lundi 2 mai 2016

Puis il alla à Rabbath (2S 12,29)

וילך רבתה
wayyelekh rabbathah


Chers amis,
Quelle aventure que mon équipée jordanienne ! ! !
Samedi matin, lever habituel... Mon attention avait déjà été attirée, avant le réveil, par une rumeur montant de la Porte Neuve : la police bloquait le passage aux pèlerins orthodoxes venus participer au Feu sacré. Dans l'après-midi, le feu sacré est sorti... Il y avait un petit comité d'accueil au Collège : Abu Eli et Abdallah, les gardiens, et frère Daoud. Abdallah est musulman mais la bonne nouvelle de la résurrection du Christ me semble le réjouir...
Après mon petit déjeuner, me voilà parti pour prendre la navette. Heureusement que les Frères m’avaient averti : jamais je n’aurais osé m’aventurer dans le coupe-gorge qui sert de parking à la navette... Elle part à 7h30 et descend dans la vallée du Jourdain... Avec le soleil rageur de ces derniers jours, le désert est devenu paillasson.
Premier point de contrôle, côté ouest. Je demande mon chemin à une jeune fille qui m’oriente vers le guichet de gauche, où l’on me dit d’aller en face. Il fallait payer la taxe de sortie (180 ₪ – 42 € – pour vous donner envie de revenir...) puis contrôle du passeport, sécurité. On sort pour prendre un bus. Je monte dedans (les gens maîtrisent la technique de l’incruste dans une queue de bus, c’est impressionnant). Nous franchissons le Jourdain et la frontière jordanienne. Le bus est exclusivement rempli de Palestiniens, je discute avec mon voisin qui me montre son beau passeport palestinien, qui ne vaut rien, en tout cas bien moins que son permis, un papier vert d’eau, aussi solide qu’un vieux permis de conduire.
Le bus arrive au check-point jordanien, on poireaute une vingtaine de minutes avant de sortir. Au poste de contrôle, je retrouve un père de l’ÉBAF, qui est parti une demi-heure plus tard que moi... Là, c’est la foire d’empoigne, les gens s’entassent devant le guichet, se bousculent, interviennent pour poser une question. Les passeports sont entassés et contrôlés une première fois par l’Intelligence, le RG locaux. Le problème est que le type entasse les passeports à traiter et prend le dessus de la pile. C’est le paradoxe de la pile d’assiettes : la dernière posée est la première sortie... Petite mésaventure évangélique qui a mis à l’épreuve ma patience. Pour corser le tout, ce guichet dessert tant les gens qui entrent en Jordanie que ceux qui en sortent…
Une fois traité par les RG, le passeport passe par un judas pour être contrôlé par la police. Ils sont trois derrière la vitre : celui de droite, proche du judas, s’active, tamponne, regarde, tape sur son ordi et rend les passeports à leurs détenteurs, il est assez efficace. Celui de gauche doit être en train de préparer un doctorat sur les tampons encreurs, la minutie de son examen démontre une soif de connaissance qui m’émerveille ; le dernier, au milieu doit être le chef, il a deux barrettes de décoration sur la poitrine, se tient droit, regarde dans le vide à travers la foule, un trombone vient à point pour faire office de cure-dents. Vous vous imaginez que malgré les efforts du premier, l’opération prend un certain temps.
Enfin libre, je finis par trouver mon chauffeur de taxi, un gars sympa mais sa dentition me laisse songeur : comment peut-il avaler quelque chose avec des quenottes dans cet état?
Le taxi me laisse dans un parking d’immeuble, j’ai repéré une voiture de location estampillée ACF, la boîte dans laquelle travaillent mes amis. Elle est garée à la place 11, j’en déduis que cela correspond à leur appart’. Dans la cage d’escalier pas de nom sur les portes... Je me risque à sonner, la porte s’ouvre, c’est Julie ! Ouf, je suis à bon port.
La petite Manon est toute mignonne et chevelue ! Peu après, Arnaud le papa arrive avec sa sœur Kiki, la marraine, et son beau-frère François.

On déjeune façon local, hummus, moutabal, tomates, concombres, fallafels...
Temple d'Hercule
Puis dans l’après-midi  nous voilà partis avec toute la bande vers le centre historique d’Amman, anciennement Rabbath-Ammon (ce qui explique le titre de ce billet), puis Philadelphie, cité de la fameuse Décapole. Nous visitons la citadelle, ancienne acropole de Philadelphie : église byzantine, palais omeyyade qui a connu le même sort que le palais d’Icham à Jéricho, mosquée. Nous profitons aussi du panorama. Amman compte 3,2 millions d’habitants et s’étend à perte de vue sur les collines autour de la citadelle, alors qu’il y a cent ans, ce n’était qu’un petit village. Je passe rapidement dans le musée archéologique, plus poussiéreux que le Rockefeller de Jérusalem. Nous terminons par le temple d’Hercule construit sous Marc-Aurèle. Il ne reste pas grand-chose mais c’est évocateur et romantique. Nous descendons de la citadelle pour admirer le splendide théâtre romain construit sous Antonin le Pieux (138-161 ap. J.-C.).
Théâtre romain d'Amman, vu de la Citadelle
Il peut accueillir 6 000 spectateurs, encore aujourd’hui. Puis il est temps de manger, nous allons nous restaurer dans un petit boui-boui tipico. C’est un régal de spécialités locales, il y avait un kebab avec une sauce aux aubergines à tomber par terre. L’air était frais, la compagnie agréable, merci Seigneur.
Nous ne sommes pas rentrés trop tard pour aller assister à la veillée pascale à la paroisse anglophone, tenue par les Jésuites. La messe a lieu dans l’église du Collège des Frères d’Amman et dans l’obscurité du chœur, je rencontre le frère Albert. Quelle surprise pour lui ! La communauté anglophone est surtout composée de Philippins (beaucoup sont domestiques, nounous...) et ils assurent l’animation liturgique : j’ai découvert un nouvel instrument pour accompagner le chant d’église, l’harmonica !!! Le type était à fond et ça rendait très bien et il arrivait même à faire tinter le tambourin en jouant de l'harmonica !!! La messe ne fut pas très longue mais belle et joyeuse, on sent une communauté pauvre mais fervente. Retour à la maison et dodo.
Lever avec le soleil (je ne peux pas faire autrement). Après un copieux petit déjeuner, nous partons vers le site baptismal, qui est situé en fait à quelques kilomètres au sud du pont Allenby, que j’ai franchi la veille. C’est une zone militaire dans laquelle on a aménagé un sanctuaire en l’honneur du baptême du Christ, sur les lieux où ce mystère était commémoré à l’époque byzantine. Comme nous célébrons un baptême, nous pouvons approcher en voiture (nous ne sommes pas obligés de prendre la navette) et nous nous garons devant l'église catholique en construction. C'est une énorme bâtisse en béton armé. Il y a encore du travail avant qu'elle soit achevée. De part et d'autre, quelque chose qui ressemble à une hôtellerie. Nous nous installons sous la paillote face au Jourdain, les fonts baptismaux sont prêts, la messe commence : c’est le mystère de Pâques et du baptême que nous revivons en tout petit comité. Pour moi, c’est une première, je baptise par immersion ; la petite, bien disposée, chouine un peu mais sort ragaillardie du triple bain forcé.
Notre lieu de célébration est à l’écart et nous avons donc été tranquilles pour la prière.
Vestiges byzantins, remarquer le pilier immergé
Après la cérémonie, nous allons faire un tour vers le site archéologique, nous admirons une mosaïque commémorant la visite de Benoît XVI, en 2010. Les vestiges sont mieux présentés que dans mon souvenir. On distingue bien les quatre piliers décrits pas les pèlerins de l'Antiquité. Je pense que le mosaïste croupit en prison pour crime de lèse-majesté, la jolie reine est franchement ratée. Nous passons au lieu de célébration où le site jordanien et l’israélien se font face, à quatre mètres de distance, chacun sur sa rive... C’est un peu Moscou-plage : tout un groupe de russes se baigne, en maillot, exhibant des chairs grasses et couperosées... Certains, plus pudiques, ont revêtu une tunique blanche pour s’immerger dans l’eau du fleuve. Mais en sortant, il y a un effet "tee-shirt mouillé" très réussi.
Moscou-plage
Le tout sous le regard débonnaire et rincé de deux soldats israéliens. Ça coupe un peu le recueillement. Du côté israélien, c'est à peine plus recueilli.
Avant de quitter ces lieux, nous nous arrêtons au lieu de l’Ascension d’Élie, juste au-dessus. Petit pélé élianique en cette année dédiée au prophète Élie pour l’institut Notre-Dame de Vie.
Colline de l'Ascension d’Élie
 Nous rejoignons le restaurant Panorama qui offre une vue à 180 degrés sur la Mer morte, la chaleur est telle que la brume bouche la vue. Le repas est bon. Nous poussons un peu pour aller à Mukawer, le Machéronte historique. C’est (encore une fois) une forteresse hasmonéenne transformée en palais par Hérode le Grand. En ce lieu, affirme Flavius Josèphe, Jean-Baptiste fut décapité : suivez
le lien pour voir le texte de l'historien qui diffère de celui des évangiles, mais  
c'est toujours une histoire de mariage. Les explications sur le site sont sobres et laconiques, c’est peu dire... Mais nous avons vu un triclinium qui fut peut-être le lieu où la sensuelle Salomé obtint d’Hérode Antipas, fils d’Hérode le Grand, la tête du Baptiste. La tribu Jonquet se rappellera le tableau
dans la salle-à-manger de la rue Dom Vaissette. En fait, les évangiles ignorent le nom de la fille d’Hérodiade ; c'est Flavius Josèphe qui nous en informe lorsqu'il dresse l'arbre généalogique d'Hérode le Grand (bon courage !)
Machéronte, vue d'avion
[Lundi matin, j’ai pris un peu de temps pour m’informer plus exactement sur Machéronte : autant le site est peu aménagé et pas du tout documenté, autant le rapport de fouille est passionnant ! Les reconstitutions du site sont très expressives. Le rapport met aussi en évidence les connexions visuelles de Machéronte avec les autres forteresses hasmonéo-hérodiennes situées à l’ouest de la vallée de la Mer morte : du nord au sud, Massada, Hérodion, Hyrcania, Jérusalem, Kypros, Doq et Alexandreion. Ainsi, depuis le palais d’Hérode (dit Tour de David) à Jérusalem – et aussi depuis la terrasse du Collège – ainsi que du dôme du Rocher – c'est-à-dire du Temple de Jérusalem – , on peut voir Machéronte.]
Reconstitution de Machéronte par les archéologues ; le triclinium est sous le grand toit rouge
Il est déjà bien tard. Sur le parking, j’embrasse Julie, Kiki, François et bien sûr Manon car ils rentrent vers Amman. Arnaud me ramène à la frontière, re-double contrôle de police, (l’étude des tampons encreurs a progressé durant ce week-end), taxe de sortie (10 JOD ; 12,3 €) puis, j’embarque dans un bus... C’est de là qu’au milieu de nulle part, au milieu de ce pont entre la Jordanie et on ne sait quoi que je poireaute depuis une heure...
Miracle, le feu passe au vert...
... Je reprends. Le feu a été vert juste quelques secondes. Encore un peu de patience... Enfin nous arrivons au terminal. J’emploie à dessein un vocabulaire aéroportuaire car c’est l’autorité des aéroports qui administre ce poste frontière. De fait, l’organisation des lieux ressemble à celle d’un aéroport. Nous jouons de (mal)chance : les Turcs attaquent ! Ils sont des centaines, de retour du pélé de la Mecque, ils font un crochet par Jérusalem. Je n’aurais jamais pensé que de si gros sacs puissent exister ! En quichant bien, on doit pouvoir y planquer deux ou trois personnes... Zigzag avant de déposer les gros bagages (les gens mettent des autocollants comme lors de l’enregistrement des bagages à l’aéroport), queue pour montrer le passeport, re-zigzag pour déposer les petits sacs, ainsi que ceinture et bijoux, dans un casier (les deux Turques devant moi étaient complètement perdues) Et sur le nombre de Turcs présent, pas un ne parlait anglais), portique électronique, le gars m’ouvre le sac à dos et s’intéresse à son contenu. « Je suis prêtre catholique et c’est pour la prière ». OK. Ça calme le gars…
Re-contrôle des passeports, je blague avec le gars qui, chose rare dans le pays, a réussi à bien prononcer mon nom). Encore les passeports, un tourniquet, rebelote... On arrive dans le grand hall pour récupérer les grands sacs. Super, je double tous les turcs qui errent dans le hall à la recherche de leur valise... Encore un dernier scan des bagages, je sors... Je trouve un sherout, qui ne tarde pas à se remplir. On s’envole vers Jérusalem. Il est bien tard, je suis claqué mais heureux.
Au check-point sous le Mont des Oliviers, le contrôle de sécurité est plutôt cool. Le soldat entre dans le véhicule et dit en hébreu : « Est-ce que tout le monde a un passeport ? » Chacun a brandi le sien et voilà. J’aurais pu montrer ma carte du yacht-club de Saint-Tropez[1], ça aurait été la même chose.
Le gars a foncé sur la route (il doublait tout le monde sur la droite mais bon…).
Arrivée au collège, j’ai avalé trois petites choses et au dodo.
Heureusement, cette semaine, le rythme est plus cool chez les Frères. Ce sont les vacances de Pâques (orthodoxe) et d’Ascension (latine) et je célèbre la messe à 7h30 au lieu de 6h. Journée calme à la bibliothèque. Le soir, je reprends mes notes du voyage en Jordanie et je publie.
Bonne fête aux Paphnuce.
À bientôt,
Étienne+


[1] C’est juste un exemple, je ne suis pas membre du yacht-club de Saint-Tropez… J’ignore même s’il y a un yacht-club à Saint-Tropez.

1 commentaire:

Unknown a dit…

Je me souviens d'un passage similaire à la frontière jordanienne où mon bus était arrivé 5 minutes après trois bus de pélerins turcs pour la Mecque... On dû feinter et reverser des bakhchich à des chauffeurs de taxis désoeuvrés pour passer dans la file des voyageurs en taxi et non celle des voyageurs en bus !