mardi 5 janvier 2016

Dans le jardin, un tombeau neuf (Jn 19,41)

ἐν τῷ κήπῳ μνημεῖον καινόν
en tôi kèpôi mnèmeion kainon 

Chers amis,
Samedi, j’avais projeté d’aller me promener dans la matinée et au moment de partir, je croise Fr. Daoud dans le couloir et il me propose de l’accompagner avec toute une équipe dans un foyer pour personnes handicapées à Béthanie. Adjugé vendu, je pars… Le trajet est un peu long parce qu’il faut passer sous le mont des Oliviers (par le tunnel), traverser le check-point de Ma’ale Adumim, descendre la route sur quelques kilomètres, frôler la colonie israélienne de Ma’ale Adumim et remonter vers la ville arabe que l’on traverse avant d’arriver au foyer… qui se trouve à 250 mètres du check-point… Sous le mont des Oliviers…
Le foyer en construction
Le foyer “Four Homes of Mercy” est assez grand (c’est surprenant) et accueille 70 personnes handicapées de tous âges : des enfants, des adultes et des personnes âgées. Ce sont des personnes atteintes d’un handicap intellectuel ou IMC, curieusement pas de personnes trisomiques dans le foyer. On a passé deux heures à chanter ; pour moi, la difficulté consistait à communiquer avec des personnes alors que je ne parle pas leur langue et qu’elles ne parlent pas la mienne… Honnêtement, au départ, avec le monde entassé dans la petite salle, c’était pas fantastique. Vers la fin, oui, la salle s’était un peu vidée, j’ai blagué avec quelques-uns des enfants. En plus, les chants, j’ai eu un peu du mal : la sono était poussée au maximum (mais les Palestiniens semblent ne jamais savoir qu’on peut baisser le volume) et « Vive le vent d’hiver » en arabe, quatre fois en boucle, j’ai eu un peu de mal… Au bout d’un moment, j’avais la tête comme un “compteur bleu” (spéciale dédicace elv) et je suis sorti dans le couloir. J’en ai profité pour regarder les panneaux qui décrivent l’œuvre qui fêtait l’année dernière ses 75 ans. Franchement, le boulot est impressionnant surtout si l’on considère la situation sociale et politique de Béthanie. Vous avez ici une photo du bâtiment au moment de la construction. Aujourd’hui, il y a un long couloir bordé de chambres entre les deux parties visibles et toute la colline derrière est couverte d’immeubles rutilants appartenant à la colonie de Ma’ale Adumim.
À la fin, le directeur [tout en rondeurs = ⃝  ] nous a offert le café et le cnafé, la spécialité du Nouvel An par ici : ça a la forme d’un nem mais c’est fourré avec du fromage (qui ressemble à du saint-moret) et l’extérieur est une préparation qui a la couleur et l’aspect des carottes râpées mais c’est en en sucre. Un brin écœurant (on n’en prend pas deux).
L’après-midi, après la sieste, j’ai vu que le soleil était sorti (depuis mercredi il fait un temps pourri avec des pluies abondantes, du vent, et du froid). J’en ai profité pour aller me balader mais mon optimisme m’avait fait omettre le
La reading station
parapluie ; grave erreur ! car au bout d’un quart d’heure de marche, il s’est mis à pleuvoir à grosses gouttes… Cela n’a pas entamé ma détermination et j’ai continué à marcher bon pas : monastère de la Croix et retour par l’ancienne voie ferrée déjà empruntée (mais dans l’autre sens) l’avant-veille avec Pierre. Je me suis arrêté à la reading station. Il s’agit d’un ancien abribus reconverti en bibliothèque ouverte. Les gens déposent leurs livres et peuvent en prendre (deux seules contraintes : pas de dictionnaires, et pas de livres religieux destinés à la geniza). Avec un peu de patience, on doit pouvoir reconstituer les œuvres complètes de Barbara Cartland dans ce genre d’endroit. J’ai emporté un livre qui s’appelle Comment faire son alyah en 20 leçons, témoignage d’un médecin juif français qui a décidé à l’approche de la cinquantaine de « monter » (alyah en hébreu) à Jérusalem et de s’y installer. Le livre date de 1987 mais il y a des choses qui n’ont pas changé (la « bonne humeur » des fonctionnaires, les embrouilles immobilières…)
Dimanche, messe à Saint-Sauveur. Cette fois-ci, je n’ai absolument rien compris au sermon mais j’ai réussi à suivre l’évangile sur le feuillet en arabe. Honnêtement, ce n’était pas un exploit, l’évangile d’hier, c’était le prologue de saint Jean, ce qui m’a permis d’apprendre un nouveau mot en arabe : الكلمة, al-Kalima, la parole, le Verbe… Il faut vous dire que nous ne savons plus où nous en sommes, sur le plan météorologique avec cette pluie quotidienne ; pour les activités, l’ÉBAF a repris les siennes mais pas le Collège à cause du Noël orthodoxe qui est jeudi prochain (7 janvier) ; et pour la liturgie, nous n’avons pas encore fêté l’Épiphanie, puisqu’ici elle est célébrée le 6 janvier quel que soit le jour de la semaine. Or, chez les Frères, la liturgie est en français mais si vous cherchez dans vos bréviaires, missel et lectionnaires, rien n’est prévu pour le deuxième dimanche après Noël puisque dans les pays francophones, ce dimanche laisse la place à l’Épiphanie… Du coup, avec les Frères, on bricole en regardant sur un site Internet italien (équivalent de l’AELF).
Après la messe, repas dans un petit resto spécialisé dans le ḥoumous (il faut prononcer le ḥ en soufflant bien avec le fond de la gorge mais pas autant que la jota espagnole : ça fait Israélien ou touriste !) : c’est de la purée de pois chiche à laquelle on adjoint un peu de sésame. Je vous recommande celui aux pignons de pin… Un délice !
De ce petit coin de la Vieille Ville, je suis parti me balader à pied. J’ai pris la direction du sud, cette fois-ci. Porte de Sion, Cénacle, cimetière chrétien (avec la tombe de Schindler), descente dans la vallée de la Géhenne, remontée sur la colline d’Abu Tor (ou Giv’at Ḥanania), de là, je passe sous le monastère des Clarisses, au-dessus de la forêt de la paix. La promenade est sympa, la vue belle et la route principale éloignée. C’est le début du chemin pour se rendre à Bethléem à pied sans avoir à longer la route d’Hébron (2x2 voies avec en plus une double voie centrale pour les bus).
On arrive à la promenade Haas (« Si vous souhaitez laisser à la postérité votre nom gravé dans le marbre, et si vous avez un peu d’argent, Israël est le pays idéal pour cette ambition. Voici comment il faut procéder. D’abord, trouver le bureau ministériel qui s’occupe des projets non encore réalisés. C’est le plus difficile. Après, ça va tout seul. L’État finance pour moitié un projet si un généreux donateur finance l’autre, en échange de son nom apposé au vu des foules supposées reconnaissantes » Moshé Gaash, Comment faire son alyah en 20 leçons, p. 54) De fait en Israël, les gens font inscrire leur nom partout : sur les bancs des parcs, sur des stèles dans la rue, sur la façade des bâtiments publics, j’en ai même vu l’autre jour sur un audioguide ! (generously granted by X and Y in loving memory of their son W, too soon departed, 197X-200X))… Quand j’étais enfant, mes parents me disait des choses sur les gens dont « les noms sont écrits partout », et que pour vivre heureux, il fallait vivre caché [avec le Christ, en Dieu, ça va de soi]… Mais les gens ici ne doivent pas vivre tout à fait selon les mêmes principes.
De là, j’ai profité du panorama sur la Vieille Ville par le sud. Une famille francophone célébrait la bar mitsva du petit… Les dames étaient habillées comme pour monter les marches à Cannes et les mamies se déplaçaient dans un froufrou de fourrure (li vison, la pantire, li rat misqué…)… Mais tout ce monde-là parlait comme dans La vérité, si je mens. Fou rire…
De là, je me suis rendu compte que je n’étais qu’à deux pas de Talpiot Est. Disposant à ce moment-là de la 4G sur mon téléphone, ce qui tenait du miracle (parfois sur la rue de Jaffa, ça marche pas ! Imaginez que vous n’ayez pas la 4G sur les Champs Élysées !), j’ai fait quelques recherches, pour retrouver le lieu du tombeau de Talpiot, devenu soudainement fameux en 2007 (lors de mon premier séjour) lorsque James Cameron (Titanic, Avatar) a produit un “documentaire”[1] sur ce tombeau découvert 25 ans plus tôt. Il suggère, sans rien affirmer, que ce tombeau pourrait être celui de Jésus qui - soyons de ces rebelles qui enfoncent des portes ouvertes - n’est évidemment pas ressuscité et, comme chacun sait depuis l’évangile selon saint Dan Brown, marié à Marie Madeleine. La page Wikipédia donnait les coordonnées du tombeau mais le lieu auquel je suis arrivé ne correspondait pas à mes souvenirs du documentaire. Le soir, j’y ai jeté un coup d’œil et me suis rendu compte que Wikipédia ne disait pas la vérité (eh oui, ça arrive, c'est bien de s'en rendre compte) : le tombeau est de l’autre côté de la rue… De toute façon, il n’y a rien à voir puisque des immeubles sont construits par-dessus et qu’une plaque de béton en recouvre l’entrée. Mais le cadre est surprenant : une résidence avec des immeubles, une petite galerie marchande, le jardin d’enfants, la station-service au bout de la rue. Ça pourrait ressembler à la Chamberte… Enfin, soyons honnêtes, le quartier du Saint-Sépulcre surprend parfois les pèlerins : le souk, l’agitation, les bâtiments les uns sur les autres.
Pour vous renseigner sur ce tombeau, allez voir ce blog qui recense les raisons pour ne pas accorder de crédit au documentaire.
Retour sans tarder à la maison puisque le ciel devenait noir, noir, noir…
Lundi, ben… le rythme de travail a repris. Matin et après-midi, à la bibliothèque. La reprise des activités normales évitera à ce blog de tourner à la chronique gastronomique orientale… Avec toutes les agapes des fêtes de Noël, je courais le risque. Il n’y a plus de chocolats, plus de restes du repas du 1er janvier. La vie ordinaire ! Youpi ! En rentrant à la maison, j’ai croisé Henri Vallançon qui vient passer la semaine ici pour mettre une dernière touche à sa thèse sur le prophète Élie.
Mardi matin, cours de rattrapage sur la sotériologie paulinienne, c’était la dernière séance. Konrad a présenté un livre dont j’ai oublié le titre… En fait, il était convenu qu’il en étudierait un autre mais il a potassé celui-là… Puis cours d’histoire du Levant : enfin nous entrons dans l’âge du Fer… c’est-à-dire, l’époque où l’on peut dire quelque chose du point de vue biblique. Dans les 25 dernières années, beaucoup de choses ont été ébranlées, toutes ces questions sont un chantier.
Façade du Saint-Sépulcre
Sinon, l’après-midi, nous avons visité le Saint-Sépulcre. Évidemment, je connais le lieu mais cela ne m’a pas empêché de découvrir des parties que j’ignorais encore. Il faut dire que l’histoire du lieu est complexe (la vidéo montre l'évolution du site en 3 minutes): on part d’une carrière de pierre de l’Âge du Fer (1200-600 av. J.-C.) dans laquelle quelques veines de pierre de mauvaise qualité sont laissés, formant notamment un mamelon. C’est ce mamelon, de quelques mètres de haut, qui deviendra le Golgotha. À proximité, dans les gradins formés par la carrière, des tombes ont été creusées ; l’une d’entre elles accueillera le corps du supplicié du Vendredi Saint. Il n’est pas impossible que le lieu ait été vénéré par les premiers chrétiens, mais on sait qu’en 135, à cet endroit même, l’empereur Hadrien a fait construire un temple dédié à Aphrodite. Ce temple sera détruit après le concile de Nicée (Macaire, évêque de Jérusalem, y avait supplié l’empereur Constantin de libérer les lieux de la mort et de la résurrection du Christ). En 326, sainte Hélène entreprend des fouilles et retrouve les lieux saints et les reliques de la Passion. Une splendide basilique est édifiée. Elle est sérieusement endommagée lors de l’invasion des Perses en 614 et restaurée dans les années qui suivent par l’évêque Modeste. En 1009, le calife Hakim (un déséquilibré, comme on dit aujourd’hui) fait raser la basilique et demande qu’on s’acharne particulièrement sur la tombe qui disparaît… L’incapacité des Orientaux à reconquérir les lieux saints provoque la Première Croisade qui conquiert Jérusalem ; les Croisés reconstruisent la Basilique et lui donnent sa structure actuelle. Les différents interconfessionnels, un incendie en 1808, un séisme en 1927, la deuxième guerre mondiale… La basilique était près de s’effondrer puisque tout le monde la revendiquait pour soi, mais personne ne voulait être le seul à payer, tout en empêchant les autres de l’être… Une restauration (et des fouilles) a été menée, sauvant la Basilique. Vous voyez que l’histoire est loin d'être facile (et encore, je m’en suis tenu aux grandes lignes…)
Carrière de pierre, chapelle Saint-Vartan
Rendez-vous était fixé sur le toit de la Basilique, près de la 9ème station du Chemin de Croix. Nous voyons là, des vestiges du cloître de la Basilique construite par les Croisés, dans lequel, les Éthiopiens ont construit leur monastère. À côté une église copte bâtie au-dessus d’une immense citerne de la même époque que la première Basilique. Nous en ressortons, passons dans les chapelles éthiopiennes traversées par le Chemin de Croix. Le P. Dominique-Marie nous fait admirer la façade et c’est vrai qu’elle est belle (un peu de guingois, certes… mais belle). En entrant, nous faisons la partie “pèlerinage” : Golgotha, Pierre de l’onction, Tombe. Nous passons derrière la tombe pour voir celle dite “de Joseph d’Arimathie”, qui date du 1er siècle et qui montre que ce lieu était bien une nécropole à l’époque du Christ.
Vestiges (?) du temple d'Hadrien
Ensuite, nous descendons dans la chapelle arménienne où je découvre la chapelle Saint-Vartan : elle est installée dans ce qui reste de la carrière antique, aucun doute sur l’utilisation des lieux : les coups de ciseaux sont encore visibles.
En dessous, une grosse muraille désaxée qui semble être un vestige du temple d’Hadrien. Cette chaelle se trouve tout à côté de la chapelle dite “de l’Invention de la Croix”.
Hospice russe
Puis nous avons visité l’hospice russe, dans lequel sont visibles des vestiges du forum d’Hadrien, ainsi qu’une étrange structure en pierre manifestement hérodiennes (la manière dont elles sont taillées est très reconnaissable) mais que l’on peine à comprendre. A l'entrée, nous avons aussi admiré le salon de Nicolas II, qui est resté dans l'état que le Tsar avait connu. Les filles du groupe ont dû se couvrir la tête et même se draper dans de grands tissus pour cacher leurs pantalons... L'église est pas folichonne : les icônes m'ont rappelé celles de Saint-Pétersbourg, toutes inspirées de l'art académique pompier de notre XIXe siècle.
Nous nous sommes enfin dirigés vers l’église du Rédempteur que j’avais visité en octobre. La vue depuis le haut du clocher était magnifique : enfin du soleil ! et on voyait la Jordanie et même la forteresse hérodienne de Machéronte (où saint Jean-Baptiste est mort, si l’on en croit Flavius Josèphe). Ensuite, nous avons vu les fouilles sous l’église. Le petit film est très bien fait pour comprendre le lieu et sa relation avec le site du Saint-Sépulcre.
Enfin, nous avons essayé d’aller à l’église Saint-Jean-Baptiste, à deux pas de là, mais il était déjà cinq heures passé et l’église était fermée… Il faudra y retourner, en plus, un des étudiants de l’ÉBAF étudie ce bâtiment d’une manière particulière…
Demain, c’est l’Épiphanie… Pas de cours et bibliothèque fermée… Je passe la journée à Bethléem avec les franciscains. Tout est grâce !
À bientôt,
Étienne+



[1] Remarquer les guillemets…

1 commentaire:

em a dit…

bien reçu la dédicace cher elj. amitié reconnaissante pour plein de choses. ne te presses pas, mais que le travail avance!