dimanche 18 février 2018

On processionnait au son de la trompe (Jo 6,13)


הלוך ותקוע בשופרות
hālôḵ weṯāqôa‘ baššôpārôṯ

Chers amis,
Depuis mercredi, pas mal de choses… Jeudi, je me suis réveillé avec les jambes bien courbaturées mais cela ne m’a pas empêché de prendre part à la halte spi, organisée par Dorothée en ce début de Carême : une journée de réco mensuelle dans un couvent ou une communauté des environs de Jérusalem. La halte spi du Carême est traditionnellement vécue dans le désert. Il y a deux ans, j’avais déjà rendu ce service. Rendez-vous était pris à la station-service derrière le Consulat : mic-mac de places dans les voitures, transfert de table pliante, en voiture ! Nous retrouvons les Telaviviens (c’est le gentilé de Tel Aviv, je sais c’est
Moi qui topote
moche mais c’est l’Arrêté français du 4 novembre 1993 relatif à la terminologie des noms d'États et de capitales signé par Alain Juppé qui l’impose, je préfère – et de loin – le gentilé de Jérusalem : Hiérosolymitain, ça se pose là !) et nous commençons notre journée au panorama du désert de Judée qui domine Ain Qelt. J’ai fait un topo sur saint Jean-Baptiste qui nous conduit au désert, au début du Carême.
De là, nous sommes repartis vers le point de vue sur le monastère Saint-Georges (vu la veille). J’ai retrouvé mes copains les bédouins qui s’obstinent à te proposer verroteries (made in PRC), keffiehs, jus de fruits… Non merci, ḥalas !
Puis nous sommes descendus par la route qui suit le wadi Qelt vers Jéricho, juste un regard sur la forteresse hasmonéo-hérodienne de Kypros et sur les palais d’hiver d’Hérode et nous remontons vers Nebi Musa, ce joli caravansérail où les musulmans vénèrent la tombe de Moïse. Nous nous éloignons un peu pour aller célébrer la messe non loin du lieu où les moines d’Abu Gosh vont célébrer les Vêpres du deuxième dimanche de l’Avent. Je célèbre la messe et le vent souffle fort.
Retour vers le caravansérail que nous visitons, toute une série de travaux a été entreprise pour « upgrader l’attractivité du site ». Je crains la Disneylandisation du lieu…
Puis nous nous dirigeons vers Qasr el-Yahud (le château des juifs, en arabe), site baptismal sur la rive ouest du Jourdain. Là, nous pique-niquons à l’abri mais en fait le soleil n’est pas vraiment de la partie… Pour vous dire, j’ai même mon pull !
Petit temps de prière au bord du Jourdain, tout simple : quelques chants, un évangile. J’en profite pour remplir une bouteille, pour les prochains baptêmes paroissiaux…
Il est temps de remonter à Jérusalem. En effet, je vais assister à la conférence du Frère Stéphane à l’ÉBAF : “La Vénération des Lieux saints : un exemple concret, le Saint-Sépulcre”. C’était passionnant : il nous a aidé à considérer le Saint-Sépulcre (et plus largement les sanctuaires de Terre Sainte) non pas comme un lieu historique, archéologique, biblique, théologique mais comme un lieu liturgique : un lieu où l’on prie, parce que c’est pour cela qu’il a été construit et c’est à quoi il sert chaque jour. En gros, l’idée est qu’au Saint-Sépulcre, on a principalement deux lieux : un lieu de célébration et un lieu de vénération. Mais chaque micro-sanctuaire dans l’édifice est lui aussi dédoublé : un lieu pour célébrer la liturgie et un lieu pour vénérer la mémoire des événements du salut. Par exemple, dans la chapelle du Saint-Sacrement des Latins, il y a l’autel pour célébrer la messe et devant, sur le sol, un disque de marbre signale l’endroit – traditionnel – de l’apparition de Jésus à sa mère. Le Fr. Stéphane a aussi expliqué la présence d’étranges sanctuaires dans le Saint-Sépulcre : la prison du Christ, notamment. Depuis 1306, date à laquelle les Franciscains sont autorisés à s’installer au Saint-Sépulcre par le sultan Baybars II, et jusqu’au milieu du xixe siècle, l’église du Saint-Sépulcre était habituellement fermée et ne s’ouvrait que lorsqu’un pèlerin fortuné payait tribut à la famille Nuseibeh pour ouvrir. Donc, les Franciscains qui célébraient la liturgie au Saint-Sépulcre étaient littéralement reclus dans la Basilique et se souvenaient d’événements de la Passion à l’intérieur de la Basilique, un peu comme les chemins de croix de nos églises.

 
Déjà, le 30 mai 1431 (jour connu par ailleurs…), un pèlerin Mariano de Sienne raconte comment était vécue la visite d’un évêque qui avait payé pour entrer. En fin d’après-midi, une entrée solennelle où le pèlerin est accompagné par tous ceux qui profitent de l’occasion pour aller prier. Les pèlerins sont accueillis par la communauté des Frères et ils font le tour de la Basilique, non pas pour une visite archéo-historique mais pour une prière, cette visite prend donc la forme d’une procession avec chandelles, chants, prières, vénération des différents lieux saints. La procession passe aussi dans les lieux saints détenus par les autres communautés chrétiennes (Grecs, Arméniens, Coptes…) pour les vénérer (pas pour y célébrer la liturgie !).
Dans la nuit, l’office de matines (avec beaucoup de psaumes, de lectures, de cantiques et en plus, on faisait durer le plaisir pour “occuper temporellement” les lieux. Par exemple, chaque psaume était suivi d’une oraison psalmique (un peu comme à la vigile pascale). Les prêtres célébraient ensuite leurs diverses messes basses aux différents autels latins et la nuit se prolongeait avec les confessions et la prière. Au matin, la messe solennelle était présidée par l’évêque et on sortait enfin de la Basilique (en graissant la patte de M. Nuseibeh).
Ce modèle survit dans les Vigiles solennelles célébrées au Saint-Sépulcre à divers moments de l’année, notamment les dimanches de Carême, ainsi que dans la procession quotidienne. En fait, Fr. Stéphane faisait en quelque sorte de la retape pour le Carême de cette année ! Et de fait, alors que je n’étais pas un fan absolu de ces célébrations un peu formelles au Saint-Sépulcre, j’ai un peu mieux compris le sens profond de la démarche et me suis trouvé mieux disposé à la vivre !
Après la conférence, je suis parti à toute vitesse pour la messe au Collège.
Vendredi matin et début d’après-midi, travail à la Bibliothèque. À 15 h, je suis allé à l’Ecce Homo. Le Vendredi après les Cendres, c’est fête là-bas : commémore le couronnement d’épines de Jésus à cet endroit. En fait, c’est aussi l’anniversaire liturgique de l’érection de l’église de l’Ecce Homo en basilique par Léon XIII en 1902. Avant la messe, j’ai répété quelques chants avec la communauté du Chemin Neuf, notamment un très beau Per Crucem composé par un polonais.

La messe était présidée par Mgr Pizzaballa, administrateur apostolique du Patriarcat latin de Jérusalem. Je n’ai littéralement rien entendu de ce qui a été dit au micro, par personne (lecteurs, prédicateur…) Pourtant je célèbre souvent à cet endroit, sans micro et on arrive très bien à se faire entendre. Quelques séminaristes de Beit Jala assuraient le service liturgique. Ils me paraissaient bien jeunes, plus encore que notre Baptiste de Saint-Didier.
Après la messe, une sobre collation fut servie sur la terrasse : il fallait bien se réjouir ensemble et partager mais aussi rester dans une sobriété quadragésimale. En remontant au Collège, je passe dans une galerie qui expose des photomontages : une photo ancienne de Jérusalem, sur laquelle est appliquée en transparence la même photo aujourd’hui. C’est amusant. Vous voyez le résultat que cela produit avec la porte Neuve près de laquelle j’habite.




Samedi, mauvaises nouvelles du Fr Henri qui est revenu de Nazareth mercredi. Il est tombé pendant la nuit et était très faible. Dans la matinée, Rafael et Daoud l’ont emmené à l’hôpital où ils lui ont trouvé la tension dans les chaussettes, de l’eau dans les poumons et les reins en grève… Ils ont même conseillé d’appeler la famille. On peut le porter dans la prière.
Pour ma part, j’étais à la bibliothèque. L’après-midi, travaux pratiques à la suite de la conférence du jeudi : entrée solennelle au Saint-Sépulcre de l’administrateur et procession autour du Saint-Sépulcre. La procession n’est pas menée par l’évêque mais par les Franciscains, l’évêque assiste à la procession parce qu’il vit lui aussi le Carême et se prépare à Pâques. N’étant pas revêtu du sésame liturgique, j’ai suivi la procession avec les fidèles mais en fait, si on se débrouille bien, on peut être tout contre le point névralgique de la procession. La procession commence à 14 heures et se termine peu avant 16 h, on a bien le temps de prier, de faire ses dévotions. On tourne trois fois autour de l’édicule. À chaque station, il y a une prière en latin dans laquelle apparaît souvent l’adverbe hic (ici) pour se souvenir de cette liturgie localisée.
En fin d’après-midi, il y avait le bingo au Collège. Ça tombait bien, au même moment à Saint-Didier, il y avait le loto de la paroisse. J’étais même en communion avec vous.
Après le repas, j’ai dormi un peu puis je suis allé aux Vigiles du premier dimanche de Carême (à 23 h 40). La conférence du jeudi avait porté ses fruits : une foule nombreuse s’était réunie dans la chapelle du Saint-Sacrement. J’ai réussi à trouver un bout de banc pour poser une demi-fesse. J’ai remarqué le nouveau tabernacle de cette chapelle. Certainement moins dangereux que le précédent : une énorme sphère en bronze massif dont la porte était une calotte qui pesait comme un âne mort et s’ouvrait comme la porte d’un four. Si on fermait mal la serrure, on courait le risque de se recevoir la boule sur le crâne au moment de la génuflexion. L’office de vigiles consiste en un développement de l’office des lectures : invitatoire, hymne, trois psaumes, lecture biblique, lecture patristique, trois cantiques de l’Ancien Testament, puis nous partons en procession pour chanter le Benedictus. Mal assis sur ma demi-fesse, j’étais pourtant bien placé pour suivre la procession au plus près. Nous chantons le Benedictus en allongeant la sauce : l’orgue fait de nombreux interludes improvisés et on reprend l’antienne après chaque verset. L’antienne est celle du Benedictus de Pâques : « Angelus Dómini descéndit de coelo, et accendens revolvit lapidem, et sedebat super eum. Alleluia, alleluia ». Vous avez bien lu, un alléluia en Carême ! Que se passe-t-il ? On nous change la religion ! Non, tout simplement, on fait mémoire de la Résurrection dans cette nuit du samedi au dimanche sur le lieu où cela s’est passé. En fait, partout ailleurs, la liturgie suit le temps : Avent, Carême, Pâques, diverses fêtes… Dans les oraisons, on trouve normalement l’adverbe de temps hodie (aujourd’hui). Mais en Terre Sainte, la liturgie suit aussi le lieu : dans la chapelle on a célébré les vigiles du premier dimanche de Carême mais à quelques mètres de là, c’est Pâques toute l’année et on chante Alleluia ! C’est le hic des oraisons. Pendant la procession, le président (habituellement le Custode, mais ce soir c’était le P. Dobromir, vicaire custodial) porte l’évangéliaire qui est encensé par les diacres. La procession fait une fois le tour de l’édicule et l’évangéliaire entre dans la tombe pour en sortir.
Les vigiles se sont achevées vers 1 h du matin et prolongées par la messe basse présidée par le P. Dobromir à l’autel du Calvaire. La messe n’a pas été longue, c’est le moins qu’on puisse dire. À 1 h 25, j’étais sorti du Saint-Sépulcre.
Dehors, c’était le déluge ! Après la bonne pluie de mardi, nous avons eu un orage dans la nuit de vendredi à samedi et depuis il pleut abondamment. Mais cette nuit, c’était particulièrement fort. Dans la rue du Quartier chrétien, des cataractes tombaient des ouvertures dans la voûte. En remontant au Collège par la rue des Grecs, j’ai dû remonter le torrent qui s’écoulait. Je suis vite allé me coucher. La nuit a été un peu compliqué avec une sirène qui n’a pas cessé dans la rue de Jaffa. Un truc à rendre fou un moine bouddhiste. Ce matin, cela avait cessé.
À bientôt,
Étienne+

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