniers par les Turcs, alliés
aux Allemands. Le sultan a prévu de les déporter à Urfa (Édesse), au sud-est de
la Turquie actuelle. Une intervention du pape Benoît XV arrête le convoi de
religieux à Damas et ils sont redirigés vers Beyrouth, où un navire doit les
rapatrier en Italie.
Le dit navire
est arraisonné par un vaisseau de la Royal Navy. Le commandant a lu Coutumes
des Arabes, et engage le P. Jaussen qui quitte le navire et se retrouve à
Port-Saïd.
Là, laissez-moi citer un témoin de l’époque :
Et, ce matin, un moine a demandé audience au
général en chef. On le dit bien renseigné. Il vient de la fameuse École
française d’études bibliques de Jérusalem, dont la bibliothèque unique, foyer
lumineux d’archéologie et d’histoire, attirait avant la guerre les plus
illustres savants.
Le voici. C’est un dominicain français, monumental quant
au volume et quant à la hauteur. Sa soutane noire – il a quitté pour voyager la
robe blanche de l’Ordre – et sa barbe danubienne or et argent lui donnent un
aspect majestueux ; le regard profond et rieur par instants, le modelé du
crâne rasé selon la règle, montrent, clair comme ciel d’Égypte, l’intelligence
narquoise et la bonté. À voir cet homme taillé pour le commandement, à deviner
cette force, on jurerait qu’un des vingt-quatre patriarches est revenu parmi
les vivants. Comme ces anciens pasteurs de peuples, le P. Jaussen est à l’occasion
un vrai nomade, guide de la montagne, pilote du désert. Nul mieux que lui ne
connaît le Sinaï, nul n’est plus que lui rompu à toutes les difficultés de la
diplomatie orientale, à toutes les finesses de la langue du désert ; tour
à tour silencieux et patient, ou remuant et prolixe, il a partout conquis la
confiance des bédouins de tous les clans, celle même des Azazmeh hypocrites et
féroces.
Il vient en fait avertir le général en chef que les Turcs projettent d’attaquer le canal de Suez… Les Anglais se moquent un peu de lui, répondent qu’ils ont des indics par là-bas et que ça ne risque pas grand-chose…
– Mon Général, vos
informateurs sont mal informés, ou en tout cas moins bien que moi-même. Vos
informateurs sont des gens que vous payez, d’autres peuvent les payer
plus cher. Mes informateurs à moi travaillent pour l’honneur ; ce sont des
Syriens catholiques et des gens du Liban, des gens qui aiment la France et des
Arabes qui n’aiment peut-être pas la France mais qui m’aiment, moi, et même des
Turcs, des Turcs qui n’ont pas encore admis que leur pays puisse être en guerre
contre le mien. Et, [...] il y a ce que j’ai vu...
Paul Chack,“L’attaque et la défense du canal de Suez (février 1915)” Revue des Deux Mondes Janvier 1926, p. 170 & 173.
Paul Chack,“L’attaque et la défense du canal de Suez (février 1915)” Revue des Deux Mondes Janvier 1926, p. 170 & 173.
Finalement, les
Anglais comprennent qui ils ont en face d’eux… Et c’est ainsi que le P. Jaussen
va faire la guerre en agent de renseignement pour le compte des Anglais. Il
aidera un certain Thomas Edward Lawrence en lui indiquant entre autre, où faire
sauter le chemin de fer du Hedjaz… Il sera pourtant déçu de la tournure de la
guerre dans cette région : l’effondrement de l’empire ottoman ne profitera
pas aux tribus arabes mais aux puissances occidentales…
Vous imaginez
sans peine que, pour un homme habitué aux expéditions dans le désert, qui a
passé sa guerre à espionner, faire du renseignement, etc., le retour à la vie conventuelle à
Jérusalem sera un peu difficile, d’autant qu’il est d’un caractère bien trempé…
En plus, il a vieilli et il n’y a plus que des “jeunots” à l’École.
Dans les années
20, il fonde au Caire un couvent dominicain, une antenne de l’École Biblique.
Ce projet fait long feu… Avant la guerre, vous faisiez Jérusalem-le Caire en
une journée de train. Maintenant, les frontières sont apparues, c’est beaucoup
plus compliqué. Finalement, le couvent dominicain deviendra plus tard l’IDEO (Institut Dominicain d’Études Orientales). Le P. Jaussen passera une trentaine d’années
en Égypte entre le Caire et Alexandrie. Il meurt en 1962 (91 ans !) à Jonquières-Saint-Vincent, dans le
Gard. Une belle vie bien remplie, n’est-ce pas ? Si vous êtes amateur de littérature, il est cité à plusieurs reprises dans le dernier Goncourt, Boussole de Mathias Enard.
Vendredi, journée normale... Messe et déjeuner à l'Ecce Homo.
Dans l'après-midi, la nouvelle tombe ! La veille, le Pape François a reconnu comme miracle une guérison attribuée à l'intercession du P. Marie-Eugène. C'était la dernière étape avant la béatification ! Quelle joie ! Et en même temps que l'annonce de la canonisation de la bienheureuse Élisabeth de la Trinité (elle a déjà fait l'objet de canonisations "sauvages" au détour d'une litanie des saints ou d'une déclaration épiscopale non vérifiée... Mais cette fois, c'est la bonne.
En annonçant la nouvelle le soir aux Frères, cette joie a encore grandi puisque dans les décrets du jour figure un bienheureux Frère Salomon, martyr de septembre.
Mais en fin d'après-midi, en sortant de l’École, j'avais rendez-vous avec Marie des Neiges, Michelle et Denis, des "copains de classe". Nous sommes allés ensemble au cinéma Yabous, le centre culturel palestinien de Jérusalem-Est. (Yabous, c'est Jébus en arabe, le nom de Jérusalem avant la prise de la ville par David, cf. Jg 19,10-11 ; 1Ch 11,4-5). Ils redonnaient l'Oscar Night de l'autre dimanche. J'ai donc vu le fameux Ave Maria, qui est en effet très drôle et bien vu. Ensuite, il y avait Theeb (ذيب). Le titre signifie Loup en arabe mais c’est le nom du jeune héros. Le film se passe en 1916, dans l'empire ottoman. Un jeune bédouin orphelin suit son grand frère qui doit guider un autre bédouin et un jeune officier anglais par le chemin des pèlerins (de la Mecque) désormais déserté depuis la construction du chemin de fer du Hedjaz (cf. supra)...
Cela devient une sorte de western oriental, un eastern si l’on peut dire. Le film est tourné dans le fameux wadi Rum (se prononce comme votre alcool préféré) en Jordanie, sur les lieux même où fut tourné, 50 ans plus tôt, le fameux Lawrence d'Arabie (dont l’action se passe à la même époque). Les acteur sont tous (à l'exception de l’officier anglais) d’authentiques bédouins sans aucune expérience de la comédie. Les paysages sont fabuleux, très bien mis en valeur par les images. Le montage, la manière dont les séquences s’enchaînent, m’a littéralement fasciné. C'est un grand film, dur, surtout que tout est vu à travers les yeux de l’enfant qui accède ainsi à l’âge adulte.
Vendredi, journée normale... Messe et déjeuner à l'Ecce Homo.
Dans l'après-midi, la nouvelle tombe ! La veille, le Pape François a reconnu comme miracle une guérison attribuée à l'intercession du P. Marie-Eugène. C'était la dernière étape avant la béatification ! Quelle joie ! Et en même temps que l'annonce de la canonisation de la bienheureuse Élisabeth de la Trinité (elle a déjà fait l'objet de canonisations "sauvages" au détour d'une litanie des saints ou d'une déclaration épiscopale non vérifiée... Mais cette fois, c'est la bonne.
En annonçant la nouvelle le soir aux Frères, cette joie a encore grandi puisque dans les décrets du jour figure un bienheureux Frère Salomon, martyr de septembre.
Mais en fin d'après-midi, en sortant de l’École, j'avais rendez-vous avec Marie des Neiges, Michelle et Denis, des "copains de classe". Nous sommes allés ensemble au cinéma Yabous, le centre culturel palestinien de Jérusalem-Est. (Yabous, c'est Jébus en arabe, le nom de Jérusalem avant la prise de la ville par David, cf. Jg 19,10-11 ; 1Ch 11,4-5). Ils redonnaient l'Oscar Night de l'autre dimanche. J'ai donc vu le fameux Ave Maria, qui est en effet très drôle et bien vu. Ensuite, il y avait Theeb (ذيب). Le titre signifie Loup en arabe mais c’est le nom du jeune héros. Le film se passe en 1916, dans l'empire ottoman. Un jeune bédouin orphelin suit son grand frère qui doit guider un autre bédouin et un jeune officier anglais par le chemin des pèlerins (de la Mecque) désormais déserté depuis la construction du chemin de fer du Hedjaz (cf. supra)...
Aujourd’hui, matinée en bibliothèque. Et marche dans la ville l’après-midi. J'ai écouté les évangiles en marchant.
Ce soir, je vais à aux vigiles au Saint-Sépulcre, c’est un peu tard mais... Ça vaut le coup.
À bientôt,
Étienne+
1 commentaire:
Voici qui rejoint bien les éloges appuyés de ces missionnaires français intrépides faits par l'écrivain Mathias Enard dans son roman "Boussole" , prix Goncourt 2015.
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