mercredi 27 avril 2022

Les portes étant closes (Jn 20,19.26)

τῶν θυρῶν κεκλεισμένων
tôn thurôn kekleismenôn      

Chers amis,
Me voici donc retenu au Collège depuis samedi… Côté santé, tout va bien. Samedi et dimanche, j’ai eu un peu mal à la tête et à la gorge (comme une angine), mais rien de terrible.
En plus, dimanche pour la Pâque orthodoxe, il y avait un khamsin carabiné : depuis ma chambre, je n'apercevais du Mont des Oliviers qu'une silhouette lointaine et indistincte. Ordinairement le khamsin tape sur le système et énerve les gens. Mais comme je suis resté isolé, je n'ai tué personne.
La journée s’organise calmement avec lever, oraison sur la terrasse, petit déjeuner rapide (une tasse de café : j’écluse mon stock de NES®) puis je travaille toute la matinée. Au milieu, un café. Puis je déjeune vers 13h30 (après le déjeuner des Frères).
Sieste, étude… Jusqu’à 18h30. Oraison sur la terrasse en marchant (50 A/R sur le toit font presque 5 km), messe à 20h pendant que les Frères dînent et je dîne ensuite.
Dieu merci, les Frères sont pas stressés par mon état et celui de Frère Malak. Nous portons le masque quand nous sortons, la bouteille de GHA est au bout du couloir… Et on fait notre vie.
Ce matin, avec Frère Malak, nous sommes allés à l’hôpital luthérien Augusta-Victoria pour faire un test… Qui s’est révélé toujours positif… J'ai été frappé : par rapport aux tests que j'ai pu subir depuis un peu plus d'un an, c'était très léger. Habituellement, la personne qui te fourre un écouvillon dans le nez est équipée de masque, visière, combinaison. Ici, le type était en jogging-blouse, sans masque.
On continue donc… De toute façon, demain j’ai une journée zoom (6h de visio conférence)…
À bientôt,
Étienne+

samedi 23 avril 2022

Enfermé, je n’ai pas d’issue (Ps 88,9)

כָּלֻ֗א וְלֹא אֵצֵא
kālūʾ wəlōʾ ʾēṣēʾ

Chers amis,
La semaine s’est bien passée, avec pas mal de temps à la bibliothèque. Mercredi soir, j’ai regardé la première heure du débat Macron-Le Pen… Affaire à suivre…
Vendredi, quelques détonations matinales du côté des mosquées, on ne se lève même plus pour aller voir depuis la terrasse des Frères. À cause du Ramadan, c’est la foire devant l’École biblique. Je me suis donc fait inviter par le directeur pour déjeuner. Je mange avec Anthony, Henri de NDV et Grégoire, un jeune prêtre de Versailles étudiant au Biblique.
Ce matin, j’avais prévu de ne pas aller à la bibliothèque à cause du Feu sacré des orthodoxes, on peut sortir de la Vieille Ville mais pas y rentrer… En me douchant le matin, je constate des plaques rouges sur mon torse, mes épaules et mon cou (comme un coup de soleil estival sur un Allemand mais avec des formes irrégulières). Je tilte ! Ce sont les symptômes que j’ai eus lors de mes vaccinations anti-covid : je me résous à faire un auto-test (heureusement, les Frères sont équipés). Et ça ne tarde pas, les deux barres apparaissent !
Me voilà donc confiné jusqu’à mercredi… Pas cool, quelques-uns de mes projets s’évanouissent. Les Frères se sont testés, les deux anciens restent gaillards et Frère Malak est positif lui-aussi… Je mesure ma chance de me retrouver confiné dans ces conditions, j’ai passé un bon moment sur la terrasse en fin d’après-midi pour prier et me dégourdir les jambes.
J’ai aussi pu assister aux mouvements de foule pour le Feu sacré des orthodoxes. Tôt le matin, les policiers israéliens ont installé (avec la délicatesse coutumière) des barrières pour entraver le passage par la porte Neuve. À mon réveil, un bon groupe était agglutiné à l’extérieur, malgré le panneau qui indiquait la nécessité de passer par la porte de Jaffa. Les gens passent au compte-gouttes. Il faut dire que cette année, Israël a décidé qu’il n’y aurait que 1 000 personnes dans la basilique et 500 dehors. La décision unilatérale a soulevé la colère des Églises concernées (orthodoxes, arméniens et autres orientaux) qui ont obtenu 4 000 personnes. Pour mettre le bazar, les scouts ont fait de la musique un bon moment devant Notre-Dame, bloquant ainsi la circulation (assez peu dense malgré tout en ce matin de shabbat). Ils ont fini par rentrer.
Lorsque je suis allé manger avec Frère Malak, les deux autres Frères regardaient le Feu sacré à la TV. C’est aussi palpitant qu’un épisode de l’inspecteur Derrick. On voit du monde qui gueule autour de la Tombe. Au bout d’un moment, la procession avec les évêques et le patriarche se met en branle, fait le tour de la Tombe. Devant la porte, l’évêque enlève ses ornements (tiare, mandyas…) puis entre seul dans la tombe avec deux bouquets de cierges (imaginez une trentaine de cierges individuels de vigile pascale groupés).

Quelques instants plus tard, il sort de la Tombe avec les cierges allumés. Et c’est la ruée. En quelques instants, la basilique est illuminée par les cierges que portent les gens. On sort de la basilique pour diffuser la lumière.
En regardant par la fenêtre, j’ai vu passer des gens. Le Frère Daoud et le Frère Rafael étaient devant le portail du Collège pour recevoir le Feu. On voit passer des gens avec des lampes-tempête !


Un peu plus tard, les scouts sont repassés dans l’autre sens… Zim boum, zim boum, ouiiinn ouiinn ouinnn ! Zim boum boum. Le tambour-major fait des prouesses !

En priant sur la terrasse, je vois du côté du consulat de France des juifs qui prennent le repas sur une terrasse, ça chante, ça prie, ça fait la fête !
En fin de journée, messe confinée…
À bientôt,
Étienne+

mardi 19 avril 2022

Alors qu’il nous parlait en chemin (Lc 24,32)

 ὡς ἐλάλει ἡμῖν ἐν τῇ ὁδῷ
hôs elalei hêmin en tê hodô

Chers amis,
Lundi de Pâques, tout le monde va à Emmaüs… Mais comme il y a au moins trois sites qui se “disputent” le titre d’Emmaüs. Vous pouvez vous référer à mon article d’il y a six ans sur cette question épineuse où se mêlent critique textuelle des textes évangéliques, révélations privées, géopolitique…
Les Frères tiennent pour l’Emmaüs des Franciscains où nous sommes donc allés. Nous avons fait route avec les bus de la paroisse latine et des franciscains pour pouvoir rentrer en territoire palestinien par le check-point d’el-Gib proche d’Emmaüs-Qubeibeh. Qubeibeh, c’est le nom du village où se situe le sanctuaire franciscain. Manifestement le toponyme tire son nom de
قبة qubâ (dôme) puisqu’il est situé sur un petit promontoire. Il y a pas mal de monde qui a fait le déplacement. La fanfare de la police palestinienne accueille les pèlerins au son des cornemuses, des clarinettes et des tambours. Il fait assez chaud, le khamsin souffle, en bouchant la vue et en nous faisant suer. Il a fait presque 35°, ce jour-là. Heureusement, l’église est fraîche.
Avant la messe, j’écoute le frère Stéphane qui raconte l’histoire du lieu. Notamment le fait que pendant la deuxième guerre mondiale, un grand nombre de franciscains y vivait : l’Italie était en guerre contre les Anglais qui exerçaient le mandat de la SDN sur la Palestine et la Jordanie. Ce nombre a permis des fouilles extensives sur la propriété. On sait désormais que la voie romaine longeait l’actuelle église. Quant aux disciples, vous connaissez le nom de l’un d’entre eux, c’est Cléophas. Mais le second ?

Selon Eusèbe de Césarée (vers 265-339), qui cite Hégésippe (vers 115-vers 180), Cléophas serait un oncle de Jésus, puisque frère de saint Joseph, époux de la Vierge Marie. Il serait mort martyr, lapidé en confessant que Jésus était le Messie annoncé par les prophètes.
Selon Origène, le second disciple, dont les évangiles ne disent pas le nom, serait un cousin de Jésus, un fils de Cléophas, Simon, dit frère du Seigneur, devenu responsable de l’Église de Jérusalem, après le martyr de Jacques le Mineur en l’an 62. Il vécut des années difficiles en l’an 70 lors de la destruction de Jérusalem, puis à l’époque de son refuge à Pella. Il réussit à se soustraire aux recherches des descendants de David ordonnées par Vespasien et Domitien. mais il fut dénoncé comme chrétien et descendant de David au temps de Trajan. Il fut torturé et crucifié en 107. Il avait 120 ans, ayant été 43 ans évêque de Jérusalem.
La messe est présidée par le P. Dobromir, vicaire du Custode et elle est dite à moitié en arabe et à moitié en latin. À la fin de la messe, on distribue le pain bénit, une sorte de petite brioche très bonne qui nous invite à manifester le Christ ressuscité dans nos vies, à le rendre visible dans notre partage.
Après la messe, je blague un peu avec le frère Stéphane qui a profité du passage pour apporter la nouvelle version française du missel propre au sanctuaire en prenant soin de détruire les précédents… Je regarde aussi le plan des fouilles qui est assez drôle puisqu'il indique les parties molto anticotrès ancien
, ce qui manque singulièrement de précision.
Puis avec les Frères, nous rentrons à Jérusalem. Nous disposons d’une sorte de laissez-passer qui nous permet de traverser la frontière à el-Gib, check-point normalement réservé aux véhicules dotés de plaques diplomatiques. Le passage se fait sans difficulté aucune.
Après-midi de repos et de lecture.
Le soir, j’avais prévu de retrouve deux frères de NDV pour célébrer dignement la fête de Notre-Dame de Vie. C’était sans compter l’insidieux ennemi du moment qui en a terrassé un (rassurez-vous, il va bien !). Avec l'autre, nous avons malgré tout maintenu notre rencontre. Bon repas chez Versavée (qui devient presque ma cantine)… Nous échangeons sur toute sorte de sujets.
Ce mardi, retour à une vie ordinaire à la bibliothèque. La température a chuté et la petite laine se supporte.
À très bientôt,
Étienne+

dimanche 17 avril 2022

Et ils vécurent (Ez 37,10)

 וַיִּֽחְי֗וּ
vayyiḥyû

Chers amis,
Le Christ est ressuscité ! Ici à Jérusalem, nous l’expérimentons d’une manière toute spéciale même si nous sommes noyés au milieu de gens qui n’en sont absolument pas convaincus…
La célébration de Pâques sort de l’ordinaire : à cause du statu quo qui gouverne les relations des Églises chrétiennes à l’intérieur du Saint-Sépulcre, on célèbre la Vigile pascale le samedi saint au matin, horaire à laquelle elle était célébrée jusqu’à sa restauration par le pape Pie XII. Par conséquent, on entre dans la joie de Pâques avec une douzaine d’heures d’avance, alors que le dernier jour du Carême se lève… Liturgiquement, on fête Pâques mais chronologiquement, on n’y est pas encore. C’est pas grave, c’est tellement beau.
L’église du Saint-Sépulcre est fermée durant toute la célébration, et nous somme seuls à vivre une liturgie à ce moment-là : grand silence et recueillement. Les prêtres entrent en procession et se rendent dans l’entrée près de la pierre de l’onction pour la “liturgie de la lumière”. C’est en fait un petit brasero en argent dans lequel rougeoient quelques braises. Rien à voir avec l’hystérie du feu sacré des Orientaux.
On bénit le feu, on allume l’encensoir, mais en fait le cierge pascal sera allumé à l’intérieur de la tombe. C’est pour cela que la procession retourne vers le lieu de célébration. Les Latins célèbrent devant la Tombe : le siège du Patriarche qui préside est devant la porte du chœur des Grecs et l’autel devant l’entrée de la Tombe. J’ai eu un peu moins de chance que pour les Rameaux et la messe chrismale pour le placement, mais juste un peu moins. Je n’étais pas dans les bancs de part et d’autre du Patriarche mais au premier rang au sud de l’édicule, juste derrière l’ambon des lectures. On ne pouvait pas rêver mieux.
La célébration a duré plus de trois heures, avec toutes les lectures, mais je n’ai pas vu le temps passer ! J’ai remarqué que l’évangéliaire est extrait de la Tombe et que ce n’est pas le diacre qui le proclame mais le Patriarche lui-même conformément à la tradition hiérosolymitaine et devant la tombe. Pour une raison que j’ignore, la liturgie baptismale se fait depuis le côté septentrional de la Tombe (donc je n’y voyais rien !)… En fait, le côté septentrional correspond quand on est devant la Tombe au côté droit et cela doit donc être une allusion à Ézéchiel 47 (Je vous laisse aller chercher dans vos bibles). Et même si on ne procède pas à des baptêmes, l’eau est bénie en plongeant la base du cierge pascal dans l’eau. La photo qui suit m'a été envoyée par la rédactrice en chef de Terre Sainte Magazine qui était parmi les journalistes présents. Vu ma place, elle ne pouvait pas me manquer...

À la fin de la célébration, pas de procession (ouf !)
L’après-midi, bonne sieste, un peu de lecture, balade dans la Vieille Ville. Le soir, je m’étais dit que je pourrais aller à la Vigile pascale de l’École mais j’étais tellement crevé (mal dormi la nuit précédente) que j’y ai renoncé. Quand j’ai baissé mes volets vers 21h05, j’ai vu au loin la façade de l’École illuminée par le feu pascal… J’ai bien dormi.
Ce matin, je pensais aller fêter Pâques à Abu Gosh mais au moment de partir, les Frères m’ont demandé : « Tu seras là au déjeuner ? ». En fait, c’était le 90ème anniversaire du Frère Jean Manuel. Né à Beersheva, grandi à Jérusalem dans le quartier de Musrara, il est rentré à 20 ans chez les Frères, il a fondé le Collège à Beit Hanina, au nord de Jérusalem et fut la cheville ouvrière de l’université de Bethléem. Malgré cela, c’est un homme d’une grande douceur, d’une grande humilité. Il fallait que j’y sois ! J’ai donc renoncé à mes projets et ai décidé d’aller à l’Ecce Homo pour célébrer la messe de Pâques sur la terrasse.
Au moment d’arriver, j’entends dans les hauts parleurs de la mosquée alAqsa de grands cris ! La voix du type était un brin excitée… Allons bon. Que se passe-t-il encore ? Après les violences de l’avant-veille.
Sur la terrasse de l’Ecce Homo, on a une belle vue sur l’esplanade des mosquées. Ça avait l’air calme, mais en fait, pendant toute la messe, on a entendu des détonations, des cris (allahu akbar !). Si j’ai bien compris les forces israéliennes ont bloqué pendant trois heures des gens dans les mosquées pour permettre à des colons juifs de faire le tour de l’esplanade.
Après la messe, une petite collation était servie. Cela a permis de faire connaissance avec les gens : je suis tombé sur un ancien de Saint-Joseph de Carpentras ! Pendant tout ce temps, on entendait des cris dans la rue en dessous et même à un moment un coup de feu. Un soldat israélien qui se tenait devant la porte latérale de l’Ecce Homo a tiré un flashball sur un jeune plus haut dans la rue ha-Nezirot (rue des Moniales). Je pense que c’était plutôt un tir pour faire peur, mais deux étages au-dessus, on était moyen rassurés.
Je suis remonté au Collège, en passant à la 6ème station, j’ai souhaité المَسيح قام!  حَقّاً قام aux Petites Sœurs de Jésus et nous avons échangé quelques nouvelles.

Apéro chez les Frères (heureusement je suis arrivé en retard et ne me suis pas empiffré de biscuits) et déjeuner. Je me suis retrouvé à côté d’un jeune (futur) énarque en stage à l’ambassade de France à Tel Aviv, qui connaît un des séminaristes du Studium, il est venu avec le Frère Patxo de Jaffa chez qui il loge… Le repas fut très sympa et fraternel. Suzi la cuisinière était venue (elle ne vient pas normalement le dimanche et en plus, elle ratait le dimanche des Rameaux des orthodoxes) et a préparé un gigot excellent. Je ne suis pas un inconditionnel du gigot d'agneau à Pâques, mais celui-là était extraordinaire. Pendant que nous dégustions le gâteau (un de ces monstres de crème et de sucre qu’on mange par ici), le Frère Alejandro de Bethléem a passé un petit film avec des souhaits de provenance diverses et quelques photos de la vie du Frère Jean Manuel (son enfance, sa famille, sa “carrière” de frère). Très touchant. Sur la photo, vous voyez le gâteau et le Frère Jean qui lit la lettre envoyée par le Frère Supérieur depuis Rome !
Il a fallu aller faire la sieste ensuite…
Puis je suis allé me balader rue de Jaffa. L'ambiance était très inhabituelle : beaucoup de musiciens dans les rues (clarinettes klezmer, saxo, différents styles), beaucoup de monde aussi. Comme c'est la fête de la Pâque (Pesaḥ), les gens sont en vacances et en profitent. J’ai acheté quelques amandes et j’ai déniché un jeu éducatif en hébreu qui pourrait m’être utile dans l’enseignement de cette langue au Studium. J'ai raté une occasion de photo en voyant une famille de haredîm jouer avec l'énorme radio qui est devant la mairie, c'est une œuvre d'art en forme de transistor bleu pétrole, lorsqu'on tourne les boutons les stations passent de l'une à l'autre comme dans les postes de radio de notre enfance. C'était amusant de les voir jouer avec cet objet susceptible de diffuser une musique inconvenante !
Retour au Collège, oraison… Dîner frugal, vous vous en doutez…
À bientôt,
Étienne+

vendredi 15 avril 2022

Près de la croix de Jésus, se tenaient… (Jn 19,25)

Εἱστήκεισαν δὲ παρὰ τῷ σταυρῷ τοῦ Ἰησοῦ
Eistêkeisan de para tô staurô tou Iêsou 

Chers amis,
Drôle de vendredi saint que celui-ci ! Pour les chrétiens occidentaux, c’est le vendredi saint ; pour les musulmans, c’est un vendredi de Ramadan ; et pour les juifs, c’est la veille de Pessah (la Pâque juive).
Ce matin, comme à l’accoutumée, j’ai entendu le “coup de canon” du Ramadan, vers 4h50. Rien qui puisse me réveiller… Je me retourne dans mon lit et c’est reparti pour une heure. Sauf que…
Sauf que, les détonations ont continué… On entendait le muezzin et divers boums, bang, plus ou moins sourds ou secs. Au bout d’un moment, je me suis levé et suis monté sur la terrasse des Frères. Comme c’est le bâtiment le plus haut de toute la Vieille Ville, on voit un peu de l’esplanade des Mosquées. Là, j’ai vu quelques éclairs, des étincelles, un nuage de fumée et des gens qui couraient vers le Nord…
Ça a toutefois eu l’air de se calmer. Malgré tout, il y a eu des dizaines de blessés et des échauffourées dans la mosquée Al-Aqsa. Tout ça ne va pas calmer les esprits…
Je suis tout de même allé assister à l’office du Vendredi saint au Saint-Sépulcre. De toutes les célébrations de la semaine sainte, c’est la plus stressante : elle se déroule dans la chapelle haute partagée par les Grecs (au nord) et les Latins (au sud) au niveau du Golgotha (moins de 100 m²). Une fois qu’on y a mis le Patriarches, les chanoines du Saint-Sépulcre, les évêques, les séminaristes, les franciscains, le chœur de la Custodie… Il ne reste pas beaucoup de place.
Comme la basilique est fermée avant la célébration, les gens qui veulent y participer se massent devant en espérant pouvoir avoir une place là-haut. Des barrières empêchent les gens de s’approcher, mais certains jouent des coudes pour passer : la soutane aide grandement.
Finalement la procession du patriarche arrive, drainant dans son sillage quelques fidèles avisés qui pourront ainsi se glisser avant tout le monde. Le gardien ouvre les portes. Et la procession peut rentrer. Tout le monde s’engouffre dans la basilique, mais l’accès à la chapelle haute est bloqué pour que les “officiels” puissent y accéder. Entre temps, le patriarche et les chanoines vont s’habiller dans la chapelle des Latins. Pour ma part, me retrouver quiché pour ne rien voir (et dans les circonstances sanitaires actuelles, un coup à se retrouve dans un foyer épidémique), ça ne m’emballait pas trop. Comme il y a six ans, j’ai participé à la célébration d’en bas. Dans le déambulatoire, j’ai trouvé un coin de pierre où je peux poser une demi-fesse, en face du rocher du Golgotha visible à cet endroit derrière une vitrine.
Le Patriarche est arrivé, précédé et suivi de la procession des officiels. Ensuite, ce fut un peu la curée pour accéder à la chapelle. En voyant les kawas filtrer les passages, je me suis dit qu’il y avait un étrange retournement de situation. Le jour de la crucifixion de Jésus, l’assistance était plutôt féminine ; aujourd’hui, elle est presqu’exclusivement masculine. Évidemment, avant, il fallait risquer sa vie pour y être ; maintenant, c’est un honneur !
J’avais emporté mon Missel des dimanches pour pouvoir suivre la célébration mais en fait, nous étions assez nombreux “en bas” et les franciscains ont largement distribué des livrets multilingues.
Sauf que j’ai raté le début de la célébration… Les kawas en étaient encore à faire monter au compte-gouttes les gens qu’on a entendu : « Verbum Domini ! Deo gratias ! » Ça alors, la première lecture se terminait ! Le Patriarche ne célèbre pas, il galope…
Nous avons suivi d’en bas la proclamation de la Passion. Le lecteur et les “autres personnages” s’entendaient bien mais celui qui tenait le rôle de Jésus (registre assez bas) n’avait aucune puissance. Mais en suivant sur le livret, on y arrivait, surtout grâce au chœur de la Custodie qui chante en polyphonie les parties de la foule.
Le recueillement était impressionnant alors que nous n’y voyions rien. En suivant sur le livret en latin, je remarque qu’au moment de la mort de Jésus, le diacre dit : Et inclinato cápite
𝐇𝐢𝐜 trádidit spíritum, c’est-à-dire “Puis, inclinant la tête, il remit 𝐈𝐜𝐢 l’esprit”. (Jn 19,30)
La grande prière universelle est aussi un peu plus longue qu’ailleurs : une intention se glisse après la 5ème (Pro unitate Christianorum) et s’intitule Pro Peregrinorum : « Prions aussi pour les pèlerins qui, mus par leur foi, fréquentent ces lieux saints, lieux de notre rédemption : afin qu’en célébrant ici le mystère pascal du Christ, ils Le rencontrent, Lui le Dieu vivant et vrai, et qu’ils soient conduits, par Lui sur le chemin de la vie nouvelle. » À quoi l’oraison répond : « Dieu éternel et tout-puissant, soutiens tes fidèles pèlerins dans ces lieux saints ; remplis-les de la force et de la lumière du Saint-Esprit, afin qu’en retournant chez eux, plus forts dans la foi et renouvelés par les saints mystères, ils manifestent à tous la vie chrétienne. Par Jésus… »
En bas, il n’est pas envisageable de vénérer la croix… On fera ça après la célébration. Mais la communion sera distribuée. À la sortie, je retrouve Henri (qui était en haut) et Cyriaque (en bas lui aussi). Nous machinons un rendez-vous pour le lundi de Pâques.
À cause de la concurrence “Pâques-Ramadan”, le chemin de croix est avancé à ce matin. L’après-midi, il aurait été inenvisageable que le flot des chrétiens croise celui des musulmans.
Je suis rentré au Collège.
Repas léger avec les Frères.
Après-midi reposante. Puis je suis allé faire mon chemin de croix calme, dans un coin peu fréquenté. Je suis aussi passé par la cathédrale arménienne où j’ai pris un air de Vêpres et ai fini par faire oraison au Cénacle. Pas un chat ! Pourtant, c’était là où se tenaient les disciples le vendredi saint.
En descendant du Cénacle, je fais un tour par le 
“Tombeau de David”, et passe devant une salle où le seder, le repas pascal juif, est prêt : assiette, carafe de vin, chandelles... Ne manque plus que les convives...
Je reviens en faisant un bon petit tour : Dormition (fermée pour travaux) ; murailles, Parc Teddy Kolek, Yemin Moshe, Tombe de la famille d’Hérode, Consulat de France, Mamilla.
Alors que je rédige ce post, j’écoute la Passio d’Arvo Pärt mais je suis dérangé par des tambours ! Encore ! Je regarde par la fenêtre et vois passer la procession funèbre de la paroisse latine. Les scouts portent une figure du Christ dans un drap blanc, d’autres suivent avec les herbes et les aromates. Puis, les ministres, le chœur et les paroissiens.


Ce soir, il y a la procession de la mise au Tombeau avec les Franciscains. Mais trop de monde...
Que Dieu vous bénisse en ce vendredi saint.
Étienne+

jeudi 14 avril 2022

Si vous avez de l’amour les uns pour les autres (Jn 13,35)

ἐὰν ἀγάπην ἔχητε ἐν ἀλλήλοις
ean agapên echête en allêlois

Chers amis,
Rien de bien particulier en ce début de semaine… Lundi, mardi et mercredi, j’ai travaillé d’arrache-pied à mon bureau de la bibliothèque… J’ai vu débarquer le P. Dominic dont je squattais le bureau en son absence. Il m’a dit que je pouvais rester et qu’il travaillerait depuis sa chambre (comme professeur, il a le privilège de pouvoir emporter les bouquins hors de la bibliothèque !) Mercredi soir, j’ai envoyé un début de chapitre 6 à Anthony.
Ce matin, je suis allé à la messe au Saint-Sépulcre, c’est une messe “deux-en-un”, puisqu’elle rassemble la messe chrismale et la messe de la Cène du Seigneur. Il y a donc quatre lectures avant l’évangile. Je pensais que deux des lectures correspondaient à celle de la messe chrismale mais ce n’est pas le cas… Voici le programme (les lectures spéciales sont en italiques) :
     * Gn 22,1-18 : le sacrifice (la “ligature” devrait-on dire !) d’Isaac ;
     * Ps 39,7-11 : Me voici, Seigneur, je viens faire ta volonté ;
     * Ex 12,1-14 : Institution du repas pascal ;
     * Ps 115 : Bénis soient la coupe et le pain, où ton peuple prend corps ;
     * Pr 9,1-6.10-11 : le festin de la Sagesse divine ;
     * Ps 33 : Goûtez et voyez comme est bon le Seigneur ;
     * 1Co 11,23-26 : l’institution de l’Eucharistie ;
     * Jn 13,1-15 : Le lavement des pieds.
Avant la messe, la procession se met en place. Le cérémoniaire a insisté, une fois de plus pour que les prêtres ne fassent pas usage de leur portable pour prendre des photos ou filmer… Je me trouvais dans la procession, au niveau de la porte d’entrée de la chapelle des Latins. Le frère Stéphane était à côté, je le salue et il me dit : « Tu as ton portable ! N’oublie pas de prendre des photos ! » Je lui ai fait remarquer que je connaissais un évêque qui tirait à vue et sans sommation quand il voyait un prêtre prendre des photos pendant la messe et que ça m’avait permis de ne pas prendre de mauvaises habitudes…
La procession s’est mise en branle et nous avons approché la zone devant l’édicule où la messe est célébrée. J’étais au milieu de la procession des prêtres, mais j’ai été verni pour le placement : sur le même banc que dimanche dernier, d’où l’on pouvait voir tous les gestes liturgiques. Je n’ai pas boudé mon plaisir. En regardant mes archives, je me rends compte que j'étais à la même place pour la Vigile pascale il y a trois ans et pour la Messe in Cena Domini en 2016.
Dans l’homélie, le patriarche a insisté sur le don de Jésus : « En ce jour saint, mémorial de son don eucharistique et de sa remise entre les mains de ses ennemis, Il vient à nouveau à notre rencontre, dans la Parole et dans le sacrement, sans défense comme alors, doux comme alors, prêt à faire de la mort un don pour transformer la violence en pardon. Il ne fuit pas la décision de Caïphe, Il ne conteste pas le jugement de Pilate, Il ne menace pas les bourreaux ; et cela non pas par pacifisme maniéré ou par simple non-violence passive, mais pour affirmer une réaction nouvelle et vraiment victorieuse : celle de confiance en Dieu et d'amour pour tous ».
Suivent le lavement des pieds (Lotio pedum en latin) ; la rénovation des promesses sacerdotales ; la bénédiction des huiles ; la prière universelle puis la liturgie eucharistique.
Comme d’hab, les prêtres communient puis les fidèles : on fait jouer la montre pour utiliser tout le temps qui est imparti aux Latins par le statu quo. Après la messe, la procession du Saint-Sacrement se met en marche, comme dimanche dernier, on fait trois fois le tour de l’édicule. Puis au troisième tour on quiche tous les prêtres dans le vestibule de la Basilique (qui est restée portes closes) avant de repartir vers l’édicule. Le patriarche entre et dépose le Saint-Sacrement dans un tabernacle dans la tombe. Vous pouvez voir les photos sur le site du patriarcat latin.

Après la messe, je retrouve Henri que j’invite à prendre un café au Collège, il fait signe à Arnaud, un prêtre de Poitiers qui est aumônier militaire. Nous prenons le café sur la terrasse en admirant le paysage et en faisant un petit cours de topographie de Jérusalem.
Déjeuner avec les Frères, après je cours à la Poste acheter des timbres. Je glandouille un peu, fait la sieste, puis je vais me balader du côté de la rue de Jaffa. Le but est d’acheter des enveloppes : les cartes postales sont trop grandes pour rentrer dans une enveloppe standard… Je finis par trouver. Ensuite, je suis allé faire oraison au Mur occidental. J’ai traversé le quartier juif avec pas mal de changements : la synagogue de Tiferet Israel est en reconstruction. Sur la place du Mur, un bâtiment recouvre la zone fouillée ces dernières années. En ce moment, je lis un bouquin sur le quartier maghrébin de la Vieille Ville. Fondé en 1187, il se trouvait jusqu’en 1967 sur le lieu où s’étend aujourd’hui l’esplanade du Mur. Il servait, entre autres, à héberger, vêtir, nourrir et même inhumer, les pauvres pèlerins musulmans venus du Maghreb. Les terres aux alentours d’Ain Karem servaient à financer ses activités. À proximité immédiate du Mur occidental, lieu saint pour les Juifs, trois jours après la prise de la Vieille Ville lors de la guerre de Six Jours, le quartier a été évacué et détruit en une nuit, officiellement par des entrepreneurs de travaux publics exaltés par la prise de Jérusalem. En fait, le livre montre que depuis longtemps, on lorgnait dessus et que, profitant de la confusion qui régnait alors, on a tout fait très rapidement pour mettre tout le monde devant le fait accompli, meilleur moyen d’obtenir ce que l’on veut dans la région.
En quittant l'esplanade du Mur, j'entends le 
“coup de canon du Ramadan” ; ensuite, en remontant vers le Collège, je ne suis pas trop surpris de voir tous les marchands devant leur boutique de souvenirs, de quincaillerie manger et boire. Meilleur moyen de savoir qui est musulman !
Finalement, trop fatigué pour aller à Gethsémani. Je dois avouer que la foule et le bruit…
À bientôt,
Étienne+

dimanche 10 avril 2022

Le Seigneur en a besoin (Lc 19,34)

ὁ Κύριος αὐτοῦ χρείαν ἔχει
ho Kurios autou chreian echei

Chers amis,
Le dimanche des Rameaux s’achève…
Samedi matin, je suis arrivé un peu en retard à la bibliothèque. En fait, j’ai prolongé le petit déjeuner pour parler avec le Frère Fadi sur les questions de formation, d’éducation. Très intéressant.
Dans la matinée, j’ai lu un article sur le lien entre l’Apocalypse et le cérémoniel impérial. L’après-midi, j’ai continué à étudier puis je suis allé faire un tour. La reprise de mon rythme de vie hiérosolymitain m’a révélé ce que je pressentais… Je n’ai presque plus d’activité sportive alors que l’année dernière, couvre-feu ou pas, j’allais marcher une heure le soir entre trois et cinq fois par semaine. Cette année, c’est plutôt un rythme de thésard vissé à son bureau… Je m’essouffle très vite. Ce mois en Terre Sainte est l’occasion rêvée pour reprendre quelques bonnes habitudes ! Je suis donc allé marcher une bonne heure. Il faisait un peu chaud mais j’ai fait un bon tour, vers la première gare, le YMCA, le Parc de l’Indépendance, la rue de Jaffa. Ce fut l’occasion de voir les changements : tel magasin qui a fermé, tel bâtiment dont la construction est finie… J’avais déjà remarqué trois nouveaux gratte-ciel visibles depuis la fenêtre de ma chambre. Le Centre culturel français a déménagé…
Le soir, j’avais rendez-vous à Versavée, un restaurant près de la porte de Jaffa pour dîner avec Marie des Neiges et Catherine. Marie des Neiges rentrait en France le lendemain matin après trois semaines de travail pour le Terra Sancta Museum. Catherine est responsable d’une agence de pèlerinages. Ce fut un précieux sésame pour pouvoir dîner au restaurant : le restaurant avait ouvert pour un groupe et était plein. Mais le patron a tout de même fait une fleur à madame “Routes bibliques”. S’est jointe à nous Valérie, une journaliste française, correspondante entre autres de Radio Vatican. Le repas a été passionnant parce que la journaliste a plutôt la tchatche. Après la fermeture du restaurant, nous avons continué au café Aroma. Du coup, coucher un peu tardif…

Lever matinal pour être à pied d’œuvre pour la messe des Rameaux au Saint-Sépulcre. J’avais pris la précaution de réserver pour concélébrer. Avant la célébration, le cérémoniaire a fait les gros yeux pour nous inviter à ne pas photographier pendant la messe. (oui, il y a des prêtres qui prennent des photos pendant les messes quand ils sont à Rome, à Jérusalem, avec le Pape, ou…) La messe devait commencer à 8 h mais les autres confessions avaient un peu de retard. On commence par se rendre devant la Tombe ; là, on écoute l’Évangile des Rameaux, puis le patriarche bénit les rameaux qu’il distribue à la foule. Je me suis donc retrouvé avec une belle palme. Ensuite nous partons en procession et faisons trois fois le tour de l’édicule de la Tombe, en chantant
Lauda Jerusalem Dominum ! Ce faisant, on passe devant l’oratoire des coptes qui célèbrent leur liturgie. Mais ils avaient eux aussi des Rameaux (qu’ils ne célèbreront que la semaine prochaine).
Enfin, le troisième tour passe dans l’entrée de la Basilique dont les portes sont closes. Cela faisait déjà une heure trente qu’on battait le pavé… Puis, on retourne dans la chapelle de l’Ange où le patriarche enlève la chape et revêt la dalmaticelle et la chasuble pour la messe. Puis on retourne dans la basilique, je me suis retrouvé au troisième rang, bien assis (avec un dossier). Belle proclamation de l’évangile de la Passion (chantée à trois voix). J’ai été surpris parce que le patriarche n’a pas fait d’homélie. Finalement, la messe s’est terminée à 11h15 bien sonnées. Dans la sacristie, un petit café est servi. Je retrouve Henri et nous discutons un peu sur le chemin du retour.
Arrivé au collège, je retrouve les Frères prêts à se mettre à table. Je retrouve Frère Rafael qui est rentré d’Amman dans la matinée. Quelle joie ! Il a 93 ans et demi, toujours bien alerte même si je le trouve amaigri et avec le visage marqué. Mais si le Seigneur me fait la grâce d’arriver à cet âge, je voudrais que ce soit dans le même état. Il y aussi le Frère Allan, un frère philippin qui “vient voir”.
Après le repas, je pars avec Frère Daoud et Frère Malak vers la gare routière de Bab al-Amoud ; devant la porte de Damas, nous retrouvons quelques jeunes et nous allons en bus vers le Mont des Oliviers. Arrivés au sommet, je passe au Carmel du Pater pour laisser un paquet à une jeune novice. Sa sœur suit quelques cours au Studium et m’a demandé de faire le facteur (cela ne m’a pas empêché de dire la semaine dernière que personne ne m’avait confié de paquet à transporter : mais je ne vois pas quel danger peuvent représenter un Gaffiot, deux Pagnol et quelques plaques de chocolat). Pour le chocolat, il y avait des chocolats Ferrero ©… J’aurais peut-être dû goûter pour vérifier qu’il n’y avait pas de salmonelle.
Je descends vers Bethphagé, je retrouve le Frère Rafael qui est monté en voiture (plus vite que nous en bus !). Cette procession est aussi un lieu de socialisation : j’y retrouve tout le monde, Jean, les frères d’Abu Gosh, les sœurs de la Maison d’Abraham, un Légionnaire du Christ doctorant à l’EBAF, un couple franco-palestinien qui tient une agence de pèlerinages…
Derrière la chapelle, une sono à fond avec - c'est plutôt étrange - une version en arabe de Bella Ciao ! Quel bruit !
Je trouve un pot de fleur à l’ombre et pique un bon roupillon. La procession se met en branle.

Il y a pas mal de monde. Mais finalement peu de Palestiniens... En fait, à cause des attentats en Israël de ces derniers jours, il était à prévoir que les chrétiens venus de Cisjordanie ne pourraient pas venir. Devant le Pater, je retrouve Marie-Claire, arrivée la veille de Toulouse. Nous nous sommes connus il y a 15 ans et nous ne nous voyons qu’à Jérusalem !
Entre temps, j’ai rejoint le groupe de l’EBAF qui épuise le répertoire du renouveau : Que soit béni le nom de Dieu !, Voici celui qui vient au nom du Seigneur !, Debout, resplendis !... Nous arrivons ensuite à Sainte-Anne. Je rencontre le nouveau recteur du domaine français de Sainte-Anne, un Père blanc toulousain. Il fait un doctorat en Bible à Toulouse et Madrid. Je n’avais pas prévu de rester à Sainte-Anne et le temps de discuter avec le P. Laurent, c’était déjà fini. Il faut dire que le patriarche ne lambine pas.
Le plus dur a été de sortir au milieu de la foule et des scouts. Je remonte toute la Vieille Ville. Les scouts finissent par arriver au Collège au son des cornemuses et des tambours… Quel vacarme !
Admirez la dextérité du tambour-major! 
Dîner, discussion avec le Frère Fadi. Du coup, je rate l’annonce des résultats du premier tour (c'est la troisième fois que j'assiste à une présidentielle depuis Jérusalem)… À bientôt,
Étienne+

vendredi 8 avril 2022

Ils jeûneront ce jour-là (Mc 2,20)

νηστεύσουσιν ἐν ἐκείνῃ τῇ ἡμέρᾳ
nêsteusousin en ekeinê tê êmera

Chers amis,
Depuis lundi dernier, j’ai repris mes habitudes hiéroslymitaines…
Lundi, j’ai toutefois commencé par une bonne sieste. Comme j’avais reçu le résultat de mon test du matin (opportunément négatif !), j’ai pu aller à la bibliothèque. En sortant, j’ai réalisé qu’il faisait assez chaud : mardi, il a même fait 31 °C ! Alors qu’au même moment en France, on craignait le froid. À l’EBAF, formalités pour établir ma carte de bibliothèque qui est jaune cette année. Le problème a surtout été de me trouver une place ! Depuis mon départ début 2020, le bibliothécaire a changé et il a un peu réorganisé les locaux. Il y a pas mal de places en plus mais manifestement, cela ne suffit pas ! Au début, il m’a attribué la place 408 qui était auparavant un ordinateur pour consulter le catalogue informatique. C’est pas la place la plus cool du lieu : tu fais face à la porte d’entrée et toute personne qui rentre passe devant toi… Bonjour l’intimité.
Heureusement, le lendemain, une bibliothécaire est venue me trouver pour me mettre à la place 309, normalement occupée par le P. Dominic, un o.p. indien, qui est absent ces jours-ci… Je sens qu’il faut que je me prépare à une existence d’étudiant migrateur. Pourtant, si les postes de travail sont attribués, cela ne signifie pas pour autant que la bibliothèque ressemble à une ruche avec des tas de gens intelligents qui lisent, écrivent et farfouillent. En fait, l'ambiance est plutôt calme. Sinon, ne vous inquiétez pas la bibliothèque est encore chauffée, je ne risque pas d’avoir froid. En fin d’après-midi, je retrouve Anthony mon directeur. C’est encourexigeant, le néologisme transparent vous dit ce que je ressens… Cela m’oriente pour ces semaines de travail…
C’est parti !
Le soir, messe avec les Frères… Je célèbre avec le Prions en Église puisque le nouveau missel n’est pas encore arrivé. Mardi bibliothèque. Mercredi matin, bibliothèque puis je vais déjeuner chez Lina, resto de hummus derrière le Saint-Sépulcre. J’y retrouve Marie des Neiges qui passe trois semaines à Jérusalem pour travailler aux biens culturels de la Custodie. Le projet du Musée Terra Sancta avance. La semaine précédente, il y avait le Comitéscientifique avec la crème des conservateurs d’Europe. Marie des Neiges travaille au catalogage de l’orfèvrerie et fait profiter le projet de ses compétences en informatique. Elle est devenue imbattable en poinçons. Retour à la bibliothèque…
Dans l’après-midi, je croise Henri, un prêtre de Notre-Dame de Vie qui a soutenu sa thèse à Jérusalem, il y a 6 ans. Il travaille pour la BEST pendant trois mois. Nous discutons un moment. Plus tard, Cyriaque est venu me proposer de prendre un thé à la salle-à-manger de l’EBAF. Il est prêtre du diocèse de Quimper, membre de Notre-Dame de Vie et fait partie de mes anciens étudiants au milieu des années 2010. Il termine sa licence à l’Institut Biblique. Comme il n’a plus de cours à Rome, il reste toute l’année à Jérusalem et profite des atouts de la Ville sainte.
Jeudi, je ne suis pas allé à la bibliothèque : le matin, j’avais une séance du séminaire sur l’Épître aux Romains, que je suivais en visio. Un étudiant a fait un très bon exposé sur le chapitre 9. Ensuite, il y avait une heure de débat, assez intéressant mais difficile à suivre à distance. Puis débriefing avec les deux autres professeurs. L’après-midi, conseil de formation sacerdotale du Studium, pour discuter des séminaristes. Et cela nous a menés jusqu’à la fin d’après-midi. C’est dommage, j’ai raté la conférence de l’EBAF organisée ce jeudi soir : “Le rouleau du Temple : entre réalité et fiction”. Il s’agit d’un des manuscrits de la mer Morte retrouvés au début des années 50. C’est le seul document de ce type, une feuille de cuivre sur laquelle ont été poinçonnés des lettres avant de rouler le tout… Pour déchiffrer le document, il a fallu découper la feuille en petits morceaux. Le texte est une liste de soixante trois trésors cachés dans les environs de Jérusalem, totalisant 160 tonnes d’or et d’argent…
Un exemple d’indication de cachette au trésor :
Le rouleau de cuivre lors de sa découverte
Le rouleau de cuivre lors de sa découverte

 

(3) Dans la grande citerne qui se trouve dans la cour du péristyle, du côté de son fond, scellée dans le mur (circulaire), en face de l'ouverture supérieure : neuf cents talents.

(9) Dans la citerne qui est en face de la porte orientale, à une distance de quinze coudées, il y a des vases et dans le canal qui s’y trouve : dix talents. ∆Ι 

(47) Dans la citerne de la vallée de Job (…), dans le souterrain (près de) sa source (il y a) une pierre noire, (à) deux coudées, c’est l’ouverture : trois cents talents d’or, et des vases : vingt coupes.

 

Vous comprenez donc l’“enthousiasme” qui entoure le rouleau. Il est conservé à Amman en Jordanie puisque le site de Qumrân était en Jordanie à l’époque de sa découverte. Je mettrai la vidéo sur le blog quand l’EBAF l’aura mise sur Youtube.
Aujourd’hui, je suis allé à la bibliothèque. Travail intense. En arrivant, j’ai réalisé que mon séjour de quatre semaines correspondait assez précisément au Ramadan. La prière du vendredi chez les musulmans a une importance toute particulière et à Jérusalem, il y a foule. Les années précédentes, il m’est arrivé de parcourir en près d’une heure le trajet entre l’Ecce Homo et la porte de Damas tellement il y avait de monde vers 13h30 lorsque je sortais de la messe et du déjeuner avec la communauté du Chemin Neuf, tellement la foule était dense. Il faut dire que l’Ecce Homo est tout contre l’une des sorties de l’esplanade des mosquées. Tout le monde retourne chez soi en passant par la porte de Damas qui dessert les trois gares routières, d’où les bus repartent vers le territoire palestinien. L’une de ces gares est devant l’École Biblique, et les bus partent vers Ramallah et Naplouse. Devant l’EBAF, les policiers israéliens disposent des barrières partout pour canaliser la foule, il m’a fallu en enjamber pour accéder à l’entrée de l’EBAF. Je me suis souvenu des difficultés que l’on a ensuite à sortir et à revenir en milieu de journée, lorsque la foule est la plus nombreuse. En plus, l’attaque terroriste d’hier soir à Tel Aviv a fait monter la tension d’un cran. Les Israéliens sont sur les dents et les Palestiniens s’échauffent vite… Par conséquent, je suis resté toute la journée à l’EBAF. Un vendredi de carême, on peut… À 17h30, entretien avec Anthony avec des encouragements.
Je rentre chez les Frères. La cour est remplie des élèves qui répètent pour les Rameaux avec tambours et cornemuses. Arrivé à l’étage, je salue chaleureusement le Frère Fadi, Frère visiteur (équivalent du Provincial). Il a eu quelques mésaventures pour entrer en Israël entre test PCR non fait et téléphone disparu. Nous avons évoqué aussi l’explosion du 4 août 2020 au Liban. Elle a dévasté le collège des Frères de Beyrouth et la maison provinciale, tous deux situés à 700 mètres de l’épicentre de l’explosion. Providentiellement, tout était vide au moment de l’explosion. À en parler avec lui, on sent à quel point cet événement a marqué les esprits.
Dans mon bureau, je guette le coup de canon qui signale le coucher du soleil et donc la fin du jeûne pour les musulmans. Depuis ma fenêtre on est aux premières loges… En fait, les gens parlent de coup de canon, mais c'est juste une fusée qui fait un gros boum. Depuis l'École Biblique, on a l'impression d'être sous les bombes car la fusée est tirée d'un endroit voisin. Le matin, il y a aussi une fusée un peu avant 5 heures, pour se réveiller en ayant le temps d'avaler quelque chose avant le lever du soleil.
La vidéo est prise de ma chambre.
Messe avec les Frères, dîner et rédaction de ce billet.
À très bientôt,
Étienne+

lundi 4 avril 2022

Après deux ans (2M 10,3)

μετὰ διετῆ χρόνον
meta dietê chronon

Chers amis,
L’eussiez-vous cru ? Après une pandémie, quelques confinements, alors qu’une guerre terrible se déroule en Ukraine, après deux années d’immobilité, me voilà reparti pour la Terre Sainte… J’avais déjà programmé un séjour à Jérusalem pour Noël 2021, mais le variant omicron en a décidé autrement. Le 1er novembre, Israël ouvrait largement ses frontières et les refermait brusquement le 28… Chou blanc ! J’ai donc transformé mon projet en mois monastique à l’abbaye de Ganagobie, entre Manosque et Sisteron. Quatre semaines de silence, entre offices monastiques, repas avec lecture recto tono et étude en cellule. J’ai adoré ce temps… même si l’efficacité du travail ne fût pas aussi optimale… Israël a rouvert ses frontières la veille de mon retour à Saint-Didier.
Nouvelle tentative pour Pâques, qui semble marcher. L’ouverture des frontières ne signifie pas que c’est facile. Il faut évidemment monter patte blanche du point de vie sanitaire avec un formulaire en ligne, un PCR avant le départ et un autre à l’arrivée en Israël.
Mon dernier test remontait au mois de mai ! Vendredi matin, je suis donc allé me faire tester en même temps que j’allais établir une procuration pour les deux tours de l’élection présidentielle. Test négatif, ouf !
Dimanche, préparation de la valise, ménage de ma chambre (pas du luxe). Messe dominicale à NDV, ce qui ne m’était pas arrivé depuis l’été dernier. À la sortie, quelques têtes connues. Il a fallu entendre les sornettes de quelqu’un qui écoute sans recul critique la propagande de la “réinfosphère” sur la crise du moment… Les puces 5G et compagnie, ça va un moment !
Claude est venu me chercher et me conduire à la gare de l’Isle-sur-la-Sorgue. Quel frère ! Le train n’avait que cinq minutes de retard. Voyage sans encombre jusqu’à la gare VAMP (j’imagine toujours une femme fatale dans le genre héroïne hollywoodienne des années 40). À l’aéroport, je grignote un petit quelque chose et me dirige vers l’enregistrement. Avant même l’ouverture des guichets, l’avion est annoncé avec du retard. Chouette !
Une jeune femme me demande mon passeport, mon PCR et l’Ishour, formulaire avec les infos sanitaires. Je n’ai rien reçu dans ma boîte mail. J’ai bien le reçu du paiement du test PCR de l’arrivée… la jeune femme n’est pas inquiète, je flippe ! Je finis pas trouver le mail dans les spams. Pfiou !
Une autre jeune femme vient me chercher, me parle en anglais et finit par me confier à un type qui parle français. On discute un moment, ça a l’air de passer mais il faut quand même fouiller les bagages. J’attends, encore sous le choc de la révélation qui vient de m’être faite : “Cézanne Business Lounge is not Kosher”. 😱 Je les vois tripoter ma boîte de café Nes ® “fine mousse”. Il faut vous avouer qu’on ne trouve pas un café soluble potable dans le pays. Donc quand je viens pour un mois, j’apporte les munitions ! Cela les intrigue.
Finalement, la fouille de mes sacs ne dure pas trop longtemps. J’enregistre mon bagage, je franchis les contrôles de sécurité et le contrôle de passeport. C’est très rapide, il n’y a personne.
Il va désormais falloir patienter : notre avion est annoncé avec 1h45 de retard, nous partirons vers minuit ! J’exulte de joie, vous vous en doutez ! Pour patienter, j’ai du popcorn fait à Sainte-Garde… Les gamins commencent à s’exciter sous le coup de la fatigue.
L’avion finit par arriver à 23h40 (le décollage est annoncé à 23h50, je commence à douter…) Nous embarquons dans un relatif désordre. Au bout de la passerelle, il y a un concours de pliages de poussettes doubles, tout à fait le lieu pour se livrer à cette activité.


Je me retrouve assis à ma place qui donne dans l'allée. À droite la maman et les jumelles de trois ans, que l’on vient d’arracher au sommeil quand on a plié la poussette. Et ça geint ! À droite, moi, du côté de l’allée; au milieu, la fille aînée de 14 ans, et le petit frère côté hublot. Le petit frère n’a pas été pénible. À peine assis, il s’est mis à dormir et n’a pas bronché de tout le voyage. En revanche, la fille… Toutes les cinq minutes, elle appelait sa mère : “Imah !” (maman en hébreu). Imaginez la voix un peu nasillarde qui s’attarde sur la deuxième syllabe en remontant légèrement le ton, avec une nuance de tristesse : on se serait cru sur le pont du Titanic au moment d’embarquer dans les canots en séparant les familles. À un moment, la jeune fille a parlé à sa mère, je tentais de somnoler. Du coup sa mère m’a réveillé pour me demander en hébreu de me lever pour que sa fille puisse aller aux toilettes ! Je devais représenter un danger pour la vertu de la gamine qui pourtant ne se gênait pas pour poser ses bras sur l’accoudoir comme les enfants lorsqu’ils mangent leur steak-frites avec les bras en ailes d’avion.
Bref, on finit par atterrir assez brutalement surtout que l’avion a rattrapé une partie de son retard (environ ¾ d’heure). Le débarquement est rapide. Le contrôle de passeport, une formalité. Les bagages ne tardent pas. Il faut maintenant se diriger vers le lieu des tests. Impressionnant d’arriver dans le grand hall de l’aéroport réorganisé avec des barrières dirigeant les voyageurs vers la zone de test. Le test est rapidement fait : un écouvillon dans la bouche contre la joue gauche puis dans la narine gauche (heureusement, c’est fait dans cet ordre…) ; un autre à droite. On peut enfin sortir. Je retourne dans le hall pour faire un retrait de shekels… Il est désormais trop tard pour prendre le sherout : ce sera plus rapide d’attendre le premier train de la journée à 6h30 (en plus c’est cinq fois moins cher). Je suis surpris de la rapidité du trajet. Encore un peu de patience dans le tram, jusqu’à la mairie. Enfin, je descends et aperçois ma destination.
Le Collège est ouvert, je salue le portier qui m’accueille avec un grand sourire et m’ouvre l’ascenseur. Je vois les frères qui vont bien et me font fête ! Un café (le fameux café soluble israélien !).
Je déballe ma valise, je retrouve mes cartons dans le placard avec quelques affaires (toilettes, chaussures, quelques vêtements). Puis je vais me coucher après presque 24h debout. J'ai la joie de retrouver mon couvre-lit préféré !
À bientôt ! Cet après-midi, je vais à la bibliothèque.