dimanche 31 janvier 2016

Et nous, nous marchons au nom du Seigneur notre Dieu. (Mi 4,5)

ואנחנו נלך בשם־יהוה אלהינו

waˀănaḥnû nēlēḵ bešēm-ˀĀḏōnāy ˀĕlōhênû

Chers amis,
Rien de particulier depuis mardi soir. Mercredi, j’ai rencontré le directeur et le prieur de l’École ; comme délégué, je les rencontre mensuellement juste avant le conseil académique. Cette rencontre permet de parler des questions de la vie de la maison et de l’École et de n’aborder que les questions académiques au conseil académique.
Jeudi, en allant à l’École, en passant devant le parking de la rue Ha Ayin-Heth (Rue des 78, anciennement Rue Godefroi de Bouillon), je remarque une chose étonnante : il a gelé pendant la nuit et les vitres des voitures sont couvertes d’une mince pellicule de givre… Nous avons eu une belle journée, comme on peut en avoir l’hiver à Venasque : grand ciel bleu et froid sec et vivifiant !…
Vendredi, au moment de rentrer au Collège en fin d’après-midi, je croise Caroline une ancienne étudiante de l’ÉBAF que j’avais connue en 2007. Du coup, je suis allé à un vernissage à deux pas du Collège, dans une ancienne fabrique de tuiles reconvertie en galerie. Une certaine Tanya Habjouqa, jordanienne élevée au Texas et vivant à Ramallah, présentait une série de photographies, intitulées Occupied Pleasures. Des photos prises à Gaza ou en Cisjordanie et qui évoquent la vie des gens, au milieu d’une situation terrible (sur le lien Internet, vous pouvez en voir quelques-unes).
Samedi matin, après la messe, je suis vite parti. Le rendez-vous à l’École était fixé à 7h30... Je me suis arrêté chez le marchand d’en face : quand je passe devant un magasin, je suis toujours impressionné par la largeur du choix de chips (nature, paprika, bretzels, fritelles, oignons, cheddar, za’tar, crème…) On a même du mal à trouver les chips nature… Le rayon chips est toujours très varié et étendu… À croire que les gens ici se nourrissent principalement de chips.
L'excursion devait nous mener à Qumrân et au Wadi Muraba'at ; en 2007, nous avions fait exactement le même programme. Vous pouvez vous reporter à cette page du blog.
Vue du site depuis la tour
Pour aller à Qumrân, nous avions un petit bus d’une vingtaine de places. Vous avez tous entendu parler de Qumrân et des fameux Manuscrits de la Mer morte. Il nous a fallu descendre dans la dépression de la Mer morte et nous finissons par arriver à Qumran où il fait un froid presque polaire : 10° C ! Le Père Émile Puech nous fait découvrir les vestiges : c’est un épigraphiste (spécialiste de la lecture des inscriptions anciennes) de renommée internationale. Depuis 45 ans, il travaille sur les Manuscrits de la Mer morte. Autre qualité non négligeable, c’est un Aveyronnais né près d’Estaing, et toute la journée nous avons pu nous en apercevoir : lorsqu’un “d” se prononce à la fin d’un mot, il le prononce “t” (« La tombe est tournée vers le sut »).
En ce qui concerne le site archéologique de Qumrân, Émile Puech est un des partisans de l’hypothèse traditionnelle, celle proposée par le P. de Vaux qui fut le premier fouilleur dans les années 50, lorsque le site se trouvait en territoire jordanien. Selon cette hypothèse, il s’agirait d’une sorte de monastère pour le groupe des Esséniens.
On connaissait l’existence de ces Esséniens par les œuvres historiques de Pline l’Ancien, Flavius Josèphe et Philon d’Alexandrie. C’était un groupe de Juifs dissidents qui auraient fui Jérusalem au milieu du iie siècle av. J.-C., en réaction au pouvoir hasmonéen et à son sacerdoce illégitime. Tous les éléments du site sont interprétés comme si on se trouvait dans un monastère bénédictin (on parle alors de scriptorium, de réfectoire, de communauté, de règle...). À l’École, il y a un autre spécialiste, plutôt orienté sur l’archéologie qui interprète les choses différemment… Le mois prochain, nous retournons à Qumrân avec lui et entendrons un autre son de cloche.
La grotte 4
À proximité du “monastère”, au bout de la terrasse marneuse sur laquelle il est situé, on peut apercevoir une anfractuosité : C’est la grotte 4, la plus riche en manuscrits.
On compte onze grottes, numérotées dans l’ordre de leur découverte qui eut lieu après la découverte des premiers manuscrits, lorsque les falaises de part et d’autre de Qumrân ont été méthodiquement explorées pour y trouver des vestiges.
Dans la dite grotte 4, un très grand nombre de manuscrits avait été mis en vrac et, 1900 ans plus tard, on n’a retrouvé qu’un tas de timbres postes et les épigraphistes ont eu un travail de dingue pour remettre en ordre le tout... La visite était intéressante mais une personne du groupe posait des questions un peu étranges... Elle était censée être un peu au courant mais ça n’était pas ce que laissaient supposer les questions... Enfin, au bout d’un moment, elle s’est tanquée sous l’auvent et on a eu la paix.
Une citerne fendue par un séisme
Le Père Puech nous a montré en riant, quelques pierres au milieu de la place. Il y a quelques années, les archéologues israéliens ont triomphalement annoncé la découverte d'un lieu cultuel à Qumrân, un autel pour les sacrifices. Les dominicains ont bien ri, car ces pierres ne forment rien d'autre que le foyer du cuisinier bédouin du P. de Vaux, lors des premières campagnes de fouilles ! Comme quoi, tout le monde peut se tromper. 
Nous sommes montés vers le barrage et avons dû nous mettre à quatre pattes pour franchir l’aqueduc qui amenait l’eau au “monastère”. Il y avait un paquet de monde qui faisait du rappel dans le lit du wadi. Puis nous avons vu la grotte 6, sommes passés sous la grotte 2 et Émile Puech nous a indiqué la grotte 1, celle où tout a commencé. Il faut grimper un peu mais on touche la légende. Retour au bus et au parking de Qumran, doté de toutes les commodités modernes.
Nous reprenons le bus et suivons le rivage de la Mer morte. Émile nous montre quelques vieilles pierres qui remontent à l’ancien temps tout au long du bord de la mer. Juste avant le check point (Qumrân est en territoire occupé !) on montre vers le wadi Darga, la route monte courageusement jusqu’au plateau qui se trouve à peu près au niveau de la mer. La vue est splendide mais brumeuse. On ne fait que deviner la Jordanie, de l’autre côté de la mer.
Le bus nous laisse au milieu de nulle part et nous commençons à marcher. Émile nous guide mais il nous laisse avant que le chemin ne dégringole dans le wadi... Il va sur ses 75 ans et a eu des pépins de santé il y a quelques années. En 2007, il nous avait accompagnés partout ! Le temps passe : il disait même aujourd’hui : « C’est la dernière année ». Sur le plateau, j’ai aperçu un renard mais j’étais le seul… Déjà, près de la grotte 1, j’étais le seul à voir sans problèmes le troupeau d’ibex !
Descente vers le Wadi Muraba'at, verdoyante en hiver
Le wadi Muraba’at est une immense vallée. Ça me rappelait en volume, les grandes gorges de la Nesque. Nous descendons presque jusqu’au fond et nous finissons par arriver à la grotte de Simon Bar Kokhba. Ce brave Simon était le meneur de la deuxième révolte juive entre 132 et 135 de notre ère. Certains rabbis (et non des moindres !) l’ont reconnu, à l’époque, comme le Messie. Et d’ailleurs son nom (ou plutôt son surnom !) signifie Simon, fils de l’Étoile, en araméen. On y a lu une allusion à Nb 24,17 : « Un astre issu de Jacob devient chef ».
Sa révolte a été très violemment réprimée par l’empereur Hadrien. Et dans la grotte que nous avons visitée, les révoltés ont été asphyxiés par un feu allumé par les Romains. À l’intérieur, on a retrouvé des monnaies, des armes et une lettre signée par Simon Bar Kokhba !
Entrée des grottes de Bar Kokhba
Remontée sportive sur le plateau et nous avons pris une photo de groupe. Un drame a faille se jouer à cet endroit : en ouvrant mon étui à appareil photo, le pare-soleil en jaillit, roule, rebondit, s’arrête et repart… Il était bien parti pour aller tout au fond du wadi et finalement non… Il s’est arrêté et Jakub est allé me le chercher Ouf ! Retour au bus.
Arrivés à Jérusalem, on embrasse ceux qui ne seront pas là au second semestre et nous filons à l’église éthiopienne (en haut de la rue Rav Kook, lieu de la paroisse hébraïque) pour la prière pour l’unité des chrétiens.
Choc culturel en arrivant : il faut se déchausser et les messieurs entrent par la gauche et les dames par la droite ! L’église est un gros dôme pas très haut, cela correspond à la forme traditionnelle des églises éthiopiennes. À l’intérieur, la quasi-totalité de l’espace sous la coupole est occupée par un édicule carré, le sanctuaire, qui est le lieu de la célébration. Dans le sanctuaire, on conserve le tabot, une reproduction des tables de la Loi de Moïse. (Dans une église en Éthiopie, les Éthiopiens affirment détenir l’authentique Arche d’Alliance !) Autour de la coupole, un déambulatoire assez étroit fait le tour de l’église. C’est là que se tiennent les fidèles.
La célébration était belle, quoiqu’un peu longue à cause de notre méconnaissance de leur langue et de leurs rites… Sur le film, vous pouvez entendre le chant de l’Alleluia. La liturgie ressemble à du chant en langue, chacun prend le chant en route à sa façon, à son rythme…
Les éthiopiens revêtent pour la liturgie un immense châle blanc (parfois les femmes ornent les bords avec de jolies broderies). Associé à leurs traits fins et graves, il leur donne une grâce et une élégance sans pareille. À la fin de la célébration, les évêques présents ont béni chacun à son tour. Le nonce était là et, au nom de l’Église catholique latine, il nous a bénis… en anglais ! L’assemblée ne connaissait pas les réponses ; je pense qu’en latin, on aurait pu faire quelque chose de correct mais en anglais… Après le nonce, l’Arménien, le grec catholique, le grec orthodoxe, le luthérien, le syriaque… Nous avons fait une série de signes de croix…
Une fois sortis et rechaussés, nous avons écouté quelques chants dans la cour devant l’église. Le film ne donne pas grand-chose (il faisait nuit noire) mais vous pouvez entendre la joie qui transparaît.
Je ne me suis pas attardé car j’étais crevé… Mais c’était sans compter les conséquences de la situation politique. Arrivé à la Porte Neuve, à 50 mètres du portail du Collège… Je trouve la porte bloquée par la police. En fait, une attaque au couteau venait d’avoir lieu à la Porte de Damas. Un jeune juif de 17 ans a été légèrement blessé mais ses assaillants ont pris la fuite dans la Vieille Ville… La police a donc bouclé les portes pour les empêcher de sortir. Ils ont fini par être pris. J’avais du mal à comprendre pourquoi on ne pouvait pas rentrer… Mais la police était inflexible. Sauf pour l’évêque auxiliaire de Jérusalem, qui revenait de chez les Éthiopiens, après s’être attardé au buffet. La police l’a laissé passer et je me suis glissé derrière lui (pourtant je n’avais pas de col romain pour la journée et ma qualité de prêtre ne sautait pas aux yeux). Mais ça a passé.
Prière, classement des photos, vêpres et repas. Après le repas, nous avons regardé un documentaire d’Arte sur le Mont Olympe. Et vite au dodo.
Aujourd’hui, dimanche calme. Je me prépare pour la messe à Saint-Sauveur.
À bientôt,
Étienne+

Aucun commentaire: