samedi 21 décembre 2019

Comme une gazelle pourchassée (Is 13,14)

כִּצְבִי מֻדָּח
kiṣḇî muddāḥ

Chers amis,
Semaine presque ordinaire… Comme la bibliothèque ferme du 22 décembre au 2 janvier, je n’y aurai pas accès. Il a donc fallu anticiper cet état de fait et préparer du travail pour les jours avant mon départ. En même temps, avec Noël au milieu, le travail ne sera sans doute pas très productif.
Depuis samedi tout de même, ma chambre doit être la plus photographiée de Jérusalem. Quand je passe dans la rue pour aller à l’École ou en revenir, des gens se prennent en photo devant le sapin ; quand je passe la tête par la fenêtre, encore !
Mercredi, je n’avais pas de cours avec Anthony. Après la rentrée de janvier, il donnera quelques références sur la papyrologie, l’étude des textes que l’on a retrouvés inscrits du des papyrus : lettres, documents administratifs…
Mercredi soir, après la messe chez les Frères, je suis allé dîner avec Rémi chez Laurence et Laurent-Pierre. Ils recevaient Marie, la nièce d’une amie, arrivée la veille à Jérusalem après un périple à pied depuis Valence (Drôme) à travers le Diois, l’Italie, la Grèce, (un peu) la Turquie et Chypre. Soirée sympa et pleine de surprise. Ça donne des démangeaisons aux pieds.
Sur la terrasse du Collège de Jaffa
Jeudi matin, j’ai séché l’École… Les Frères m’avaient demandé de célébrer la messe de Noël pour les élèves du Collège des Frères de Jaffa. C’est un collège francophone homologué par l’AEFE. Bien que le recrutement soit assez international (plus de trente nationalités sont représentées parmi les élèves), tous les élèves parlent le français et reçoivent l’enseignement dans cette langue. La messe avait lieu dans l’église paroissiale Saint-Antoine (de Padoue) tenue par les Franciscains. Il y faisait un froid de brigand… Aussi suis-je resté avant la messe devant l’église en chasuble à profiter des rayons du soleil. La messe s’est bien passée malgré l’hétérogénéité du groupe : tous les chrétiens y participaient avec des catholiques (latins et orientaux), des orthodoxes et des protestants et même quelques “païens” qui suivent le cours de religion.
Après la messe, nous sommes retournés au Collège pour prendre le déjeuner. Avant, nous avons fait un petit tour sur la terrasse pour admirer le panorama. Le Collège est situé sur la butte ancienne de Jaffa et au nord, on voit la forêt de gratte-ciel de Tel Aviv, à l’est, les collines de Jérusalem au loin, au sud quelques immeubles de Bat Yam et à l’ouest, la mer (la nôtre !).
Le repas fut excellent. Mais nous ne nous sommes pas attardés après le café car le Frère Rafael voulait être aux obsèques d’un prêtre du Patriarcat latin à la co-cathédrale. Pendant le retour, j’ai écrasé…
Dans l’après-midi, j’ai un peu travaillé au Collège. En fin d’après-midi, je suis allé à l’ÉBAF pour assister à une conférence. Le titre était particulièrement peu attrayant : “Chasse de masse des gazelles au néolithique dans le désert du sud-est jordanien”… Quand j’ai vu ça, j’ai pensé aux chevaliers-paysans de l’an mil au lac de Paladru (qui ont véritablement existé !) D’autres ont évoqué la « chasse des Arkas en hiver dans le Wakhan Corridor National Park pour nourrir les populations de l’Hindu Kush ».
Bref, ça sentait le truc bien pointu et pas trop passionnant… Eh bien, c’était raté. C’était passionnant !
Un “desert kite” jordanien
Le conférencier est parti des “desert kites” une structure archéologique curieuse que l’on trouve dans cette partie du monde. Les premiers ont été repérés entre deux guerres grâce aux progrès de l’aviation. En effet, ces structures immenses sont presque indiscernables au sol mais visibles depuis les airs. Ce sont des alignements de pierres formant un muret d’une cinquantaine de centimètres de haut qui s’étend sur des kilomètres pour former une sorte d’entonnoir ; au débouché de l’entonnoir une sorte d’enclos plus ou moins circulaire avec des petites cellules (appelées “logettes”). Au sol, on a du mal à imaginer la taille de ces structures. Le plus impressionnant, c’est qu’elles sont très majoritairement ouvertes vers l’est et forment des chaînes qui peuvent avoir près de 100 km de long. Chaque logette est en fait une fosse de deux mètres de profondeur aux bordures bien chemisées : soit une excavation d’environ 40 m3 ; le volume total de pierre pour les murets d’un “kite” est évalué à 600 m3 en moyenne. Ce sont donc des structures monumentales. Le désert jordanien et syrien est la zone du monde la plus riche en “desert kites” (cerfs-volants du désert à cause de la forme de la structure) : on en compte plus de 3 700 (sur un total de 5 800 rencensés du Yémen au Kazakhastan, en passant par le Sinaï et l’Arménie.) Pour la datation, c’est plutôt le néolithique.
Voilà pour les généralités. J’ignorais tout des “desert kites” il y a 48 heures…
Notre conférencier a exploré un coin perdu du désert jordanien dans lequel, il a repéré en 2013 une série de 8 “desert kites” inconnus jusque là. Ceux-là ont la particularité d'avoir un coude à angle droit juste avant l'enclos terminal. Plus intéressant encore, il a découvert à proximité immédiate de chacun d’entre eux une installation qui a permis de démontrer qu’il s’agissait bien (c’était l’une des hypothèses proposées) de pièges destinés à la chasse. C’est la première fois que de telles installations sont trouvées et fouillées : vaisselle de pierre, pierres taillés, foyers… Et surtout des monceaux d’ossements animaux, dont 99 % proviennent de gazelles. L’ensemble a été daté de 7 000 ans av. J.-C. Spontanément, on est surpris de la petite taille des murets de l’entonnoir, une trentaine de centimètres seulement. Les gazelles peuvent les sauter aisément. Mais elles ont tendance à suivre les alignements de pierre dans leurs déplacements ; petit à petit, elles arrivaient dans l’enclos et en voulant en sortir si des hommes se faisaient voir, elles tombaient dans les logettes d’où elles ne pouvaient s’extraire.

La quantité d’animaux attrapés laisse aussi supposer que le climat était plus humide et la zone bien moins désertique qu’aujourd’hui. En fait, ces pièges révèlent une industrie de chasse qui laisse supposer une organisation sociale, et surtout des échanges commerciaux à longue distance impliquant des techniques de conservation de la viande (fumaison ?). Au néolithique, dans les régions alentours (le fameux croissant fertile), l’homme met au point les premières techniques d’agriculture et d’élevage, qui exigent la sédentarisation. Dans la steppe semi-désertique qui borde le croissant fertile, une société de chasseurs, plus nomades, s’organise et entretient des relations commerciales sur de longues distances… Bref, on a vu un cas bien concret d’archéologie moderne où l’on travaille sur des vestiges à peine visibles mais qui donnent des renseignements sur la société qui vivait dans cette région à l’époque.
Messe du 13/12 à l'Ecce Homo
Vendredi matin, messe matutinale à l’Ecce Homo, à la lueur des bougies. J’ai eu la bonne surprise de retrouver Clarisse, une jeune de Carpentras, qui à l’époque faisait partie de KT+ : elle passe une année de volontariat au service de la maison de l’Ecce Homo. Puis journée à la bibliothèque. Je rapatrie peu à peu mes affaires au Collège ; ce qui me permet d’éliminer aussi des papiers inutiles. Comme lecture en ce moment, je me délasse avec un livre sur les lettres aux sept Églises. Très intéressant et fructueux.
Ce soir avec Rémi nous avons regardé une émission de RMC découvertes sur « Jérusalem des Mystères » et « Mystères de Terre Sainte ». C’était amusant d’y voir le P. Dominique-Marie, un des archéologues de l’École biblique ou Michaël Langlois (J’ai réalisé qu’il tournait le documentaire pendant le passage de mon frère et de ma belle-sœur début novembre) ou encore quelques images dans le style docu-fiction tournée dans l’atrium de l’ÉBAF… Sinon, les commentaires en voix off étaient ineptes et la musique soûlante…
À bientôt,
Étienne+

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