jeudi 24 mars 2016

Il les aima jusqu’à la fin (Jn 13,1)

εἰς τέλος ἠγάπησεν αὐτούς
eis telos ègapèsen autous

Chers amis,
Je sors de la messe de ce jeudi saint au matin au Saint-Sépulcre. C’est un peu la messe « 3 en 1 » : en effet, propter necessitates locales[1], cette messe matinale est celle où le Patriarche latin de Jérusalem célèbre à la fois la messe chrismale et la messe de la Cène du Seigneur (d’où un effet « 2 en 1 ») mais à la fin du livret de célébration, il est précisé Laudes ab iis, qui hac missa interfuerut, non dicuntur.[2] C’est donc bien du « 3 en 1 »… Moi, sans le savoir, j’avais dit les laudes dans la chapelle avant le début de la messe. Il faut dire que lorsqu’on est sorti de la célébration, c’était plutôt l’heure prier sexte…
La messe a donc lieu dans l’église du Saint-Sépulcre devant la Tombe. Lorsque je suis arrivé, quelques bancs étaient disposés et occupés par les sœurs qui s’assuraient ainsi d’avoir une place assise… Bien en avance, bien assises… Le peu de banc laissés aux prêtres m’a rendu songeur…
En fait, les cérémoniaires ont fait déguerpir les sœurs pour laisser la place aux prêtres : Marie-Armelle a parlé avec le sacristain qui estimait à au moins 160 le nombre des prêtres concélébrants.
Nous sommes donc entrés dès ce matin dans le Triduum pascal. J’ai apprécié le fait que nous soyons les seuls à avoir une célébration à ce moment-là, le reste de la Basilique était bien calme et les chants, le silence et l’écoute avaient tout leur sens. Il faut dire aussi que j’ai été verni pour le placement.
La célébration revêt un caractère particulier car elle se déroule dans l’Église de l’Anastasis (la Résurrection), qui est aussi la cathédrale du Patriarcat latin, lieu de la mort et de la résurrection du Seigneur. Ainsi est manifestée l’unité du mystère pascal et la relation entre la Cène du Seigneur et le sacrifice de la croix qui est commémoré le lendemain au Calvaire.

Où est Charlie ? Il écoute l’Évangile(photo MdNGdlE)
Dans la procession d’entrée, nous devions nous mettre quatre par quatre pour faire la génuflexion et le baiser à l’autel : je me suis rendu compte que la plupart des prêtres ont du mal à compter jusqu’à quatre. Après le baiser, les cérémoniaires nous dirigeaient vers nos places : au départ, c’était contre l’édicule un peu loin, bien derrière… Et juste avant moi, ils font signe qu’il n’y a plus de place : on me dirige alors vers le banc du coin. J’ai donc passé la célébration dans le coin, à trois mètres de sa Béatitude, derrière les chanoines. Merci Seigneur ! Je remarque ces jours-ci que le Bon Dieu se plait à me mettre à des endroits stratégiques pour goûter à la beauté de ces célébrations. Pourvu que ça dure. Aux côtés de l'évêque, ses auxiliaires et le nonce-délégué apostolique.
Une fois tous les prêtres en place, le patriarche et les concélébrants principaux s’avancent. L’orgue à toute pompe accompagne le chœur et les fidèles. Après l’acte pénitentiel, nous chantons le Gloria et les cloches sonnent à toute volée. Elles se tairont ensuite jusqu’à la Veillée pascale. Cela ne marche qu’à moitié, parce qu’en fait les Orientaux ne fêtent pas Pâques en même temps que nous et continueront à faire sonner leurs cloches.
La messe « 2 en 1 » ne met de côté aucune des lectures : nous avons entendu les deux lectures de la messe chrismale et les deux de la Cène du Seigneur. J’ai été surpris par l’association des lecteurs et des lectures : un hispanophone a lu la première (Gn 22,1-18) en italien (il m’a fallu un moment pour m’en rendre compte) ; un séminariste palestinien a cantilé la seconde (Ex 12,1-14) en arabe (c’était magnifique) ; la troisième (Pr 9,1-6.10-11) lue en anglais par quelqu’un dont l’anglais ne semblait pas être la langue maternelle ; enfin un séminariste a lu la quatrième (1Co 13,23-36) en français (bien lu !).
L’évangile est chanté en latin et le Patriarche donne l’homélie en… français. Bien évidemment ! Si vous voulez savoir ce qu’il a dit, suivez ce lien ! Le patriarche a insisté sur le Jubilé de la Miséricorde et le don du sacrement de réconciliation : « la Miséricorde infinie de Dieu ne connaît aucune limite et n’a pas peur de se pencher sur nos noirceurs les plus crasses ». Il a aussi rappelé l’exigence du sacrifice qui est signifiée dans l’eucharistie et doit être vécue dans le sacerdoce.
Après cela, les rites des messes chrismale et de la cène sont célébrés à la suite : le Patriarche dépose ses ornements, revêt un tablier et lave les pieds de 6 franciscains puis de 6 séminaristes. C’est la lotio pedum en latin. À ce moment-là, c’est le déchaînement des appareils photos, caméras… En fait l’espace liturgique est assez exigu (à peine plus large que le chœur de Saint-Didier et 3 mètres de profondeur en plus) et les journalistes sont nombreux (Patriarcat, Custodie, TVPace, KTO, quelques free-lance). Les kawas ont de la peine à faire régner l’ordre et à conserver un espace liturgique digne.
Les prêtres renouvellent alors leurs promesses d’ordination. Nous redisons par trois fois Volo. [j’entends d’ici les rires de mes frères et sœurs]. Ce qui m’a touché et que je n’avais jamais remarqué auparavant, c’est la supplique que l’évêque adresse aux fidèles : « Priez pour vos prêtres : que le Seigneur répande sur eux ses dons en abondance, afin qu’ils soient les fidèles ministres du Christ souverain prêtre, et vous conduisent à lui, l’unique source du salut ». Merci à ceux qui se sont joints à cette prière : nous en avons fichtrement besoin.

En violet, l'huile des infirmes ; en blanc le st chrême
et en vert, l'huile des catéchumènes
A droite, le premier porte le flacon de parfum
(photo MdNGdlE)
Puis arrivent les huiles qui vont être bénies par le Patriarche : de là où je suis, je suis aux premières loges. C’est l’heure de la prière et de l’appel de l’Esprit Saint. J’avais invité Henri qui se prépare à la confirmation pour qu’il assiste à la bénédiction du saint chrême qui servira pour lui le jour de la Pentecôte. Il n’a pas dû voir grand-chose…
Sinon, j’ai été un peu déçu… À Avignon, même quand on est loin de l’évêque on finit par sentir le parfum du saint chrême… Et là, si près du Patriarche, je n’ai rien senti.
La prière universelle suit, puis l’offertoire. Nous chantons Ubi caritas et amor. Puis la chorale chante l’Ave Verum de Mozart. Ils ont bien chanté ! Bravo.
La communion prend son temps : les prêtres communient tous à l’autel (depuis la procession d’entrée, ils ont appris à compter jusqu’à quatre – sans doute les lectures) dans l’ordre et le recueillement mais les fidèles ne communieront que lorsque les prêtres auront fini. Après information, j’ai appris que c’était pour “faire durer le plaisir”. Le Saint-Sépulcre est fermé pendant toute la célébration et n’ouvrira qu’à la fin vers 10h30. Le chœur chante à ce moment-là le Panis Angelicus de César Franck. Le chœur est bon mais la soliste joue plus sur la puissance que la justesse.
Après la communion, (celle des fidèles a été assez rapide), nous partons en procession. Comme dimanche dernier, les prêtres en rang par quatre, feront trois fois le tour de la Tombe. La procession a pour but de manifester l’unité du mystère pascal : le Seigneur présent dans l’Eucharistie passe devant le lieu où il s’est offert sur la Croix. Le chœur, l’orgue et les fidèles couvrent tout le répertoire d’hymnes eucharistiques : Lauda Sion, Pange Lingua, Salutis humanæ Sator, Adoro te devote… Le patriarche suit avec la réserve eucharistique sous un magnifique dais porté par six séminaristes. Il y a tellement de prêtres que la procession fait une boucle fermée : la croix qui ouvre le cortège suit immédiatement le patriarche qui porte la réserve eucharistique ! Le troisième tour nous fait passer autour de la pierre de l’onction, à l’entrée de la Basilique. Une nouvelle fois, un petit signe de tête à M. Nusseibeh.

Puis le Patriarche revient devant la Tombe… C’est cet édicule qui va servir de reposoir : ainsi, on ne veut pas signifier que le Christ gît dans son tombeau, mais qu’en tant que Seigneur, devenu nourriture, il vit toujours avec les siens, il reçoit leur sacrifice de prières et de louanges. Comme la basilique est fermée tout au long de la journée, elle n'ouvre qu'à des heures très précises et un groupe de franciscains se laisse enfermer pour veiller auprès du reposoir.
Nous rentrons dans la sacristie. Quelques salutations à des prêtres connus. Je retrouve Henri et sa famille, ainsi que quelques volontaires. Il est presque 11h et notre ventre crie : « Famine ! ». Dans la rue, nous parlons avec Marie-Armelle, journaliste à Terre Sainte Magazine. Je croise aussi un prêtre polonais que j’avais repéré pendant la messe : un ancien du Biblicum de Rome, entre temps, il a fait un doctorat chez les Franciscains et depuis deux ans, il est curé de la paroisse hébréphone de Beersheva : quelle surprise !
Avec les volontaires, nous achetons un jus de fruits et quelques pâtisseries que nous dégustons sur la terrasse de Maria Bambina.
Repas avec les Frères et petite sieste.
Ensuite, je pars avec fr Daoud, fr Rafael et fr Jose Andres pour le Cénacle. Ça ne me branchait qu’à moitié mais je me suis dit qu’il fallait en profiter. C’est une petite paraliturgie dans l’après-midi du jeudi saint. Les Franciscains ont la possibilité d’aller prier au Cénacle [la possession de ce lieu est un mic-mac pas possible : les Franciscains y ont vécu de 1342 à 1552, date à laquelle ils ont été chassés par les Ottomans, qui ont aménagé le site en mosquée. En 1948, le lieu a été pris par les juifs et c’est depuis lors une yeshiva. La salle du cénacle elle-même n’est pas utilisée par les juifs mais ils prient au rez-de-chaussée où ils vénèrent la tombe de David selon une tradition croisée qui interprète Ac 2,29.] La célébration est présidée par le Custode (qui n’a pas participé ce matin à la messe au Saint-Sépulcre : quand le Patriarche est là, le Custode est absent et vice-versa…).

Lavement des pieds
(photo fr Daoud)
Trois passages d’évangile sont lus : le lavement des pieds suivi du geste que le Custode fait à une douzaine de garçons, élèves des collèges Terra Santa et La Salle [rebelote sur les photos] ; l’institution de l’eucharistie chez Mc (14,12-16.22-25) suivie de l’encensement de la croix comme signe du don sans retour de Jésus ; et enfin, le commandement de l’amour (Jn 13,31-35) qui se matérialise par le geste de paix que nous échangeons les uns les autres. Nous prions le Notre Père, chacun dans sa langue (beau brouhaha, bien réussi !) Cette petite célébration toute simple, sans chichi m’a rempli de joie. C’était aussi l’occasion de voir que les chants de Taizé sont connus de tous quelle que soit l’origine : Ubi Caritas, Dona la Pace, Nada te turbe, Bless the Lord, Laudate omnes gentes, Dieu ne peut que donner son amour… Tout le monde les connaît et les entonne sans crainte. Fantastique ! Merci, Jacques Berthier.
La sortie est un peu sportive. Les gens ne veulent pas sortir pour pouvoir prendre les photos, mais bloquent le passage. Je bouscule un peu les bonnes sœurs… Nous sortons par l’issue habituelle mais c’est pour entendre des gens hurler… Les juifs de la yeshiva sont furieux contre ce temps de prière “païenne” et manifestent bruyamment leur mécontentement. La police veille à ce qu’il n’y ait pas de problème. C’est vrai qu’ils ne sont pas menaçants mais le volume sonore casse les oreilles. Je leur fais un grand sourire et leur souhaite « פורים שמח ; pûrîm sameăḥ ; joyeux pourîm »
Le type a redoublé de cris. Tant pis pour lui.
Une fois les portes franchies, nous avons marché rapidement avec le fr Daoud pour rejoindre la procession/défilé des Franciscains. Comme à son habitude le Custode galope ! La procession s’arrête devant l’entrée de la cathédrale arménienne et le patriarche arménien accueille le Custode en lui donnant le baiser de paix. Nous entrons à sa suite dans la cathédrale Saint-Jacques. Un petit mot d'introduction nous a permis d’apprendre que cette cathédrale est le lieu traditionnel de la décapitation de saint Jacques le Majeur (fils de Zébédée, frère de saint Jean, le Jacques de Compostelle), premier apôtre martyrisé en 44 (Ac 12,2) et la chaire de Jacques le Mineur (fils d’Alphée, premier “évêque” de Jérusalem). Comme ça tout le monde est content.
Nous avons prié le Notre Père, le Je vous salue Marie, un Gloire au Père, bénédiction (c’est la prière à 0 % de matière grasse). Ensuite, nous avons pu vénérer le lieu du martyre de saint Jacques. Et retour à la maison. Tasse de thé et rédaction du message. 
Bonne célébration de la Cène du Seigneur !
Ce soir, je vais à Gethsémani... Le problème c'est que le passage à l'heure d'été (daylight saving time) se fait cette nuit : on sera frais demain. 
Étienne+ 
Article sur le site de la Custodie 
 

[1] À cause des contraintes locales
[2] Ceux qui participent à cet office ne récitent pas les laudes.

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