dimanche 29 novembre 2015

Abondance d’étude est fatigue pour le corps. (Qo 12,12)


welahag harveh yegi’at vasar
ולהג הרבה יגעת בשר

Chers amis,
Depuis mardi dernier, les choses ont été calmes. Mercredi j’ai passé la journée à la bibliothèque, avec enfin l’impression d’arriver à faire un travail un tant soit peu productif. Je travaille en ce moment sur les passages de l’Apocalypse qui m’intéressent à partir de la méthode/technologie de la Bible en ses traditions. C’est le projet de recherches que l’École biblique a lancé il y a une bonne dizaine d’années. Il s’agit de travailler le texte biblique non seulement en étudiant son contexte, son origine, le milieu dans lequel il a été écrit, élaboré (c’était ce que faisaient jusque-là les éditions de la Bible comme la Bible de Jérusalem ou la Traduction Œcuménique de la Bible), mais aussi de voir comment ce texte a été lu, reçu, interprété tout au long de l’histoire. Ces jours-ci, je me suis intéressé tout spécialement au chapitre 22 de l’Apocalypse, que j’ai traduit. Pour la Bible en ses traditions, on procède d’une manière très large. Habituellement, le texte de base que l’on prend est celui de Nestlé-Aland, une édition critique (c’est-à-dire méthodique) du texte grec du Nouveau Testament. Le texte que cette édition présente est une sorte de compilation de tous les anciens manuscrits que l’on connait, en essayant d’apprécier leurs fiabilités respectives. À l’époque des manuscrits, les copistes, même les mieux formés, n’étaient pas à l’abri d’une erreur de copie ou même d’une envie d’“amélioration” du texte qu’ils copiaient. Le travail des éditeurs est de comparer les versions et de choisir la “meilleure”, la plus probable, mais il faut comprendre que le texte de cette édition n’existe, comme tel, dans aucun manuscrit.
Dans la Bible en ses traditions, on procède tout différemment. Comme on regarde comment le texte a été reçu, on est obligé de connaître le texte dans ses différentes versions… Enfin, pas dans toutes ses versions, mais dans les principales : l’édition de Nestlé-Aland (Nes), bien sûr, mais d’abord ce qu’on appelle le texte byzantin ou majoritaire (Byz), c’est-à-dire celui qui est lu chez les orthodoxes et qui représente plus de 80 % des manuscrits anciens ; ou encore le Textus Receptus (TR), celui édité par Érasme au xvie siècle et qui a servi de base aux réformateurs protestants ; mais aussi la Vulgate (V), le texte latin établi à la fin du ive siècle par saint Jérôme qui fait autorité dans l’Église catholique latine, et enfin le texte syriaque, aussi appelé Peshitta (S), qui est lu dans certaines Églises orientales… Donc trois textes grecs souvent différents, un texte latin et un en syriaque. J’ai donc dû me mettre un peu au syriaque pour cette partie du travail… Mais ça n’est pas si facile…
En effet, le syriaque est une variante de l’araméen que j’ai étudié lors de mes études romaines. L’araméen s’écrit comme l’hébreu (en fait, c’est l’inverse puisque les juifs ont emprunté l’alphabet araméen pour écrire leurs textes) mais le syriaque utilise une écriture particulière (en fait, pas une mais au moins deux écritures particulières : le serto et l’estrangelo).

Sur mon ordinateur, le Nouveau Testament syriaque est écrit en estrangelo, mais il y a aussi une version en lettres hébraïques. Or, dans les dictionnaires et l’édition critique trouvée à la bibliothèque, c’est écrit en serto… Le moins que l’on puisse dire, c’est que la correspondance ne saute pas aux yeux. En revanche, le serto a une vraie parenté avec l’arabe. Donc, sur l’ordinateur, je repère la forme lexicale du mot en estrangelo, je retranscris de ma belle plume en serto que je cherche ensuite dans le dictionnaire (en faisant attention à son principe d’ordre qui n’est pas d’abord alphabétique mais qui suit les racines) et enfin, je peux traduire de manière à peu près certaine le texte. (Je dois avouer que je suis un peu aidé par le fait que l’édition critique trouvée à la bibliothèque a un texte anglais en regard mais, il vaut mieux vérifier. Une fois les cinq versions traduites, je les retranscris sur le site web de la Bible en ses traditions en les arrangeant selon les versions en trois colonnes (comme sur l’exemple).
Chaque fois que j’enregistre une modification, elle est numérotée (ici 216195) dans l’ordre chronologique… Je vois qu’il y a entre 200 et 300 modifications par jour, faites par l’ensemble des contributeurs. La modification doit ensuite être validée (vous voyez que celle-ci est « en attente d’approbation »). Comme sur le syriaque, je ne suis pas un spécialiste, j’ai contacté le gars qui s’y connaît parmi les contributeurs (il s’appelle Étienne lui aussi !) pour demander son concours. Il peut regarder ce que j’ai fait et apporter des corrections.

Ce travail de traduction n’est qu’une petite partie du projet BEST (Bible En Ses Traditions = c’est pas moi qui le dis, c’est les lettres !) Ensuite, il faut annoter le texte en mettant en évidence les citations ou allusions à d’autres versets bibliques. Par exemple, vous avez l’illustration avec le verset Ap 1,3 (j’ai rajouté la mention Écoute de la Parole).

Puis, et c’est là le plus grand intérêt du projet, on passe à l’annotation du texte à travers toute une grille de lectures : Texte, Contexte et Réception. Chacune de ces rubriques est divisée en sous-rubriques : vocabulaire, procédés littéraires, genre littéraire, histoire et géographie, textes anciens associés, traditions chrétienne et juive, liturgie, théologie, arts visuels, littérature, musique et même cinéma ! On peut aussi faire des notes de synthèse dont l’objet est de parcourir un thème à travers la Bible. Voici la note que j'ai rédigée vendredi.


Vous pouvez consulter le volume de démonstration publié voici quelques années pour vous donner une idée de ce que cela peut donner. Le Père Olivier-Thomas Venard a réuni autour de lui une équipe pour annoter le texte de la Passion selon saint Matthieu. Cet exercice me semble représenter la méthode BEST poussée à son paroxysme… Pour deux petits versets (Il y avait là de nombreuses femmes qui regardaient à distance, celles-là même qui avaient suivi Jésus depuis la Galilée et le servaient, entre autres Marie de Magdala, Marie, mère de Jacques et de Joseph, et la mère des fils de Zébédée. Mt 27,55-56), il y a onze pages d’annotations… Publication prévue à l’été 2016, en l’honneur des 800 ans de l’Ordre des Prêcheurs…
En plus, jeudi matin, j’ai eu du temps en plus pour l’étude personnelle : je devais avoir cours à 8 heures ; mon condisciple était là (Konrad, un autrichien) mais point de professeur… 8h15, en désespoir de cause, nous voilà à frapper chez Sœur Martine, la secrétaire ; on court à droite, à gauche pour finalement découvrir que le prof est aux États-Unis pour un congrès d’exégètes. Du coup, j’ai eu un peu plus de temps pour bosser à la bibliothèque.
Ce samedi, après-midi, je suis d’abord allé au marché de Noël du centre culturel français Chateaubriand (côté Palestinien). Il y avait tout un tas de produits fabriqués en Palestine, sur le principe du commerce équitable (en principe, le mot “équitable” implique une certaine réciprocité mais ici, comme aurait dit Montherlant « C’est quand la chose manque, qu’il faut en mettre le mot », car les prix n’étaient pas du tout équitables…). Il y avait un de ces mondes… Je ne me suis pas attardé.
Ensuite, je suis allé me balader dans la Vieille Ville, en passant par la Porte d’Hérode et par un dédale de ruelles que je ne connaissais pas… Je suis passé devant la cathédrale arménienne qui est fermée pour travaux. Le portier s’est enquis de ce que je voulais. Je lui ai demandé où avaient lieu les offices pendant les travaux et le voilà qui m’indique, dans un anglais typiquement arménien : « Suivez le passage voûté ; tournez à droite ; allez au bout ; dans la cour, prenez la petite porte ; au bout à gauche, descendez les escaliers ; encore une petite porte et vous suivez le mur jusqu’à la porte cachée par une tenture »… Je m’engage donc en suivant scrupuleusement les indications. Je passe devant un panneau « Private. No entry beyond this place »… Je continue. Et j’arrive dans les cours du quartier arménien, vastes, claires, ultra-propres (ça saute aux yeux, pas un papier par terre, sol parfaitement balayé)… Je demande ma route à l’un ou l’autre prêtre rencontré. Et j’arrive dans l’église des Archanges où les Vêpres vont avoir lieu… J’y assiste donc. Qu’est-ce que c’est beau ! Les chants sont envoûtants, parfois une mélopée par un soliste, parfois une hymne triomphale entonnée par tout le chœur. Il y avait deux groupes de choristes, un dans chaque bas-côté de l’église. À un moment qu’ils chantaient vraiment fort, j’ai pensé à « C’est à bâbord, qu’on gueule, qu’on gueule ! » mais c’était tout de même plus harmonieux. Après les Vêpres, passage au Mur occidental, puis au Saint-Sépulcre, toujours aussi bondé. Soirée calme, sauf qu’à un moment, le square Tsahal (sic), sur lequel ma fenêtre donne, est devenu le théâtre d’une teuf improvisée… Un camion avec des haut-parleurs surpuissants, des juifs religieux et nationalistes (grosses kippas blanches au crochet, longues pehots, drapeaux israéliens et longues cornes de boucs servant de trompes) qui sautillent sur de la musique techno en hébreu…
Il y a évidemment deux groupes : les messieurs d’un côté, les dames de l’autre. Comme ça, pas de contact indécent. La musique est assez variée, on a eu droit à « Poupée de cire, poupée de son » en version hébraïque et techno (peut-être que les paroles ont été adaptées et ne parlaient plus de poupée mais d’Israël ?) et aussi « O-o prends mon âme ! » qui est en fait la mélodie de l’hymne national israélien… C’est finalement ni bâbord, ni tribord, c’est Tsahal qui gueule le plus fort...
Le pape doit être content de sa soirée… Enfin quand je dis le pape, ce n’est pas François, mais Tawadros, le pape des Coptes orthodoxes, qui est présent ces jours-ci à Jérusalem, il loge au centre Notre-Dame, pile en face de la Porte Neuve, tout près de la teuf. Le pape Tawadros a présidé ce samedi les obsèques de l’évêque copte de Jérusalem qui est mort cette semaine. C’est un événement assez exceptionnel puisque ça n’était pas arrivé depuis plus de quarante ans. Depuis 1967, les papes coptes ont interdit à leur fidèles de se rendre en pèlerinage à Jérusalem tant que la question israélo-palestinienne ne serait pas réglée (Notons que l’interdiction est respectée d’une manière très orientale…)
À 21h56, tout s’est arrêté, le camion est parti, les garçons aussi. Les filles sont restées, assises en rond à jouer à « Savez-vous passer le tradéridéra » ou quelque chose dans le genre… C’est tout de même plus calme…
La nuit fut bonne malgré tout.
Ce matin, calme, petite balade pour aller faire des courses au bazar de la rue de Jaffa (cirage pour les chaussures, brosse à habits...) puis messe paroissiale à Saint-Sauveur. C'est la paroisse latine de la Vieille Ville où la messe est célébrée en arabe. L'ambiance est très sympa, vraiment paroissiale, avec plein d'enfants. Le prêtre qui présidait est un immense franciscain arabe, très fraternel. J'avais mon Prions en Église, qui s'est révélé très utile pour suivre les lectures. J'étais content d'avoir réussi à attraper quelques mots de l'homélie (arba' = quatre, comme les bougies de la couronne de l'Avent ; awwal = première comme celle qui vient d'être allumée ; sugol = travail ; menshan Allah = pour Dieu). J'ai donné la communion et après la messe, le café était offert (il n'était pas fantastique mais avait la saveur de l'amitié). Le Père m'a dit de revenir quand je voulais... Je ne me ferai pas prier. C'est drôle comme on ne se déshabitue pas d'une vie paroissiale !
Le pont de cordes
Après le repas partagé avec les frères (Un moussakha qui n'a rien à voir avec la moussaka... : du pain, du poulet [qu'est-ce qu'on en mange...], des oignons et des amandes, sur lesquels on met un peu de laban = yaourt), je suis allé me balader. J'ai remonté la rue de Jaffa jusqu'à la Gare centrale (il y a eu une attaque ce matin ; les violences ont repris ces derniers jours...) car je voulais voir de près le pont de cordes. Il a été construit près d'une entrée de Jérusalem comme un ouvrage d'art qui en jette. En fait, malgré la prouesse technique, il n'en jette pas tant que ça, car il n'y a pas vraiment de lieu d'où l'on puisse le voir dans toute son ampleur. Comme son nom l'indique, c'est un pont suspendu mais qui a la caractéristique d'être incurvé et de n'avoir qu'un poteau porteur qui se trouve être tordu pour pouvoir soutenir l'ouvrage.
Petit ajout, j'ai trouvé une image aérienne du pont, il finit par en jeter :


Je suis rentré en passant successivement par le Ministère des Affaires étrangères, la Cour suprême, la Knesset (Parlement), le musée d'Israël, le Parc Sacher, la rue Ben Yehouda et la rue de Jaffa... Beau petit tour pour se préparer à la belle journée de mardi. Nous avons notre deuxième excursion qui nous fera voir Ein Gedi (surtout le temple chalcolithique) et Tell Arad. Attendez-vous à voir de jolies choses !
A bientôt, bon et saint Avent à tous,
Étienne+

mardi 24 novembre 2015

Qui s’appuie sur le Seigneur ressemble au mont Sion. (Ps 125,1)

הבטחים ביהוה כהר־ציון
habbothîm ba’donaï kehar-çiyyon

Chers amis,
Après la journée de dimanche, je suis allé me coucher sans discuter… Hier lundi, journée sans rien de spécial, à la bibliothèque… Le seul truc, c’est que pour une fois que j’avais trois amandes à grignoter, le bibliothécaire est passé pour me demander un truc… Heureusement l’objet du délit était planqué sous un vieux commentaire de l’Apocalypse. Sinon, j’ai une nouvelle voisine (l’ancienne, je ne l’ai jamais vue !), une religieuse orthodoxe qui parle français. En face, j’ai toujours les inséparables qui arrivent ensemble, partent ensemble, même si chacun a l’air de faire sa vie à sa table de travail.
Ce matin, deux heures de cours, dont une pour présenter l’excursion de mardi prochain à Ein Gedi et Tell Arad… Attendez-vous à de belles choses la semaine prochaine. L’après-midi, balade archéologique sur le Mont Sion. Ce nom est compliqué…
En fait, ce qu’on appelle Mont Sion aujourd’hui n’est pas le Mont Sion dont on parle dans la Bible… Que s’est-il passé ? Dans la Bible, le mont Sion, c’est le lieu où Jérusalem était construite c'est-à-dire le mont du Temple (Ps 74,2) ou la cité de David, au sud du mont du Temple. À l’époque byzantine, on n’était pas très précis sur la toponymie et on a appelé de ce nom la plus haute des collines de Jérusalem, qui se trouve à l’ouest de la cité de David, pensant qu'il s'agissait de la Sion biblique...
Ce lieu qui se trouve aujourd’hui hors de l’enceinte de Soliman le Magnifique (1517) était à l’intérieur des murs à l’époque de Jésus. La muraille a disparu et les Israéliens ont fait des fouilles ici et là pour préciser son tracé. Dans ce quartier, Flavius Josèphe évoque une porte desEsséniens dont on ne connait pas la localisation précise. Nous avions rendez-vous à la Porte de Sion. En attendant, nous avons admiré le panorama qui porte jusqu'à la Jordanie. Aujourd'hui, le vent d'est a soufflé et c'est un peu le Misral d'ici : il chasse les nuages mais apporte la fraîcheur.

Nous sommes d'abord rendu à l’American Institute of Holy Land Studies, qui abrite le cimetière protestant de Jérusalem. Dans ce cimetière, quelques vestiges de la muraille. Tout au bout de la parcelle, une fosse a été creusée et des vestiges ont été mis à jour… Il semblerait qu’on ait découvert cette mystérieuse Porte des Esséniens qui fascine certains biblistes. Les pierres sont manifestement hérodiennes.


Puis nous sommes allés visiter le Cénacle, lieu traditionnel de la Cène du Seigneur. Je dis “traditionnel” mais cette tradition est bien attestée. La salle que l’on voit aujourd’hui est de facture gothique (1335) et date de la période où les Franciscains ont pu revenir en Terre Sainte. Ils ont redécoré la salle au goût de l’époque, mais avec les moyens du bord, ce qui explique aussi l’aspect hétéroclite des colonnes et des chapiteaux. En 1523, ils ont été chassés par les Ottomans et la salle est devenue une mosquée, ce qui explique la présence d’un miḥrāb dans la paroi sud pour indiquer la Mecque. En 1948, au cours de la première guerre israélo-arabe, le lieu a été saisi par Israël et depuis, c’est une synagogue de Juifs ultra-orthodoxe. Et si les chrétiens peuvent y avoir accès, il n’est pas question d’y célébrer la messe (Jean-Paul II avait pu le faire en l’an 2000) et même les traditionnelles premières Vêpres de la Pentecôte célébrées par les Franciscains ont lieu sous surveillance policière… Vive la tolérance !

Donc on suit bien l’histoire à partir des Croisades… Mais avant ? Selon certains archéologues, le lieu était auparavant une synagogue mais son orientation est troublante. Elle n’est pas tournée vers le Temple, comme on s’y attendrait mais vers le nord… Enfin, pas tout à fait vers le nord, mais dans la direction précise du Golgotha et du Saint-Sépulcre. Ce qui fait penser qu’au début cette salle était une église-synagoguejudéo-chrétienne, d’autant que des graffitis retrouvés ont pu être interprétés de manière chrétienne. À l’époque byzantine, on a construit contre le Cénacle une grande église Hagia Maria Sion, dédié à la Vierge Marie. Elle passe par le cycle bien connu des destructions… Et les croisés finissent par inclure le Cénacle dans leur propre église du Mont Sion. Au rez-de-chaussée, dans l’ancienne synagogue judéo-chrétienne, les Croisés situent (sans autre fondement que 1R 2,10 avec la localisation erronée de la ville de David) le tombeau de David. À l’étage, la salle haute (cf. Ac 1,13) est le lieu du dernier repas et de la Pentecôte.
Nous sommes allés voir la synagogue du tombeau de David, on se fait tout petit pour accéder au cénotaphe de David au milieu des rabbins qui cantilent chacun à sa manière (ça doit être eux qui ont inventé le chant en langues…) Puis on est monté dans le Cénacle, pris d’assaut par les pèlerins.
Le mur oriental du Cénacle et la Dormition, derrière
En sortant, nous avons regardé le mur est de l'ensemble qui est un magnifique patchwork de pierres de diverses époques...
À proximité du Cénacle, nous avons vu l’abbaye de la Dormition, qui appartient à des bénédictins allemands (comme Tabgha). Le P. Dominique-Marie nous emmène d’autorité aux toilettes ; j’ai sincèrement pensé qu’une envie pressante imposait cette nécessité et j’étais prêt à attendre dans la boutique… La propreté allemande est peut-être digne d’une visite archéologique ? Non, en fait, l’accès aux toilettes permet de voir les vestiges de l’église byzantine de Hagia Maria Sion et de l’église croisée du mont Sion…
Enfin, nous sommes allés à Saint-Pierre-en-Gallicante, sanctuaire des Pères Assomptionnistes. C’est un des lieux possible du palais de Caïphe et du reniement de saint Pierre. Gallicante vient du latin Gallicantu, c'est-à-dire “le chant du coq”. On voit sous l’église tout un réseau compliqué de citernes, réserves, grottes, puits et miqveh. À l’extérieur un escalier bien connu daté de l’époque de Jésus. Quand on est passé, une équipe de tournage faisait un reportage. Il y avait un petit brasero et le type parlait devant l’escalier avec beaucoup de gestes…
Puis nous avons jeté un coup d’œil à la maquette de Jérusalem à l’époque byzantine qui est bien faite.
Au retour, j’ai proposé de prendre un thé en terrasse d’un resto du Muristan. Le soleil est vite tombé.
Bonne nuit !
Étienne+

dimanche 22 novembre 2015

Le Seigneur est roi, il est vêtu de majesté (Ps 93,1)

’Adonaï malak gué’ût labèsh

יהוה מלך גאות לב



Chers amis,

Un rapide message pour ne pas vous déshabituer. Hier, journée calme. J’étais crevé du rythme intense de la semaine en Galilée-Samarie. Il faisait beau et je suis allé passer la journée à Gethsémani, dans un jardin toujours ouvert et peu fréquenté, propice à la prière. En fin d’après-midi, je suis rentré à la maison par le chemin des écoliers. Ensuite, j’ai rencontré Henri, un ado qui se prépare à la confirmation. Soirée calme (les frères regardaient le match Real de Madrid/Barcelone…)

Aujourd’hui, je suis parti tôt le matin pour me rendre, en bus, à Abu Gosh. En arrivant à l’arrêt du tramway, j’achète un ticket au distributeur qui ne voulait pas de mon billet de 50 ₪ tout frais sorti du kaspomat (DAB) ; le tram arrive… Je glisse un billet de 20 ₪ tout froissé. Même refus. Le tram s’arrête. En désespoir de cause, je glisse deux pièces et, JACKPOT ! la machine me rend la monnaie en pièces de 10 agourot (les centimes de ₪)… J’ai maintenant une super collec’ !

Je suis arrivé assez tôt et heureusement, un groupe d’Angevins pénétrait dans le monastère au moment où j’arrivais, car le monastère est fermé le dimanche… J’ai pu prier au calme une bonne heure dans l’église, en admirant les fresques médiévales, avant la messe de 10h30. Elle est chantée en grégorien par les moines et les moniales olivétains d’Abu Gosh (le chant d’action de grâces est souvent en polyphonie). L’évangile est chanté avec un accompagnement de cora ; c’est très original mais donne à la proclamation un accent joyeux.
Le Christ en gloire d'Abu Gosh

La messe prend son temps (plus d’une heure et demie) et est suivie d’un apéro offert par les moines. J’ai revu toutes les petites familles d’expatriés (je pensais ne pas les voir car elles vont plutôt à l’École Biblique). Agnès m’invite au resto à Jérusalem car les enfants devaient jouer au rugby au Parc Sacher l’après-midi. Mais finalement, Anne-Cécile propose d’aller chez eux pour faire un barbecue, mais nous sommes nombreux alors Marianne dit qu’on va faire ça chez eux. Les 23 personnes s’entassent dans les voitures pour se retrouver dans une belle maison avec jardin. Les maris sont allés faire des courses pour alimenter le barbecue. Les enfants ont enfilé leur tenue de rugby (c’était très pratique…leur nom était écrit dans le dos du maillot). La petite Maguelone (genre, la petite Triplée) me montre ses playmobil et sa dinette.

Les maris arrivent sur le coup de 14h30, on met en marche le barbecue… Nous nous sommes mis à table à l’heure à laquelle les enfants devaient partir taper dans le ballon... C’était un vrai repas dominical, très famille, très drôle, avec beaucoup de viande (et le filet mignon ! il était très bon et m’a rappelé le repas de la fête de Saint-Didier).

Finalement au lieu de partir à 15h, les enfants sont partis jouer au rugby vers 17h (heure du café et du coucher de soleil !). Je suis rentré assez tard, à 18h passées.

Autant vous dire que ce soir, le repas fut léger. Un peu de spleen, tout de même à la perspective de reprendre le rythme des cours et de la présence à la bibliothèque…

Bonne nuit !

Étienne+

vendredi 20 novembre 2015

Or, il lui fallait traverser la Samarie (Jn 4,1)

Ἔδει δὲ αὐτὸν διέρχεται διὰ τῆς Σαμαρείας
Edei de auton dierchetai dia tès Samareias

Chers amis,
Notre voyage galiléo-samarien s’est terminé et bien terminé… 
Ce matin, le réveil a été matinal et on aurait dû s’en douter en entendant le muezzin la veille au soir. J’avais anticipé le coup en mettant des bouchons d’oreille… mais même ce subterfuge n’a pas suffi. Mon voisin de chambre a râlé un bon coup… finalement, à 5h30, je me suis levé et suis allé prier en marchant dans le site archéologique de Sébaste… Je n’ai pas été déçu. Le site est exceptionnellement beau.
Paysage de Samarie

En fait, la Samarie est belle : de hautes collines couvertes d’oliviers. La Judée est sèche et rase ; la Galilée fertile et presque tropicale en certains endroits et la Samarie est belle. J’ai fait le tour du site en suivant d’abord le decumanus maximus, grande rue est-ouest de l’antique Sébaste. On traverse une oliveraie et la rue est bordée de colonnes qui n’ont pas bougé depuis le début du iiie siècle. On voit parfois une colonne qui sort du sol au milieu des oliviers. Après être passé près du théâtre romain, je suis monté au sommet du site où l’on voit les restes d’un temple à l’empereur Auguste.
Decumanus au milieu des oliviers
Rentré à la guest house, nous avons partagé un petit déjeuner traditionnel : galette au zahtar, nougat de sésame, œuf dur, hummus… Puis nous avons visité le site archéologique dont j’avais déjà parcouru les lieux le matin. C’est Kévin T, un jeune historien français, qui nous a guidés ; il était étudiant à l’ÉBAF lors de mon premier séjour et il travaille maintenant pour l’IFPO (Institut Français du Proche-Orient), et il a participé à la mission franco-palestinienne de fouilles à Samarie. Il connaît donc bien le site.
Le site présente une difficulté, liée à la situation géopolitique : le village situé en bordure se trouve en zone B, c'est-à-dire sous administration palestinienne et police israélienne alors que le site lui-même est, dans sa plus grande partie, en zone C (sous administration exclusivement israélienne). La mission archéologique franco-palestinienne en est donc réduite à fouiller dans la petite partie du site qui se trouve en zone B. Cela ne nous a pas empêchés de parcourir tout le site à pied.
Le lieu apparaît dans la Bible lorsqu’Omri, roi d’Israël, acquiert le mont Shomrôn à un certain Shémer pour y édifier sa capitale (1R 16,23-24), vers 876 av. J.-C. Elle sera détruite par les armées de Sargon II en 722, lorsque le royaume du nord est anéanti par les néo-Assyriens. La ville est pourtant reconstruite mais sera détruite à l’époque d’Alexandre le Grand (les habitants s’étaient révoltés contre lui), et par Jean Hyrcan (un roi juif descendant des Macchabées et ancêtre d’une des femmes d’Hérode) en l’an 108. Au moment de l’accession à l’empire d’Auguste, Hérode rebâtit la ville en lui donnant le nom de Sébaste (traduction grecque du nom Auguste). Alors que son importance est faible, elle va être faite “colonie” par Septime Sévère, en remerciement du soutien qu’elle lui a apporté. À l’époque byzantine, la ville est relativement importante puis elle finit par redevenir un petit village. Les vestiges visibles sont surtout de l’époque romaine (Septime Sévère et byzantine). Au début du xxe siècle, les archéologues ont pensé trouver les restes du palais d’Omri derrière le temple d’Auguste. Pourquoi pas ? mais ça ne saute pas aux yeux…
Lors de notre visite, en arrivant à l’église ruinée, nous avons rencontré le seul chrétien du village. Dans l’église, il y a une petite crypte dédiée à saint Jean Baptiste. Sur le linteau de l’église, un graffiti arabe qui cite la chahâda' (profession de foi musulmane…) et sur le seuil une étoile de David… On se sent visé des deux côtés. 
Après la visite, nous avons parcouru en bus le decumanus, direction Naplouse, la capitale économique du nord de la Cisjordanie. Là, nous avons fait un bref arrêt à l’église orthodoxe du puits de Jacob, où Jésus a rencontré la Samaritaine (Jn 4).


Ensuite, nous avons visité Tel Balata, la Sichem biblique. C’est là qu’Abraham est entré au pays de Canaan ; là où Joseph a cherché ses dix frères et où il fut enterré ; là où la succession de Salomon a donné lieu à la séparation de son royaume entre Roboam et Jéroboam ; là où Jéroboam a régné sur Israël, le royaume du nord. La ville n’a été capitale du nord que pendant une vingtaine d’années, avant que Tirça ne reçoive cet honneur pendant une vingtaine d’années elle aussi. Samarie succèdera à Tirça.
Le site de Sichem est remarquable par sa grosse muraille de blocs cyclopéens. On voit aussi un temple, dédié selon les biblistes à El Berit, dans lequel Abimélek a fait brûler un millier de Sichémitees (Jg 9,46-49)) Mais le guide que j’utilise attribue l’aménagement de ce temple aux archéologues du xxe siècle ! ! ! Nous avons vu aussi la porte orientale tournée vers la vallée.
Remparts de Sichem
La cité disparaît ensuite au profit de Naplouse, Flavia Néapolis, fondé en l’honneur de Vespasien en 72 de notre ère, qui a fini par l’englober. Nous ne nous sommes pas attardés à la visite car nous entendions les prêches vénérins des imams (je ne sais pas ce qu’ils disaient, mais ils n’avaient pas l’air contents…). Nous avons fait l’ascension du Mont Garizim qui domine Sichem. C’est là que les Samaritains, ces juifs séparés, avaient à l’époque leur temple. Ce temple a fini par disparaître pour laisser la place à une église byzantine octogonale. Le site offre une vue à 360° et on distingue au sud quelques gratte-ciel hiérosolymitains, la mer à l’ouest, la Jordanie à l’est et le mon Ébal au nord. J’étais déjà allé à cet endroit en 2007 assister à la Pâque des Samaritains, j’avais réussi à passer sous une barrière et à parcourir rapidement le site avant de me faire virer par le service de sécurité. Là nous avons pu visiter en prenant le temps (mais en appliquant la technique éprouvée du click-and-run : tu appuies sur le déclencheur de l’appareil-photo et tu cours). Petite déception tout de même de n’avoir pu descendre sur la pente du Garizim voir l’escalier monumental de l’époque hellénistique : cette partie n’était pas accessible aujourd’hui.
Vestiges du mont Garizim, au-dessus de la vallée de Naplouse
En contrebas du Garizim, nous avons vu tel el-Ras où, au iie siècle de notre ère, sous le règne d’Antonin le Pieux, un temple de Jupiter Hypsistos dominait Naplouse à laquelle il était relié par un escalier de 1 300 marches. Le site est gardé par des soldats israéliens car des Juifs s’y rendent pour apercevoir de là-haut le tombeau de Joseph, situé à proximité de Tel Balata, en zone palestinienne. Le site a brûlé le mois dernier pendant les violences. Au moment de quitter ce point de vue, nous avons entendu plusieurs détonations en rafales provenant du camp de réfugiés de Balata, en bordure de Naplouse… Dix minutes plus tard, arrivés en bas, le check-point était fermé, interdisant de sortir de la zone palestinienne mais nous étions “du bon côté” du check-point. Nous avons terminé notre voyage à Taybeh, l’Éphraïm biblique, où Jésus s’est retiré entre la résurrection de Lazare et l’entrée triomphale à Jérusalem (Jn 11,54), où il se trouvait hors d’atteinte de la police du Temple de Jérusalem, « en zone A », pour utiliser l’anachronique terminologie d’aujourd’hui. Taybeh est aujourd’hui le seul village entièrement chrétien de Cisjordanie, latins et orientaux y vivent en bonne entente (ils célèbrent Noël « à la latine », et Pâques « à la grecque »). C’est aussi le lieu de brassage d’une bonne bière, réputé dans toute la région. Nous avons surtout vu les ruines d’une église byzantine, remaniée sous les croisés. À la porte de l’église, un spectacle peu ragoûtant : deux bonnes pintes de sang avaient été répandues… Les habitants ont l’habitude de sacrifier des moutons à la porte de cette église en ruine, « pour conjurer le mauvais sort ». Y a encore du boulot de christianisation… Nous avons enjambé la sanglante mare pour admirer le lieu. Au loin, on voit la crête du Mont des Oliviers avec ses trois tours caractéristiques.
Taybeh vue depuis l'église Saint-Georges
Quelques kilomètres de route, passage de check-point, et nous sommes arrivés à l’École sur les coups de 16h30. Messe à la chapelle d’hiver et me voilà rentré chez les Frères. Je retrouve Fr. Daoud et Fr. Rafael qui étaient partis en Turquie une semaine avant mon départ.
Je range mes photos et vais me coucher.
À bientôt,
Étienne+