jeudi 19 novembre 2015

Il traversa la Samarie et la Galilée par le milieu (Lc 17,11)

καὶ αὐτὸς διήρχετο διὰ μέσον Σαμαρείας καὶ Γαλιλαίας
kai autos dièrcheto dia meson Samareias kai Galilaias

Chers amis,
Voyage en Galilée-Samarie, jour 4 ! Ce matin, après la messe et le petit déjeuner, il a fallu quitter notre villégiature tvéryane (gentilé de Tibériade, Tverya en hébreu) mais nos hôtes sympathiques nous ont rejoints plus tard dans la journée pour découvrir Beth Shéan.
Le premier lieu que nous avons visité est le parc national de Kokhab Hayyarden, l’« Étoile du Jourdain », mais en français, on dit Belvoir. Le nom dit tout… Il s’agit d’une forteresse construite par les croisés et qui fut occupée pendant une vingtaine d’années par les Hospitaliers (futur Ordre de Malte) avant la chute du Royaume latin de Jérusalem en 1187. La forteresse est bâtie sur un promontoire qui domine de 550 mètres la vallée du Jourdain. En face, c’est Galaad, le pays du prophète Élie. Un poète arabe du xiiie siècle disait de la forteresse qu’elle était « fixée solidement entre les étoiles, comme un nid d’aigles, un lieu où habite la lune ». C’est poétique, et c’est vrai !
La vallée du Jourdain, vue de Belvoir

Il y a presque deux forteresses l’une dans l’autre, la plus grand étant entourée au nord, à l’ouest et au sud par un fossé profond qui a permis aussi de donner la pierre de construction… À l’est, la pente naturelle sert de défense. Le château a été ensuite détruit par les armées ayyoubides au début du xiiie siècle. Rendue aux chrétiens en 1240, elle n’eut pas le temps d’être reconstruite. Les vestiges sont moins impressionnants que Nemrod, visité hier, mais le site est magique puisqu’on domine de partout.
Nous avons continué avec Beth Shéan aussi appelé Scythopolis. C’est la seule cité de la Décapole qui se trouvait sur la rive ouest du Jourdain. Il y a en fait deux sites en un seul. Une grande cité romaine et byzantine et un tel avec une vingtaine de couches qui vont du Néolithique à l’âge du fer…
On trouve donc un tell de 80 mètres de haut sur lequel se superposent 18 villes, pas moins. Il faut dire que le site occupe une place privilégiée le long de l’Harod, rivière permanente, et non loin du Jourdain, c’est aussi un lieu stratégique au croisement des routes commerciales nord-sud (le long du Jourdain) et est-ouest (Haïfa-Jérash) ; il était normal que l’on veuille s’assurer du contrôle du site. Le tell a été fouillé mais relativement peu. On a trouvé les traces d’un palais égyptien démontrant la puissance de cet empire au xiie siècle av. J.-C.
Le cardo de Beth Shéan et le tell au loin
Normalement, il y a des copies de stèles trouvées sur place mais elles ont été récemment vandalisées. Dans les thermes byzantins une croix peinte à l’époque a été aussi taguée il y a deux mois, vraisemblablement par des juifs extrémistes. Dans un coin du tel, un arbre calciné, vestiges du tournage du film Jesus Christ Superstar réalisé en 1973...

Bibliquement ; la ville est citée en 1R 4,12 comme ville de l’empire salomonien, mais elle est surtout connue comme le lieu où les dépouilles du roi Saül et de ses fils, après la défaite de Gelboé contre les Philistins, ont été pendues aux remparts (1S 31). Heureuse époque si raffinée… Après Salomon, on ne sait pas grand-chose…
Au iiie siècle av. J.-C., la ville réapparaît sous le nom de Scythopolis (la ville des Scythes) et appartient à la fameuse Décapole. On l’appelle aussi Nysa, ce qui atteste le culte de Dionysos en ces lieux. La ville se développe au pied du tell selon les standards gréco-romains, puis byzantins. À l’époque byzantine, l’industrie du lin est réputée. Lors de la conquête arabe, un tremblement de terre de 749 scelle le destin de Beisan, nom arabe de la ville. Au moment des Croisades, on note la présence d’une ferme fortifiée sur le tell.
La ville byzantine est splendide : théâtre, cardo à colonnades, temples, nymphées, thermes, mosaïques, marbres. Le site fouillé est petit par rapport à la taille de la ville mais laisse deviner sa richesse. On a même vu le pont romain brisé qui enjambait l’Harod, cela rappelle celui d’Ambrussum. On voit encore les traces du tremblement de terre : énormes colonnes abattues, brisées en plusieurs morceaux encore en place, superposition de chapiteaux, architraves, entablement, frise dispersée…
À proximité, nous avons visité la synagogue de Beth Alpha, découverte dans les années 1929, sur les terres du kibboutz de Hefzi-Bah (Ma préférée en hébreu, cf. Is 62,4). Le sol de la synagogue est orné d’une mosaïque assez bien datée par une inscription du début du vie siècle. On voit un petit film qui raconte à sa manière l’histoire de la confection de la mosaïque… Sincèrement, j’ai eu du mal à y croire, je me souvenais l’avoir vu il y a 8 ans et demi, mais c’était encore pire que dans mes souvenirs. Comme parallèle, je ne vois que Le juif Süss, film de propagande nazie tourné en 1940, sous le contrôle de Goebbels… Tous les poncifs et clichés antisémites y sont : nez crochus, avarice, hypocrisie… et dans un film réalisé par l’autorité des parcs nationaux israéliens, par dessus le marché.
Mosaïque de Beth Alpha

Sinon, la mosaïque du sol est touchante de naïveté, on dirait des dessins d’enfants. Ma nièce Alice ferait quelque chose dans ce genre… On a l’arche sainte entourée de deux ménôroth et de deux lions (qui ressemblent de gros chats !) ; le zodiaque avec le char du Soleil (étonnant a priori dans une synagogue mais finalement assez fréquent dans celles de cette époque) et enfin la scène de la ligature d’Isaac (le sacrifice d’Abraham : Gn 22). Au milieu de la scène, on a marqué « Voici le bélier » car il ne ressemble pas du tout à un bélier

Après cela, nous avons mangé… puis départ vers la Cisjordanie. Le check-point par lequel nous avions prévu de passer était bloqué… Nous avons continué par le sud et cela nous a empêché de visiter le site de Tel el-Farah nord (il y en a un au sud qui porte le même nom, à la frontière avec l’Égypte), qui correspond à une ancienne capitale du royaume d’Israël de 909 à 879, au moment où le roi Omri a bâti Samarie (1R 16,23-24). Le site a été fouillé dans les années 50 par le Père Roland de Vaux, de l’ÉBAF. Il ne reste plus grand-chose car rien n’a été sauvegardé mais on garde le souvenir. Les paysages samariens sont splendides. Des collines parfois très hautes, couvertes d’une végétation rase, très méditerranéenne, avec énormément d’oliviers. La roche affleure souvent. On sent que la vie y est rude.
Finalement, nous sommes arrivés assez tôt à Sébastia, antique Sébaste, antique Samarie… Nous nous sommes installés dans la guest house Kaled Palace, avant de parcourir les rues du village à la découverte de quelques vestiges antiques dispersés dans les ruelles : une église croisée (anciennement byzantine) où on a longtemps vénéré les reliques de saint Jean Baptiste (c’est maintenant une mosquée) ; un mausolée romain en très mauvais état fouillé par les Français et les Palestiniens il y a deux ans, ainsi que d’autres lieux. On a attendu un bon moment pour qu’on nous ouvre une salle croisée très impressionnante.
Le muftaḥ devait arriver dix minutes plus tard, mais on a poireauté un bon moment ; le mufti (مفتی) nous a offert le café, ce qui a permis de patienter. Mais au moment où nous renoncions, la clé (muftaḥ = مفتاح) est arrivée par un endroit improbable… Vive l’Orient…
Le soleil se couchait et nous avons eu deux bonnes heures de libres avant le repas. Prière, douche et rangement des photos.
Le repas au resto Holy Land Sun a été pantagruélique. En rentrant à la guest house nous avons vu que la vie nocturne du village est intense mais pas très mixte : que des hommes dehors (jeunes, vieux, jeux de cartes, chicha, billard, baby foot) et les dames restent à la maison... On avait déjà remarqué cette tendance en parcourant les rues du village en fin d'après-midi.
Un peu de prière, rapport de la journée et au lit…
Étienne+

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