dimanche 20 mars 2016

Formez le cortège, avec des rameaux (Ps 118,27)

אסרו־חג בעבתים
ˀiśrû-ḥag baˁăḇoṯîm

Chers amis,
Ce matin, le réveil a sonné bien tôt… Douche et départ pour le Saint-Sépulcre. J’arrive à la sacristie et revêt les ornements. Les prêtres sont ensuite regroupés dans la chapelle de l’Apparition devant le Saint-Sacrement. Il y a déjà pas mal de monde dans la Basilique. Plusieurs communautés célèbrent, chacune dans son rite. Je reconnais le chant puissant des Arméniens, et la mélopée nasillarde des Coptes. Ils viennent d’accueillir leur nouvel évêque (le précédent est mort cet automne). Les Orientaux ne sont entrés en Carême que lundi dernier, à cause de la différence de calendrier (eux suivent le julien – de Jules César ; et nous le grégorien – institué par le pape Grégoire XIII en 1582).
À un moment, on entend les cannes des kawas résonnant sur le sol (avec toutes ces processions, précédées par les kawas, le sol du Saint-Sépulcre est complètement buriné… C’est le patriarche qui arrive, accompagné par deux autres évêques, le gardien des Franciscains de Saint-Sauveur, et les chevaliers du Saint-Sépulcre. On se lève pour l’accueillir et il s’habille à l’autel de la chapelle (ça fait un peu grand lever à Versailles).
Puis nous partons en procession et tous les prêtres se regroupent devant la tombe… Personne n’a de rameau dans les mains, ils sont tous disposés dans la chapelle de l’Ange (l’antichambre de la Tombe de Jésus). L’évangile est proclamé ; il me semble plus bref que dans mon missel. [vérification faite, l'évangile est en effet plus bref : on omet la partie qui raconte l'envoi des disciples à Bethphagé pour chercher l'ânon. Une messe spécifique faisant mémoire de cet événement a été célébrée par le Custode la veille dans le sanctuaire de Bethphagé où la procession de l'après-midi des Rameaux commencera] Le patriarche rentre ensuite dans la chapelle de l’Ange pour bénir les rameaux qui sont distribués un par un, aux prêtres d’abord, aux frères et ensuite aux fidèles. Inutile de vous dire que ça dure un petit moment. Le patriarche me donne une palme ; je la trouve vraiment moche mais, bon, elle est bénite... C'est la grâce du jour... Pour corser le tout, une grande partie de la liturgie se déroule en même temps que d’autres liturgies (Coptes, Grecs…) ce qui crée une certaine cacophonie. Dès que notre liturgie commence, les autres haussent le volume… Et les cloches grecques sonnent à toute volée. Honnêtement, pour ce qui est de la qualité et de la puissance du chant, nous, les Latins, ne savons pas faire… Heureusement, l’orgue vient à notre aide et dès qu’il se met à jouer, il écrase tout.
La procession se met en branle (servants, frères, prêtres, patriarche, chevaliers du Saint-Sépulcre et fidèles) et fait trois fois le tour de la Tombe. Chacun agite sa palme qui produit un bruit étrange, comme un claquement d'ailes. Au passage, on interrompt la prière des Coptes qui sont derrière la Tombe. Ils ont revêtus des ornements blancs. Ce qui m’a agréablement surpris c’est que, même si nous les dérangions dans leur liturgie, ils nous souriaient. J’ai même vu l’un des diacres donner l’accolade à un prêtre ! Souvent, quand on parle du Saint-Sépulcre, on évoque les déchirures entre chrétiens et le comportement parfois indigne de certains dans cette église. Et là, au cœur de la prière, on peut voir des signes de fraternité discrets mais qui construisent une authentique charité dans l’unité de la foi au Christ. Merci Seigneur !
Après le troisième tour, la procession passe devant l’entrée de la Basilique (on salue au passage M. Nusseibeh, dont la famille vit à Jérusalem depuis l’an 638 et a la garde des clés de l’église depuis – seulement – 1192).
Je vois à plusieurs reprises le Fr. Stéphane qui fait la police : il demande aux prêtres de ne pas filmer ou photographier pendant la cérémonie. Ça peut nous paraître évident mais ce n'est pas le cas de tout le monde ! C'était pourtant explicitement spécifié dans le courriel pour s'inscrire à la concélébration. D'ici quelques jours, je mettrai les liens vers les pages de la Custodie et/ou du Patriarcat. Où est Charlie ?
Retour devant la Tombe pour une dernière prière et nous nous dirigeons vers l’autel de Marie-Madeleine, où le reste de l’eucharistie se déroulera. Je me retrouve au premier rang des prêtres, proche de l’autel. Merci Seigneur !
Les lectures sont proclamées en arabe, par les séminaristes du Séminaire patriarcal latin de Beit Jala, me semble-t-il. Nous avons tous un joli livret, très épais avec la liturgie : chant, lectures, traductions. Les traductions françaises a sans doute été faite par un doux poète mais sa théologie laisse à désirer et traduit un certain docétisme, que j’espère inconscient. « Image » n’est pas « forme ». À un moment, l’espace consacré à la traduction française était occupé par un redoublement de l’italien…
La lecture de la Passion est cantilée, en latin par trois prêtres. J’ai admiré le tour de force que cette proclamation représente : imaginez que vous deviez chanter en latin, en gardant autant que faire se peut le ton avec autour de vous : le carillon arménien, la mélopée copte et une psalmodie grecque, chacun dans son ton… À un moment, le narrateur a discrètement sorti un diapason pour reprendre le ton… La brève homélie requise par les rubriques s'est réduite à un quart de seconde de silence. Tout le monde s'est assis suspendu aux lèvres du Patriarche mais il a entonné le Credo, il a fallu se relever.
Le reste de la messe est sans surprise et, les liturgies orientales étant pour la plupart terminées, moins tendu et bruyant. En sortant, je réalise qu’il est tombé une belle drache pendant la messe. Tout est mouillé. Les nuages parcourent rapidement le ciel et on ne voit pas trop le soleil.
Je rentre chez les Frères, pour déjeuner. Il est 9h30 passé ! Je prends un peu de temps pour rédiger la première partie de ce message.
Vers midi, je suis passé à Maria Bambina voir les volontaires. Ils revenaient tout juste de leur brunch post messe des Rameaux au Saint-Sépulcre. Repas avec les Frères. Le vin était un bon petit rouge de Provence que mes parents reconnaîtront.
Après le repas, j’ai filé au Mont des Oliviers et même plus loin à Bethphagé. De là, le temps dégagé permettait de voir la Mer morte et la Jordanie (rarement aussi claire !) et l’Hérodion. Quelle splendeur !
Descente du Mont des Oliviers : Hosanna !
À Bethphagé, j’ai fait une tentative pour entrer dans l’église mais il y avait trop de monde. Plusieurs milliers de personnes se rassemblent pour cette procession : de toutes langues, peuples, nations qui sont sous le soleil mais la foi dans le Christ les unit ! La procession part de Bethphagé où le Christ est monté sur un ânon.
Chacun chante dans sa langue en brandissant des palmes et des rameaux d’olivier. J’ai retrouvé mes familles françaises et on a suivi le groupe de l’ÉBAF qui chantait des chants comme Debout resplendis, Laudate Dominum, Jeunes et vieux. Devant nous, c’était le Chemin néo-catéchuménal avec ses chants si particuliers. Derrière, des Philippins. Ou encore les Salésiens qui ont fait rire les enfants parce que dans un chant en swahili, on entendait clairement hakuna matata.


Nous descendons le Mont des Oliviers au son des chants par le chemin du Dominus Flevit. Puis en bas, il faut presque courir pour rattraper les autres et remonter vers l’entrée de la Vieille Ville (Porte des Lions). La descente est un chemin étroit mais la montée est large… Les troupes s’éparpillent.
Entrés dans la Vieille Ville, nous pénétrons en territoire français, dans le domaine de Sainte-Anne. Les gens se rassemblent dans le jardin derrière l’ancien séminaire grec-catholique tenus pendant longtemps par les Pères Blancs (Société des Missionnaires d’Afrique). Là, le patriarche adresse un petit mot en arabe et en anglais puis il bénit la foule avec une relique de la Vraie Croix.
Bénédiction de la Sainte Croix
Les gens se dispersent, mais le spectacle commence ! Les scouts palestiniens partent en cortège. Chaque groupe a son uniforme propre avec tartan (motif écossais) et fanfare (cornemuses, percussions, bois et cuivres). Ces traditions remontent évidemment à la période du mandat britannique (1917-1948). Les uniformes des scouts sont très élaborés avec fourragère, épaulettes, guêtres, ceinture en tissu écossais. Les couvre-chefs sont variés : certains groupes portent le béret, d’autres un calot assorti au tartan, les derniers ont des casquettes comme les scouts belges.
Ils partent en cortège vers la Porte Neuve en passant par l’extérieur des remparts… Les enfants avec lesquels je suis en ont plein les pieds et nous remontons par l’intérieur de la Vieille Ville. Arrivé à la maison, des amis m’appellent et je redescends attendre les scouts à la Porte Neuve. On attend un moment chacun des groupes. On admire les uniformes, la qualité des musiciens et la dextérité du Tambour-Major (qui dirige le reste avec un bâton à pommeau argenté et le fait tournoyer).
Retour au Collège : il me faut jouer des coudes puisque les scouts ont envahi la cour de récréation. Repas avec les Frères… Dodo pas tard…
À bientôt,
Étienne+

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