samedi 26 mars 2016

Il est ressuscité, il n’est pas ici (Mc 16,6)

ἠγέρθη, οὐκ ἔστιν ὧδε
ègerthè, ouk estin hôde 

Chers amis,
Drôle de samedi saint ici… En effet, il n’est que 14 heures et nous sommes déjà entrés dans la joie de Pâques… Pourquoi donc ?
Il se trouve que les célébrations du Saint-Sépulcre sont régies, en ce qui concerne les horaires, par le Statu quo. Le Statu quo, qu’es aco ? Pour tout savoir dessus, je vous laisse aller sur le blog de mon amie Marie des Neiges qui dans un article magistral explique « Le Statu quo, pourles Nuls ». En gros, c’est la décision du sultan, datant de 1852, qui régit les relations entre les six principales confessions chrétiennes qui prient et célèbrent la liturgie au Saint-Sépulcre.
En conséquence de quoi, la vigile pascale est toujours célébrée au Saint-Sépulcre à l’heure à laquelle elle était célébrée en 1852, soit le samedi saint au matin (et ce, depuis le xiie siècle). La réforme de la vigile pascale décidée par Pie XII en 1951 n’a pas eu d’effet sur l’horaire de cette célébration. À l’intérieur de la liturgie, on fait comme on veut mais sans changer l’horaire… En fait, avant 1951, le prêtre célébrait la vigile pascale presque en privé et on restait en carême encore un jour (avec jeûne et abstinence stricts). J’ai calculé qu’avec cela, la vigile pascale du Saint-Sépulcre doit être la première célébrée dans le monde, à 7h30 du matin à Jérusalem, le soleil n’est pas encore couché sur la ligne de changement de date… Cette anticipation a donc du sens.
La messe a donc commencé à 7h30, avec toujours le même cérémonial d’entrée solennelle du patriarche, de « grand lever » dans la chapelle du Saint-Sacrement. Mais j’étais arrivé depuis une grosse demi-heure et les bonnes sœurs étaient déjà là, assises bien en place, bien en avance… C’est fantastique. Petit moment d’angoisse au moment d’entrer dans la sacristie, je n’avais pas de billet et le sacristain ne retrouvait pas mon nom sur la liste fournie par le gardien de Saint-Sauveur, le frère Stéphane… Ouf, j’y étais bien.
Nous partons en procession vers l’entrée du Saint-Sépulcre : devant la pierre de l’onction, un brasero chauffait (je dis brasero, parce qu’il n’y a pas d’autre mot…), le patriarche le bénit et on charge l’encensoir. La procession repart et les prêtres se répartissent sur les bancs. Il faut chasser les sœurs… Ma baraka de dimanche et de jeudi ne continue pas, je me retrouve à l’avant-dernier banc sur le côté méridional de l’édicule. Je vois bien le patriarche à la présidence mais pour le reste… Tant pis, tout est grâce ; en revanche, Matthieu, de l’École biblique, est verni, il se trouve placé comme moi jeudi, mais en face.
Le cierge pascal sort allumé de la Tombe (chez les Orthodoxes, c’est encore plus spectaculaire ; je vous en parlerai le mois prochain, pour les Pâques juliennes). Et l’Exsultet est chanté par un diacre franciscain de nationalité croate. Il est très beau et très bien chanté même si je trouve que la version de Gouzes donne quelque chose en plus.
La liturgie de la Parole se déploie sans temps mort, alternant lecture en latin avec les langues vernaculaires (arabe, anglais, français pour Baruch, italien). Toutes sont cantilées, ce qui permet l’audition de tous. C’est un peu la pauvreté du Saint-Sépulcre. Cette vénérable basilique a souffert au cours des âges et n’est vraiment plus adaptée à une célébration ample, pour une foule nombreuse qui pourrait participer par tous ses sens et facultés. Peut-être est-ce le prix de la foi. Nous avons de la chance : cette année, nous proclamons toutes les lectures puisque les Pâques latines et juliennes (orientales) ne coïncident pas. Quand c’est le cas, il faut couper…
Le patriarche entonne le Gloria immédiatement suivi de l’orgue qui éclate pour la première fois depuis le début de la célébration. Un accord tonitruant, dissonant qui ne tarde pas à se résoudre dans l’harmonie et ouvre sur le chant du reste de l’hymne pascale. Ensuite, malgré la présence des diacres, c’est le patriarche lui-même qui proclame l’évangile de la Résurrection pour manifester sa mission de successeur des Apôtres, témoins de la Résurrection.
Pour la liturgie baptismale, petite déception, l’eau est bénie du côté nord de l’édicule, c’est-à-dire qu’avec les prêtres assis autour de moi nous ne voyons ni n’entendons rien… Jusqu’à ce que me rende compte qu’à travers une ouverture dans l’édicule, on peut voir de l’autre côté : juste un bout de la calotte violette de Mgr Shomali, auxiliaire du patriarche, mais c’est déjà ça.
Le patriarche asperge la foule au chant du Vidi aquam (j’ai vu l’eau vive !)
Puis l’eucharistie est célébrée. L’autel fait que le Patriarche tourne le dos à l’est mais fait face à l’ouverture de la Tombe, d’où jaillit la vie du Ressuscité que nous recevons dans l’eucharistie. Pour la communion, les prêtres peuvent communier au Corps du Christ ressuscité en regardant l’intérieur de la Tombe vide : « Il vit et il crut » (Jn 20,8) Je ne sais pas si les autres l’ont fait, mais je ne me suis pas privé.
Après la messe, je mourrais de faim… Je n’avais rien avalé depuis 19h la veille. Avec quelques volontaires, nous arrangeons un petit dèj au Collège dans le petit salon : viennoiseries, cake, jus de fruit, café (nus café comme ils disent en arabe : demi café). Puis on a passé un bon moment à admirer la vue de la terrasse malgré le temps qui est celui d’un WE de Pâques : crachin. Hélène n’est pas encore rentrée dans la joie pascale, elle n’était pas au Saint-Sépulcre ce matin.
Je vérifiais l’heure au clocher de Saint-Sauveur et peu avant 13h, les autres sont rentrés chez eux et je suis descendu pour manger… Mais c’est là que j’ai réalisé que l’heure de Saint-Sauveur n’avait pas été changée… Il était 14 heures ! En même temps, le petit dèj avait été copieux et ne datait pas trop. Petite sieste avant de vous écrire.
Avec les volontaires, nous réalisons que cette vigile pascale anticipée nous fait “gagner” un jour de Carême (39 au lieu de 40) et “gagner” un jour de temps pascal (51 au lieu de 50). C’est tout bénef…
Mais d’un autre côté, notre samedi saint n’aura duré que l’espace d’une nuit, bien peu de temps en somme à passer auprès de Marie, en qui repose en ce jour toute la foi du monde.
Étienne+

Aucun commentaire: