Lah ḥazôn shalom we’ên shalom
לָהּ חֲזוֹן שָׁלֹם וְאֵין שָׁלֹם
Chers tous,
Dimanche, je vous ai laissé avant de partir pour la messe.
Je devais poster une lettre et j’ai donc fait un détour par la porte de jaffa,
où il y a un bureau de poste. Du coup, pour aller + vite chez les Dominicains,
je suis passé par le souk. Peu avant d’arriver au croisement de la rue David et
de la rue Muristan, j’entends des éclats de voix... Petit moment d’angoisse
vite dissipée, il ne s’agissait que de deux types qui se disputaient. La police
israélienne qui quadrille la Vieille Ville a vite fait de les calmer. De toute
façon je bifurquais vers le Muristan. En passant je croise Suleiman, un des
portiers des Frères, on se salue Saba el-ḥer! saba en-nur. Kif halak?
Mabsut, el-ḥamdi-lla! Le reste de la conversation se fait en anglais
arafatien.
Je remonte la rue Khan ez-Zeit vers la Porte de Damas, là
aussi angoisse car c’est un des points chauds de ces derniers jours, en plus je
suis parti avec mon aube sous le bras mais rien de plus. (Pas de passeport, par
exemple...) C’est calme, je ne m’attarde pas... Messe à Saint-Étienne, avec les
Dominicains. On ne peut pas dire que la messe traîne en longueur, 44 minutes
top chrono! Je connais des paroissiens qui seraient contents. À la sortie, je
retrouve avec surprise Zizou, qui vient à la messe à Venasque au mois d’août,
de passage avec une équipe du secours catholique ! L’après-midi se décide
avec les Ayzac. Je mange chez eux et à 14 h 30 départ pour le
Consulat général de France. C’est la représentation diplomatique française à
Jérusalem qui assure les fonctions consulaires pour cette partie d’Israël mais
aussi quasi ambassade pour l’Autorité palestinienne, quasi état... De là, avec
tout un groupe, nous partons en convoi de véhicules blindés vers Beit Jala. La
petite équipe de rugby montée par un des agents du Consulat devait rencontrer
les Lions… de Beit Jala! La seule équipe de rugby de Cisjordanie...
Dans le feu de l'action |
La rencontre a eu lieu sur le terrain de foot du
séminaire patriarcal latin. Comme vous le voyez, le terrain domine toute l’agglomération
de Bethléem. Comme ça chauffait près de l’ancien hôtel Intercontinental, coincé
entre deux camps de réfugiés, on voyait au loin le panache de fumée et on a
entendu une explosion. Un des rugbymen palestiniens a dit quelque chose en
arabe que j’ai compris comme "Vive la Palestine !"
La partie avec en fond le panache de fumée... |
Le match a été animé mais s’est soldé par une défaite
française, qui fut de mauvais augure pour la suite...
A l’issue du match, on est monté dans les voitures pour
se rendre à Bethléem, au restaurant Nirvana (!). En chemin, un des Palestiniens
nous dit que le patron est musulman et qu’ils ne servent que du thé à la
menthe, pas de bière… Vous auriez vu la tête des Français ! Ce n’était qu’une
petit blague et le patron était chrétien, comme il faut (en tout cas, son
chapelet autour du cou était énorme). En arrivant, l’air était un peu chargé,
ça picotait le nez… Il faut dire que l’Intercontinental n’était qu’à 250 m,
heureusement les affrontements étaient terminés.
Au restaurant, le patron avait installé un projecteur et,
profitant d’une connexion WiFi, nous avons pu regarder ensemble le match France-Irlande
et partagé le repas du soir. Ce fut bien sympa. Retour à Jérusalem peu avant 22
heures.
Hier, lundi, matinée studieuse à la bibliothèque. Je
fignole mon exposé. L’après-midi, expédition à Talpiot au sud de Jérusalem. Je
suis allé chercher une carte SIM car au bout de trois semaines, je n’avais
toujours pas reçu celle commandée avant mon départ. Au moment de quitter le
Collège, cela frisait l’émeute dans la cour : imaginez 300 élèves, plus
les parents bloqués dans le Collège puisque la police bloquait la Porte neuve.
Une attaque venait d’avoir lieu en contrebas. Je suis passé par l’autre côté
pour retrouver mon bus, en contrebas de la porte de Jaffa.
J’attends le 234… Qui finit par arriver, sous la forme d’un
petit bus d’une quinzaine de places, brinquebalant et pétaradant. Je suis
miraculeusement descendu au bon arrêt (merci les anges gardiens !) Je
cherche le bureau de la compagnie de téléphone, spécialisée dans les
communications France-Israël. Je trouve le bureau, dans une sorte de zone
industrielle, poussiéreuse et sale. À l’intérieur, un open space nickel
avec des gens au bureau (tous les hommes étaient en chemise blanche et kippa !
En cinq minutes, la manip est faite et je rentre vers le centre-ville.
Le vieux bus s’est alors transformé en splendide pullman climatisé. Devant la
Porte neuve, les flics bloquent et je demande si je peux descendre, mais le
chauffeur ne veut pas ; il me dépose en bas à 100 mètres de la Porte de
Damas, the place not to be en ce moment à Jérusalem. Je détale vers la
Porte neuve.
Le téléphone marche. Je suis désormais joignable depuis
la France (au prix tarif local) et je peux appeler en France en illimité !
Ce matin, cours d’histoire et introduction à la visite de
l’après-midi… Rien de bien dangereux puisque nous avons visité le domaine Saint-Étienne,
le site de l’École biblique. Si vous cliquez sur le lien au-dessus, vous pourrez lire en ligne le livre écrit par le P. Lagrange sur ce lieu : schémas,
Le site est traditionnellement celui du martyre de saint Étienne,
vous voyez à quel point je suis intéressé. Là, au 5ème siècle, l’impératrice
Eudocie a fait bâtir une splendide basilique dans laquelle elle a fait
transférer les reliques du protomartyr. Cette basilique a été détruite par les
Perses en 614 ; les croisés y ont bâti une petite église, détruite un
siècle plus tard pour empêcher les Sarrasins de s’en servir. On y installe une
hôtellerie pour les pèlerins qui à l’époque mamelouke n’avaient pas le droit de
résider dans la ville…
Le couvent des Dominicains, vu du jardin |
À la fin du 19ème, profitant de l’affaiblissement
de l’empire ottoman, les Dominicains rachètent le lieu, le fouillent et
bâtissent leur propre église, consacrée en 1900, sur le plan exact de la
basilique impériale. D’ailleurs, des mosaïques byzantines ornent certaines
parties du sol. Tout autour, c’est un vrai gruyère fait de tombes byzantines ou
juives, de citernes (pas moins de 13 !) Dans le jardin, ici et là, on
trouve des vestiges des bâtiments anciens, notamment deux fragments d’une
énorme colonne, peut-être issue d’un monument à l’empereur Hadrien.
Après un passage dans l’église, nous avons visité le
musée de l’École, installé au rez-de-chaussée de l’ancien couvent (précédemment
un abattoir turc). Au milieu d’un amoncellement de sculptures, poteries, croquis,
se dessine l’histoire de l’École avec des fouilles aussi prestigieuse que
Qumran (entre 1949 et 1956).
À gauche, 20ème s. ap. J.-C. ; à droite 20ème s. av. J.-C. ! |
Puis les deux hypogées (tombeaux collectifs) dont
une est encore utilisée comme chapelle funéraire pour les Dominicains.
Un petit mot maintenant de la situation. Personnellement,
je ne me suis jamais vraiment senti en danger. On entend trop souvent des
sirènes stridentes qui signalent un moment de crise. Alors que les attaques au
couteau étaient au début localisées dans la Vieille Ville, surtout le quartier
musulman et la Porte de Damas ; voici que l’on parle d’attaques à Jérusalem-Ouest
et même Tel Aviv. Les assaillants, souvent abattus après
leur méfait, sont issus des quartiers palestiniens pauvres de Jérusalem Est.
Mais on parle maintenant d’attaques faites par des Arabes israéliens. Côté
juif, les gens sont tendus, et s’arment pour pouvoir se défendre, ce qui n’est
jamais bon si on a la gâchette facile. Aujourd’hui, un juif a attaqué un gars
qu’il soupçonnait de préméditer une attaque avant de s’apercevoir qu’il s’agissait
d’un autre juif !
Aujourd’hui, il n’y a pas eu de cours au Collège. C’est
un des aspects collatéraux mais graves de cette crise. Le frère Daoud,
palestinien, me disait que son jeune frère a perdu une année de scolarité lors
de la première Intifada en 1988.
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