ἐπ᾽ ἐσχάτου τῶν ἡμερῶν τούτων
ep’ eschatou tôn hèmerôn
toutôn
Chers amis,
L’autre vendredi, je suis
allé déjeuner à l’École biblique. Ils n’avaient pas pu m’inviter le jour de la
Saint-Étienne car ils avaient déjà beaucoup d’invités. J’ai déjeuné avec le
directeur et les trois jeunes cyclistes qui avaient participé à ma messe de la
nuit de Noël au Champ des Bergers. En discutant avec l’un d’entre eux, j’ai
réalisé que je l’ai connu tout petit à la paroisse de Saint-Didier lorsque j’y
allais le dimanche comme séminariste en 2001-2002… Son grand frère Augustin
servait la messe. Voilà qui nous rajeunit !
Après le repas j’ai
retrouvé Rémi à la gare routière de l’École biblique. La veille au soir sur un
coup de tête, nous avions décidé d’aller – un vieux projet exhumé – voir
Sébaste. Nous avons pris le bus vers Ramallah puis un taxi vers Sébaste (on
peut y aller pour moins cher avec un bus jusqu’à Naplouse puis un taxi mais il
faut la patience…)
À Sébaste, nous
rencontrons Abu Yasser qui tient (manage) la guest house Al Kayed.
Comme nous sommes français, il nous demande si nous connaissons Jean-Claude.
Jean-Claude ? Oui, il vient ici souvent comme volontaire. Vu le prénom, il
y a peu de chances qu’il soit de nos générations à Rémi et moi. Puis il nous
parle un moment des Neturei Karta, un groupe juif ultra-orthodoxe anti-sioniste
et pro-palestinien (il leur arrive de brûler le drapeau israélien et de porter
en écharpe un drapeau palestinien) et aussi de Gideon Levy, journaliste
israélien du quotidien de gauche Haaretz. Enfin, il a consenti à nous
donner notre chambre (cela faisait un bon moment que j’avais une envie d’aller
m’isoler…)
Avant la tombée du jour,
nous sommes allés faire un tour sur le vieux forum romain de Sébaste. Tout
était plus ou moins fermé et nous n’avons pas dû voir une seule femme ou fille
pendant notre passage dans le village : sans doute, sont-elles en sucre et
craignent-elles la pluie ? Puis passage à la cathédrale de Sébaste
construite par les Croisés en l’honneur du martyre de saint Jean-Baptiste
qu’une antique tradition chrétienne situait à cet endroit. En fait, c’est peu
vraisemblable puisque Flavius Josèphe situe cet événement à Machéronte et que
Sébaste n’était pas dans le territoire d’Hérode Antipas. On suppose que la
tradition du martyre sébastéen du Baptiste repose sur une mauvaise
compréhension de l’histoire d’Hérode qui fit exécuter deux de ses fils dans
cette ville qu’il avait refondée quelques années plus tôt en l’honneur de
l’empereur Auguste (Augustus = Σεβαστός en grec = Sébastos). La
cathédrale croisée fut ensuite transformée en mosquée censée conserver le crâne de saint Jean-Baptiste (tout comme la Mosquée des Omeyyades de Damas, la
cathédrale d’Amiens ou San Silvestro in Capite à Rome…) Dans la cour intérieure
de la mosquée (correspondant à la nef et aux bas-côtés de la basilique), il y a
un panneau sur l’histoire de Sébaste qui réussit l’exploit de ne pas mentionner
une seule fois le mot Israël ou juif : le palais royal de l’âge du Fer est
de style phénicien (1Rois 16,24 l’attribue à Omri, roi du royaume d’Israël
au début du IXe s. av. J.-C.) et Hérode est un “roman leader”, chef
romain. Là aussi, la politique influe sur ce que l’on dit de l’histoire.
Les Vêpres furent
célébrées dans la chambre avant d’aller chercher pitance. Le resto Holy Land
Sun était fermé et nous avons dû nous rabattre sur le restaurant Cananites
sur la grand place du village. Nous avons donc dîné d’un sandwich falafel (une
pita, trois falafels – boulettes de purée de pois-chiche et fève frites – et
crudités diverses) et ce fut tout. Au moins nous n’avons pas grevé notre budget
avec ce repas : 6 ₪ les deux falafels soit un peu plus d’1,50 €, tellement peu
vraisemblable que nous avons en fait payé chacun 6 ₪ !
Puis soirée au chaud dans
la chambre : discussion, échange, dégustation d’une bouteille de bière de
l’abbaye de Maredsous que mon frère m’avait apportée lors de son passage et
pour laquelle je n’avais pas trouvé d’occasion de l’ouvrir. Cela a composé un
étrange dessert ! Mais il était illusoire de chercher la moindre goutte
d’alcool dans le village de Sébaste où seule une famille chrétienne habite.
Le matin, réveil avec le
muezzin… Douche froide (l’électricité avait sauté dans la nuit et le
chauffe-eau n’avait donc pu accomplir sa mission). Prière dans la salle
commune, laudes et petit-déjeuner : hummus, falafel, œuf dur, pain pita…
La rue à colonnes de Sébaste, surnommée "rue des amoureux" |
Puis grand tour du site
archéologique. Je l’avais visité il y a quatre ans. On nous avait dit qu’Israël
risquait d’y aménager un parc national (imaginez que la République italienne
installait sans rien demander à la France un parc national et un musée aux
Arènes de Nîmes, d’Arles, au Théâtre antique d’Orange, aux Antiques de Glanum,
au Pont du Gard sous prétexte que ce sont des monuments romains… Le parc national existe sur le papier et sur Internet mais n’est pas aménagé) Ce n’est pas encore le
cas, ce qui nous laisse toute liberté pour voir les vestiges. La plupart sont
d’époque romaine et plus particulièrement de l’époque de Septime-Sévère
(environ 200 ap. J.-C.) qui a restauré la ville dont l’éclat avait pâli
depuis la refondation hérodienne : basilique, cirque, théâtre, temple
d’Auguste. Sous le temple d’Auguste, les vestiges de l’âge du fer, c’est-à-dire
de l’époque des rois d’Israël : Omri, Achab… Passage à l’église
Saint-Jean-Baptiste d’époques byzantine et croisée. Elle est à l’extérieur du
village et à côté quelques tombes chrétiennes.
Il est temps de
redescendre à la guest house pour prendre un café et notre taxi vient nous
chercher. Pour le retour nous avons demandé un petit détour par Naplouse et
l’église du Puits de Jacob, où la tradition situe la rencontre de Jésus avec la
Samaritaine. Là j’ai la surprise de voir le frère Alejandro, un Mexicain de
l’université de Bethléem. Puis le chauffeur nous dépose à Qalandia le fameux
check-point de Ramallah si bien visuellement décrit par Guy Delisle dans ses Chroniques de Jérusalem.
Retour à Jérusalem par le
bus qui nous dépose devant l’ÉBAF. Nous trouvons la maison vide car les Frères
sont allés à Bethléem et Hébron avec Marta.
Marta est une jeune femme
espagnole dont la grand-mère est cousine un peu éloignée du Frère Rafael. Sur
le chemin de Saint-Jacques, elle a trouvé un contact pour être volontaire dans
un kibboutz. Elle se trouve donc pour trois mois dans un kibboutz loin de tout,
avec la frontière libanaise de l’autre côté de la colline, et finalement assez
isolée. Ce qu’elle nous a raconté de la vie dans les kibboutz m’a un peu glacé.
C’est un système collectiviste où tout le monde est égal mais comme toujours,
certains sont plus égaux que d’autres : en gros, il y a les membres du
kibboutz, les volontaires et les Philippins. Et en gros, les Philippins ont
peut s’essuyer les pieds dessus. Marta me disait que ce n’était pas un kibboutz
mais un goulag et que certainement la réincarnation de Staline y vivait !
Marta a donc pris quelques jours pour rendre visite à Frère Rafael et faire ses
dévotions chrétiennes (le kibboutz est absolument laïc et toute célébration
religieuse y est parfaitement inenvisageable).
En début d’après-midi,
sont passés quelques amis de l’Ecce Homo. Lysanne (québécoise), Madara
(lettone), P. Norbert et Clarisse (de Carpentras). Ils sont venus admirer la
vue depuis la terrasse des Frères. Au début je pensais que la météo ne
permettrait pas d’y voir grand-chose et en fait, le soleil et les nuages
étaient de la partie pour nous offrir un beau spectacle. La Jordanie était bien
visible. Puis nous avons pris le café dans le salon. Finalement, ils sont
restés près de deux heures !
En redescendant, nous
parlions encore dans la cour et je vois un inconnu franchir le portail, s’avancer
dans la cour, nous contourner et s’engager dans l’escalier qui monte à l’entrée
du Collège. Je lui dis : « Are you looking for something ? »
(Vous cherchez quelque chose ?) « No, I’m just a curious person »
(Non, c’est seulement de la curiosité !). Il a fait demi-tour et il est
parti. (!מה חצפה ). La ḥuçpah
en hébreu, c’est l’audace, le culot, l’impertinence, le sans-gêne, l’insolence,
le toupet, l’impolitesse, la grossièreté, la désinvolture, l’impudence, l’effronterie.
Le soir, coucher tôt.
Sortie de messe au Champ des Bergers |
Dimanche, je me suis levé
tôt et je suis allé à Bethléem par le bus de Beth Jala. J’ai traversé à toute
blinde la Vieille Ville de Bethléem pour rejoindre l’hôtel Holy Family où
logeait un groupe emmené par le P. Yannig, qui m’a beaucoup rendu service en
paroisse lors de mes séjours à Jérusalem. Nous avons célébré la messe au Champ
des Bergers, dans la même grotte que quelques jours plus tôt. Puis nous sommes
passés chez Abu Aita, dans un magasin de souvenirs puis devant le mur de
séparation. Le bus m’a ensuite laissé à Giv’at haMivtar où j’ai pris le tram
pour rentrer au Collège. Le soir je suis retourné à Bethléem pour dîner chez
Denis et Dorothée avec les volontaires. Ce fut très sympa. J’ai une vie sociale
assez intense en ce moment où je dis adieu à beaucoup de gens.
Lundi, matinée calme. L’après-midi,
j’ai accueilli Guillaume et Claire-Marie qui sont volontaires à Bethléem, là
aussi petit tour sur la terrasse, puis j’ai tenté d’aller au Cénacle pour
rencontrer Fr. Wander mais ce fut compliqué car la police bloquait dans un
sens et dans l’autre, nous étions comme dans une nasse. Finalement, il a fallu
que je retourne au Collège, que je sorte de la Vieille Ville par la porte Neuve
et suive les remparts. On a discuté une bonne heure puis je suis rentré au
Collège, ai prié et célébré la messe puis suis allé à Arnona, un quartier au
sud de Jérusalem chez Laurent et Patricia. Laurent est responsable de la
sécurité du Consulat de France, Patricia est une énergique ardéchoise et leurs
deux enfants sont étudiants à Montpellier. Ils avaient aussi invité le P. François
de Sales, de la communauté des Béatitudes d’Emmaüs-Nicopolis. Il entretient une
certaine ressemblance physique avec son saint patron…
Et surtout, nous avons
partagé une excellente raclette avec du vrai fromage à raclette et du reblochon !
Et de la vraie cochonnaille de là-bas ! Bref, une réacclimatation en
douceur !
À bientôt,
Étienne+