mercredi 14 février 2018

Lève-toi, va à Perath (Jr 13,6)

קום לך פרתה
qûm lēḵ perātāh

Chers amis.
Bon et saint carême à tous !
Lundi fut une journée ordinaire. Sauf que le soir, la pluie est arrivée. Et il a plu presque sans discontinuer pendant 24 h… Une belle pluie qui fera du bien.
Mardi toujours journée ordinaire, sauf que je suis sorti de la bibliothèque un peu avant l’heure habituelle pour faire quelques emplettes. En effet, j’étais invité chez Catherine qui recevait chez elle un bon groupe de volontaires pour fêter Mardi Gras. J’avais promis d’amener de la pâte à crêpes. J’avais tout ce qu’il faut chez les Frères pour cela mais je voulais agrémenter la pâte avec quelques garnitures. Arrivé au Collège, j’ai préparé ma pâte avant la célébration de la messe. L’évangile du jour m’a fait sourire avec les disciples qui se soucient d’avoir assez de pain pour la traversée de la Mer de Galilée. Parfois, nous sommes un peu comme ça en entrant en Carême…
En allant chez Catherine au cœur du quartier chrétien, j’avais peur de renverser mon saladier de pâte à crêpes en glissant sur les dalles mouillées de la Vieille Ville. Sur place, tout le monde était déjà là et avait partagé l’apéro. Quelques volontaires travaillant pour la Custodie, Marie des Neiges, Fr. Stéphane et Fr. David, deux franciscains, Claire et Charles-Édouard qui travaillent au Patriarcat. Bref, l’ambiance était très chaleureuse et sympa pour ce Mardi Gras (heureusement, nous n’étions pas déguisés !)
Le repas était constitué d’une tartiflette : reblochon et lardons en provenance directe de France, pommes de terre et oignons de Terre Sainte. C’était délicieux !
Un vrai plateau de fromages ! Puis les crêpes dont nous nous sommes bien régalés ! Quelqu’un avait apporté de la pâte à tartiner Lotus. C’est délicieux. La texture et la couleur sont celles du beurre de cacahuètes mais en fait, c’est au Spéculoos ! Trop bon. Il y avait aussi une crème de citron qui a fait un tabac. Et le fr. David, québécois, avait apporté du sirop d’érable. En parlant avec les gens, je me suis aperçu que beaucoup connaissaient NDV : deux volontaires connaissent des membres en formation de cette année ; un autre connaît un ancien étudiant du Studium, prêtre dans sa paroisse, une troisième a de la famille enterrée dans la cathédrale de Carpentras… Le monde est petit.
Puis il a fallu faire la vaisselle, ce qui fut fait rapidement et dans la bonne humeur. Vous pourriez avoir l’impression que je me suis “empiffré” mais en fait le repas chez Catherine était la version light du repas de Mardi Gras : les Frères ont fait des grillades et il y avait de quoi faire.
Je suis donc allé me coucher. Et il le fallait bien puisque je devais me lever tôt le lendemain matin. En effet, la Bibliothèque de l’École Biblique est fermée le mercredi des Cendres, comme si ce jour de jeûne et d’abstinence devait aussi comporter une abstinence de travail intellectuel… Du coup, j’étais comme obligé de faire autre chose. J’ai décidé d’aller faire une belle balade (c’était pour cela que j’ai fait la course aux cartes topographiques dimanche dernier). Il y a deux ans, à la même période, j’avais parcouru la vallée du Wadi Qelt avec mes amis de Jérusalem. Belle balade mais qui avait dû s’interrompre un peu tôt à cause de la chute de l’un d’entre nous. À l’époque, je n’en avais rien dit dans le blog pour ne pas inquiéter ses parents qui me lisaient assidûment. Dans le billet où je relatais cette randonnée, vous remarquerez que mon expression est assez élusive vers la fin, pour ne pas évoquer ce qui m’avait, à l’époque, beaucoup choqué. La chute avait été assez haute et brutale et la victime aurait pu se rompre le cou mais ne s’en est finalement tiré qu’avec quelques bleus.
À 5 h 50, j’ai dû prendre le deuxième tramway du jour vers Sayeret Dukhifat, l’avant-dernière station. De là, une dizaine de minutes de marche m’a permis de franchir le check-point de Ḥizma, puis j’ai suivi la route 437 (à 6 h 30, c’est un long défilé de voiture qui se dirigent vers le check-point pour aller travailler à Jérusalem). La première partie du chemin n’est pas très jolie mais on quitte vite la route pour se lancer sur les sentiers. Et là… La magie commence ! C’est d’une beauté à couper le souffle. Surtout avec la lumière du soleil levant.
À quelque distance, je vois du mouvement : ce sont deux gazelles qui fuient ! Au début, je pensais qu’il s’agissait d’ibex mais non. L’ibex (capra nubiana) est un cousin du bouquetin (capra ibex) : c’est le nom sous lequel il est désigné par ici mais en fait son nom français est “bouquetin de Nubie”. Comme vous le voyez, c’est une grosse chèvre épaisse et musclée. Mais là, c’était bien des gazelles (gazella gazella), légères et graciles. Elles ont une petite touffe blanche sur la queue qui les rend bien visibles quand elles vous tournent le dos pour fuir.
L’enchantement a continué lorsque j’ai approché le lit du wadi. Moins drôle, le bruit de la pelleteuse qui faisait des travaux au-dessus d’Ain Farah (Ain en arabe = En en hébreu = la source). À Ain Farah, il y a le monastère russe de saint Chariton, à deux pas de la source. Il est réputé être le plus ancien des monastères du désert de Judée (ive siècle) mais a été détruit par les Perses en 614 et refondé au xixe siècle. Ain Farah est le nom arabe de la source qui est appelée En Prat en hébreu. Elle semble correspondre à ce lieu cité dans le livre de Jérémie lorsque Dieu lui demande de cacher une ceinture à Perath (Jr 13,6). Le nom est souvent traduit Euphrate, du nom du grand fleuve de Mésopotamie, mais la TOB, par exemple, traduit par Perath. Au-dessus de la source, il y a un petit site archéologique, identifié avec ce lieu biblique. Il faut dire que le point de départ de ma randonnée est voisin d’Anatoth, le village du prophète Jérémie.


Au parking d’Ain Farah, il n’y avait personne, j’ai continué mon chemin sans payer… Je me suis engagé alors dans la partie “commando” de la balade : il faut grimper, marcher dans l’eau, se pencher pour passer sous de véritables tunnels de roseaux. Pour pouvoir marcher à l’aise, j’avais mis mon cuissard de course à pied sous le pantalon et cela était une bonne idée. J’ai pu enlever mon pantalon pour les parties humides de la balade.
J’ai vu plein d’oiseaux, des damans, des perdrix. L’œil de chasseur doit être dans les gènes Jonquet. Tout au long du trajet, on suit l’aqueduc construit par Hérode pour alimenter en eau son palais d’hiver à Jéricho, situé à l’embouchure du wadi. La fin de ce tronçon n’est pas très belle : on croise la route Alon. On arrive ensuite à Ain Fawwar (En Mabo’a), la deuxième source du wadi Qelt. Cette source est alimentée par un siphon et il y a un splendide bassin avec de jolis poissons et des crabes d’eau douce. J’ai fait trempette dans l’eau transparente. Au moment de repartir, je me rends compte que la barrière qui donne accès à la suite du chemin est cadenassée, je m’enquiers de la raison auprès du gardien qui fumait sa clope : « It’s closed ! ». Avec la pluie abondante de la veille, toute l’eau des collines de Jérusalem a ruisselé dans le wadi avec notamment quelques résidus d’égouts. Je joue au couillon (pas trop difficile) et quand il a le dos tourné pour accueillir le groupe qui arrive, je sort du site, je contourne la clôture et me voilà reparti. La progression est assez rapide mais il faut être en bonne condition, ne pas souffrir du vertige et être bien chaussé. Je suis passé sur le lieu où la chute avait eu lieu il y a deux ans. Notre amie était tombée de près de quatre mètres ! Je ne m’explique pas autrement que par un miracle le fait qu’elle s’en soit sortie indemne…


Encore un peu de marche et j’arrive à Ain Qelt, la troisième et dernière source du wadi. Une ferme ottomane occupée par des bédouins se dresse dans l’oasis. Il y a deux ans, je l’avais trouvée très jolie de devant et de loin mais là, je suis passé derrière et en fait, c’est crasseux et pas entretenu. En face, les restes de l’aqueduc de l'époque romaine qui, à cet endroit, traverse un vallon perpendiculaire.
Un peu plus loin, je rencontre un groupe d’Allemands qui faisaient le trajet dans l’autre sens, mais jusqu’à
Ain Qelt seulement… Leur chef de groupe me dit que pour arriver au monastère Saint-Georges, il faut encore 2 h 30… En 50 minutes, c’était plié (mais j’étais tout seul !). L’arrivée à Saint-Georges est magnifique, le monastère s’accroche à la falaise. Il a été fondé au ve siècle, détruit par les Perses, refondé au xiie, détruit après les croisades et restauré à la fin du xixe siècle. J’ai appris aujourd’hui que selon une tradition orthodoxe, c’est là que le prophète Élie s’est caché au torrent de Kérit. (Le problème, c’est que la Bible dit que le torrent de Kérit est à l’est du Jourdain, et qu’à Saint-Georges, on est à l’ouest…)
De là, je suis monté vers le parking des bus (je tchatche un peu avec des pèlerins russes).
Tout en haut, je retrouve les bédouins qui veulent te vendre un verre de jus de pamplemousse ou de grenade, des bijoux, des keffiehs… Non, merci. Je me rappelle la discussion du P. Louis M. pendant notre pèlerinage en Terre Sainte en 2014. Le bédouin voulait lui vendre un keffieh “for your wife”. Mais le père lui a expliqué qu’il était prêtre et n’était pas marié (tout autour, il y avait un groupe de 45 prêtres !) et que c’était un choix de vie pour être disponible à Dieu, etc. Et le bédouin lui a répondu : « It’s impossible ! We are humans, not stones ! »
Je repars pour les quatre derniers kilomètres qui doivent me conduire à l’arrêt de bus de Mitspe Jericho. Au bout d’un kilomètre, une voiture me double et s’arrête :
– Need a lift ? (Je vous pousse ?)
– Oh thank you ! (Merci)
La conversation s’engage en anglais puis continue en français.
– D’où êtes-vous en France ?
– Près d’Avignon…
– Ah, le palais des Papes. Moi, j’ai été à Montpellier.
– J’y suis né ! Et qu’avez-vous fait à Montpellier ?
– J’ai étudié la médecine néo-natale.
En fait, c’est un des médecins de la maternité de Bethléem, tenue par l’ordre de Malte. Il connaît donc mes amis Denis et Dorothée qui travaillent là-bas. Il fallait aller dans ce coin paumé du désert de Juda pour trouver un médecin palestinien qui a fait ses études à Montpellier…
Il me laisse à l’arrêt de bus. J’attends une petite demi-heure et – par chance ! – le premier bus à passer est celui qui fait le trajet le plus rapidement. Je rate l’arrêt de l’Université hébraïque où je pensais reprendre le tram. Finalement, je descends à la gare centrale et redescend la rue de Jaffa doucement. Quelle fraîcheur à Jérusalem.
À 14 h 45, je suis au Collège, douche, lessive, sieste…
Le trajet de ma balade de ce jour. Du point vert au point rouge.
la Vieille Ville de Jérusalem est en bas à gauche près du mot Google.
Puis je vais à Saint-Sauveur, pour la messe des Cendres. Je suis touché de retrouver quelques-uns des volontaires avec lesquels j’ai partagé le repas de la veille. Sympa d’avoir fêté mardi gras et d’entrer dans le Carême ensemble. Pendant la messe, un photographe du Figaro a mitraillé… À suivre au moment de Pâques.
Repas (tout de même) avec les Frères. Rédaction du message et bonne nuit !
Bon et saint Carême !
Étienne+
P.S. : je n'ai pas pris mon appareil photo, alors j'ai recyclé les photos d'il y a deux ans. Cette année, c'est beaucoup moins verdoyant.

Aucun commentaire: