mercredi 28 octobre 2015

Du nord vient une fumée (Is 14,31)

Miṣṣapôn ‘ashan ba’
מִצָּפוֹן עָשָׁן בָּא

Cher tous,
Depuis dimanche, les températures ont baissé et il a même plu abondamment pendant notre pèlerinage à Deir Rafat. Ça y est, c’est l’automne. En plus avec le changement d’heure, la nuit tombe très tôt, vers 17h. En fait, il y a une heure de différence avec la France pour l’heure légale, mais le soleil se lève une heure et quart plus tôt à Jérusalem (vers 6 heures moins dix en ce moment) et se couche trois quarts d’heure plus tôt (vers 16h55 en ce moment).
Lundi, la journée a été studieuse. Travail en bibliothèque, cours avec le Père Gilbert. En début d’après-midi, avant de quitter le Collège pour retourner à l’École, je croise un groupe de pèlerins dans l’appartement des Frères ; parmi eux, le P. Alain M., du diocèse de Strasbourg, qui fut mon condisciple à l’Institut Biblique. Il connaît bien les Frères puisqu’il a passé deux années de coopération à Jérusalem, avant l’an 2000.
En fin d’après-midi, j’ai participé à des confessions dans la Basilique de l’École pour un groupe du Val-de-Marne. En soirée, j’ai mangé à l’hôtel Knight’s Palace avec un groupe de Parisiens, accompagné par le P. Yvan Maréchal ; après le repas, nous avons eu le témoignage du P. Rafic Nahra. C’est un prêtre de Paris, d’origine libanaise et qui depuis une année est curé de la paroisse catholique latine de langue hébraïque à Jérusalem. Il a évoqué son parcours personnel qui est rien moins qu’évident : imaginez un Libanais qui parle hébreu et vit en Israël ! Je passe devant chez lui plusieurs fois par jour puisqu’il habite dans la rue par laquelle je me rends à l’École…
Mardi matin, matinée avec une heure d’histoire du Proche-Orient ancien. On est resté pour l’instant dans des périodes pré-historiques : paléolithique, néolithique… Quand vous êtes allés à l’école, on a dû vous parler de la “révolution néolithique” pour dire que le passage du paléolithique au néolithique avait été très rapide. Dans le Proche-Orient ancien, ce passage a été très lent (4 000 ans !) pour passer de sociétés (semi-)nomades à sédentaires, de moyen de subsistance basés sur la prédation (on utilise ce qu’on trouve dans la nature : on chasse et on cueille) à des moyens de productions (on exploite par l’élevage et l’agriculture). Tout ça s’est passé il y a un peu plus de 10 000 ans. Au Proche-Orient, cette période de transition vers le néolithique est nommé Natoufien, du wadi en-Natuf qui est le lieu où l'on a identifié pour la première fois cette période. C'est en Cisjordanie, coincé entre deux colonies israéliennes, à 28 km au nord-est de Jérusalem.
Ensuite, préparation de la visite de l’après-midi au nord de la Vieille Ville. On a énormément parlé du troisième mur et de son tracé. Le troisième mur, qu’est-ce que c’est ? C’est Flavius Josèphe (encore lui !) qui en parle dans la Guerre des juifs. À l’époque de Jésus, il y avait deux murs et le Golgotha de l’évangile se situait hors du deuxième mur. Mais une quinzaine d’années après la mort et la résurrection, la ville s’était agrandie et on a bâti un troisième mur au nord de la Ville.  Les archéologues et historiens n’ont jamais réussi à s’accorder sur le tracé de ces deux murs… La question centrale, c’est de savoir si le site du Saint-Sépulcre était hors du deuxième mur ou non à l’époque de Jésus et donc s’il est un sanctuaire crédible… Selon la lecture que l’on fait de Flavius Josèphe, on peut comprendre l’une ou l’autre des options… Certes, on a retrouvé au nord de l’École Biblique d’énormes blocs de pierre qui forment une ligne, assez stratégiquement dessinée puisqu’on ne peut au-delà de celle-ci mettre une machine de siège efficace. Mais certains historiens affirment qu’il s’agit d’un “quatrième” mur, bâti à la hâte par les juifs peu avant le siège de Jérusalem par Titus en 70. Mais la taille des pierres rend peu vraisemblable cette affirmation : jugez vous-mêmes ! En plus, Flavius Josèphe lui-même dit que « par leur ajustement et leur beauté, les pierres [du troisième mur] ne différaient pas de celles du Temple » (Guerre des juifs, V,4,3).

Version mini du troisième mur ;
il correspond à la muraille actuelle

Version maxi du troisième mur ;
la muraille actuelle est en gris clair
L’après-midi, nous avons commencé notre promenade archéologique par les vestiges de ce fameux troisième mur. Honnêtement, les pierres sont convaincantes mais pas du tout mises en valeur… On le retrouve entre deux bennes à ordure débordantes et un container à bouteilles en plastique (la seule chose qu’on recycle dans le pays).
Pierre du troisième mur

Puis un bref regard sur un monument non identifié maintenant caché par la gare routière située devant l’École. Passage à la fameuse Garden Tomb, vénérée par beaucoup de protestants comme le tombeau de Jésus. C’est le général Gordon (dit “de Khartoum”) qui a identifié en 1883 cette tombe comme celle dans laquelle Jésus a été enseveli. Il avait reconnu dans la colline voisine la forme d’un crâne. Le général Gordon était un bon guerrier et comme tous les anglais de l’époque, il se piquait d’archéologie. Dans l’article de 1885 où il parle de la “Tombe du Jardin”, il prouve aussi que le paradis terrestre se trouve aux Îles Seychelles… No comment.
Nous avons ensuite passé un petit moment à la Porte de Damas, la grande porte nord de la Vieille Ville actuelle. Des fouilles archéologiques ont montré qu’elle était bâtie exactement sur le plan de la Porte du Pilier, édifiée à l’époque de l’empereur Hadrien lorsque Jérusalem fut rebaptisée Ælia Capitolina. Le problème est que lorsqu’on regarde d’un peu plus près, on s’aperçoit aussi qu’avant d’être romaine (+135), la porte fut hérodienne. L’aspect des pierres ne laisse aucun doute là-dessus, ce qui laisse penser que le deuxième (ou le troisième) mur pour certains, passait là.
À côté, nous sommes brièvement passés dans les carrières de Salomon : un immense réseau creusé à l’âge du Fer (1200-700 av. J.-C.) pour extraire des matériaux de construction. Salomon a pu s’en servir mais rien ne l’atteste… À la fin du xixe siècle, les francs-maçons s’y réunissaient pour des cérémonies d’initiation puisqu’ils considèrent Salomon comme leur fondateur (!)
Passage bref sous le collège des Frères pour, admirer les restes de la Tour de Tancrède, sur laquelle le Collège est bâti. Il y a cent ans, on croyait que les vestiges sous le Collège étaient ceux d’un fort de Jean Hyrcan (134-100 av. J.-C.) ainsi que ceux de la fameuse tour Pséphinos (ou Pséphina) dont parle… devinez qui ? Flavius Josèphe, bien sûr ! Mais aussi Chateaubriand dans son Itinéraire de Paris à Jérusalem.
En fait, le site de la tour Pséphinos est un peu plus au nord, vraisemblablement sous la cathédrale russe, dans l’alignement des vestiges du troisième mur que nous avons vu en début d’après-midi. Nous avons terminé la promenade archéologique à la piscine Mamilla, hors de la Vieille Ville, qui faisait partie du système d’alimentation en eau de Jérusalem. Aujourd’hui, elle est au milieu d’un cimetière musulman à l’abandon. C’est dans ce coin que je vais courir parfois le soir.
Mais la journée n’était pas finie… Nous avions aussi une visite au musée d’Israël qui est ouvert en “nocturne” le mardi (de 16h à 21h). Le mot “nocturne” est à peine exagéré puisqu’à 17h le soleil est déjà couché.
Rapide regard à la maquette de Jérusalem à l’époque de Jésus, puis nous sommes allés visiter les galeries archéologiques. Elles sont présentées chronologiquement ; c’est Rosemary notre professeur d’histoire qui nous a guidés du Paléolithique jusqu’au Chalcolithique.
On a vu des silex, des squelettes, de la vaisselle en pierre et seulement vers la fin des objets en terre cuite et en métal… Pendant très longtemps, le seul élément utilisé par l’homme, c’était la pierre… Cela n’empêche pas d’avoir des objets très sophistiqués. Nous avons vu une tombe où le squelette de femme a été enterré avec des carapaces de tortues, un os d'aigle, une queue d'auroch, des crânes de martres... On a passé deux heures dans le musée ; on n’a visité que trois salles mais c’était passionnant. En repartant, je suis passé voir une expo un peu intello mais j’ai vu des crânes plâtrés et un os hyoïde de néandertalien (l’os qui est placé à la base de la langue, dans le larynx et permet le langage articulé).
Retour à pied au Collège sous la pluie : heureusement le frère Miguel m’avait prêté un parapluie. Je suis arrivé tout juste pour le repas ; j’étais vanné. En attendant l’ascenseur, j’entendais dans la salle voisine la musique techno du cours de zumba des mamans d’élèves… Je n’aspirais qu’à un peu de piano…
La journée de mercredi a paru bien calme et monotone en comparaison. Rien à signaler…

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Bonjour Père Etienne,
Nous vous sommes reconnaissantes de tout ce que vous nous faites vivre au travers de vos écrits. Ainsi, nous visitons Jérusalem dans vos pas et ceci nous apporte une connaissance à la fois historique, politique et spirituelle.
Nous vous accompagnons quotidiennement par la prière et plus particulièrement le jeudi lors de notre rencontre pour la " prière des mères ".
" Vos mères de Saint- Didier " : Marguerite, Dora, Annie, Véronique, Danièle, les Cécile (s)et Chantal.