dimanche 7 mai 2017

Vous ne ferez aucun travail (Lv 23,3)

כל־מלאכה לא תעשה
Kol-melāˀḵāh lō ṯaˁăśû


Chers amis, 
Jeudi, journée studieuse à la Bibliothèque de l’
ÉBAF. Le lendemain, vendredi, j’ai rencontré Anthony pendant un bon moment, on a discuté des développements à venir. Il m’a encouragé à commencer à rédiger… Maintenant, il faut s’y mettre.
À midi, je suis allé célébrer la messe à l’Ecce Homo, conformément à mon habitude de l’année dernière. J’étais bien content de retrouver les habitués et de rencontrer de nouvelles têtes. En sortant de table, je regarde par la petite fenêtre le groupe qui déjeunait dans la grande salle-à-manger des hôtes : deux prêtres et un groupe de jeunes hommes avec de bonnes têtes d’Américains. En sortant, je les salue, il s’agissait des séminaristes du diocèse de Detroit, aux États-Unis. L’année dernière, j’avais rencontré leurs prédécesseurs à Saint-Sauveur. Je parle avec l’un d’entre eux à l’accent très prononcé. Il me parle de son père qui enseigne l’Écriture Sainte à l’université franciscaine de Steubenville. En fait, son père est Scott Hahn, un pasteur protestant converti au catholicisme et qui a témoigné dans le livre Rome, Sweet Home. Il est très sympa.
Dans l’après-midi, j’avais une très petite envie de travailler. Je suis sorti un peu en avance.
Le soir, je suis allé dîner chez Cyrille et Marianne, une famille connue l’année dernière, deux autres couples s’étaient joints, Karine et Bastien, ainsi que Denis et Dorothée. Apéro sympa à la bière de Taybeh. Au moment de passer à table sur la terrasse, quatre jeunes juifs nous ont demandé si nous étions juifs… Ils avaient besoin d’un goy (non-juif) pour régler un problème de lumière dans leur maison. À cause du shabbat, ils ne pouvaient pas allumer ou éteindre la lumière. J’ai sauté sur l’occasion… En fait, mes amis habitent dans la ville ouest, dans un quartier complètement juif (pas trop fanatiques toutefois) et les quatre jeunes gens avaient mis du temps à trouver un goy susceptible de leur rendre service. Leur maison était à 500 mètres de là ; nous avons un peu discuté en allant chez eux : ce que je fais ici à Jérusalem, d’où je viens, qu’est-ce que je fais dans la vie (je suis prêtre catholique. Qu’est-ce que c’est ? Une sorte de rabbin chrétien…) 
Arrivé dans l’appartement, au troisième étage, j’allume la loupiote de mon téléphone et je rentre dans le logis, plongé dans l’obscurité. Le disjoncteur était coupé… En fait, il y avait un court-circuit du côté de la bouilloire électrique. Je suis donc allé, comme un grand, débrancher la bouilloire et remettre le disjoncteur. Fiat lux ! אור יהי          
En fait, chez les juifs, aucun travail n’est permis le jour du shabbat. On ne peut pas porter de choses, on ne cuisine pas… Et l’interdiction de travailler va jusqu’à l’interdiction de faire du feu. On ne peut donc pas fumer un jour de sabbat et actionner un circuit électrique est considéré comme une manière de faire du feu. Il est donc interdit d’allumer ou d’éteindre la lumière ce jour-là, de téléphoner, de prendre des photos, d’allumer la TV ou la radio, d’utiliser l’ordinateur, de brancher un appareil et d’actionner un disjoncteur…     
Je ne me suis pas attardé mais ils étaient très reconnaissants. Je leur ai souhaité Shabbat Shalom (un sabbat de paix !) et je suis retourné chez mes amis. La maîtresse de maison m’a dit en riant : « On s’inquiétait ! Encore cinq minutes et on déclenchait l’alerte enlèvement ! »        
Repas très sympa et joyeux. Je ne suis pas rentré très tard.        

Samedi, matinée studieuse. L’après-midi, grand tour, 17 km en 2h42. J’ai suivi la voie du tramway jusqu’au terminus du Mont Herzl puis j’ai traversé un quartier bien orthodoxe : une barrière marquée קודש שבת (saint sabbat) ferme la rue, empêchant ainsi le passage des voitures (encore une manière de faire du feu). Ce qui m’a impressionné, c’est que tout le monde était dehors, les papas et les mamans avec leur marmaille (cinq enfants en moyenne) et beaucoup de poussettes. Je me suis rendu compte que les contraintes que peut représenter le shabbat permettent aussi à la famille d’être ensemble, de rencontrer d’autres personnes, d’avoir un temps gratuit. Dans une société moderne où l’on galope toujours, ils montrent que Dieu pourvoit et qu’on est nourri sept jours même si on n’en travaille que six. Je suis allé jusqu’au zoo biblique. De là, j’ai suivi la piste cyclable de la voie ferrée, jusqu’à la fameuse première gare.   
En arrivant vers 18h, j’étais ivre de fatigue. Messe avec les frères puis repas chez Catherine. Elle habite dans la Vieille Ville et travaille pour Routes Bibliques, une agence de pèlerinages. Marie des Neiges était en France pour Noël et avait ramené du magret de canard et du fromage. Il faut savoir que le canard n’est pas casher : en effet, c’est un gibier d’eau (donc un poisson du point de vue de la Torah) mais il n’a pas d’écaille et de nageoire, donc il n’est pas convenable de le manger. Autour de la table, en plus des deux dames, le frère Stéphane de la Custodie, le P. Cassiel, prêtre de Grenoble et étudiant à l’ÉBAF (je le vois parfois dans la bibliothèque mais jusque-là, c’était nos seuls contacts). Soirée sympa. Je suis rentré à minuit passé lorsque Marie des Neiges et le frère Stéphane sont allés aux vigiles de la solennité de l’Invention de la Croix au Saint-Sépulcre. Je n’ai pas eu le courage. Le lendemain matin, je devais partir tôt au Mont Carmel avec les Frères pour le pèlerinage en l’honneur de Notre-Dame.
Finalement, après les Laudes, les Frères m’ont dit que ça n’était pas possible ; la messe devait avoir lieu en fin d’après-midi et les délais de voyage rendaient hasardeuse la sortie… Du coup, j’étais libre pour aller à la messe de la solennité au Saint-Sépulcre. J’y avais déjà assisté il y a 10 ans dans des circonstances analogues puisque c’était le lendemain de l’élection de Sarkozy.   
La messe est présidée par le Custode (c’était la première fois que je le voyais depuis sa nomination l’année dernière à pareille époque).   
La solennité rappelle donc la découverte (l’inventio en latin) de la croix du Christ par sainte Hélène dans les années 326 de notre ère. Voici ce qu’en dit saint Rufin d’Aquilée dans son histoire ecclésiastique (Patrologie latine 21,475) :      

Hélène, mère de Constantin, femme incomparable en ce qui concerne la foi, la sincérité religieuse et la magnificence, dont Constantin était le fils à bon droit et était reconnu comme tel, fut alertée par une vision divine. Elle se rendit à Jérusalem et y fit rechercher par les habitants de la ville le lieu où avait été déposé le saint corps du Christ, crucifié sur la croix. Il était difficile d’identifier CE lieu. C’est au même emplacement qu’une statue de Vénus avait été placée par les anciens persécuteurs de l’Église, dans le but précis de créer une équivoque. Si un chrétien voulait adorer le Christ en ce lieu, il devait donner l’impression de vouloir adorer Vénus. Il s’en suivit que les chrétiens ne fréquentèrent plus ce lieu, et qu’il finit par être quasi oublié. À peine Hélène se transporta vers ce lieu, une intervention du ciel indiqua qu’elle le fit débarrasser de tout ce qui s’y trouvait de profane et de souillé. Elle retapa en profondeur les décombres. Elle retrouva les trois croix en ordre dispersé. Cependant la ressemblance de chacune de ces croix, sans différence notable, diminuait la joie d’avoir retrouvé ce trésor. S’y trouvait quand même le titre écrit par Pilate en lettres grecques, latines et hébraïques, mais il n’apportait pas une garantie suffisante pour identifier la croix du Christ. Une intervention divine était donc nécessaire pour résoudre cette ambigüité, cette incertitude. Elle se réalisa sous la forme d’un miracle de guérison. Arriva dans la ville une dame très malade, en fin de vie. L’Évêque de Jérusalem Macaire comprit le moyen de faire face à l’incertitude de la reine Hélène : « Apportez les diverses croix. Dieu lui-même indiquera celle du Christ ». En présence d’Hélène et de la foule des chrétiens et de la dame moribonde, il pria Dieu : « Seigneur, tu as daigné donner le salut à l’humanité par l’intermédiaire de la croix de ton Fils unique. Actuellement tu as inspiré à la reine Hélène de rechercher la vraie croix. Montre le clairement par le fait que lorsque cette personne moribonde touchera la vraie croix, elle guérisse et reprenne vie ». L’Évêque fit toucher une première croix par la malade Aucun résultat. Il fit toucher une seconde croix. Sans résultat. Dès qu’il lui fit toucher la troisième croix, la malade ouvrit les yeux, sortit de son lit et reprit toutes les forces qu’elle avait avant d’être malade, et même davantage. Elle se mit à proclamer dans toute ta maison les merveilles de la puissance de Dieu. C’est pourquoi la reine Hélène, ayant obtenu son but grâce à une révélation si manifeste, fit construire en souveraine de manière triomphale une église merveilleuse sur le lieu même où elle avait trouvé la croix. Elle apporta à son fils les clous qui avaient attaché le corps du Seigneur à la croix. Avec quelques-uns de ces clous, elle composa les mors qui lui serviraient en temps de guerre ; avec d’autres elle orna, dit-on, son heaume, pour temps de guerre. Quant au bois de la croix, elle en envoya une partie à son fils. Elle fit recouvrir une autre partie d’une enveloppe d’argent et la laissa en son lieu. Encore aujourd’hui elle s’y trouve gardée comme un souvenir perpétuel et y est objet d’une vénération continuelle.  
La messe est célébrée tout au fond du Saint-Sépulcre dans la chapelle latine où la tradition situe la découverte de sainte Hélène. C’est une ancienne citerne assez exiguë : une fois que les prêtres (une vingtaine) et les franciscains sont rentrés, il n’y a plus de place pour les fidèles dont les plus chanceux s’entassent dans l’escalier qui descend à la chapelle tandis que les autres poireautent dans la chapelle arménienne. La chapelle de la Croix reçoit, pour l’occasion, une décoration riche, faite de tentures et de cierges. Un harmonium à l’ancienne (il faut pédaler) accompagne le chant – les Laudes sont (dés)intégrées dans la messe. Comme prêtre, j’étais au fond à droite, contre la vitre de protection de la paroi, elle ménageait un dossier confortable. Le Custode a fait l’homélie, il a une bonne voix, calme et profonde, qui porte bien (c’est nécessaire au Saint-Sépulcre où toute sonorisation électrique est interdite par le statu quo). Il m’a donné quelque lumière sur les événements du jour. Par la croix, le Christ est descendu au plus bas et c’est pour cela qu’il a été exalté.         
Après la messe, nous sommes partis en procession : croix, cierges, cierge pascal, frères franciscains, prêtres, le custode portant la relique de la Saint Croix. Le Custode est entouré de deux servants qui tiennent ouverts les pans de sa chape et deux diacres encensent sans discontinuer à grosses volutes de fumée. La foule suit avec des cierges. Nous chantons Vexilla Regis à plusieurs reprises. La procession fait trois fois le tour de l’édicule (celui qui vient d’être restauré). L’orgue des franciscains joue à toute pompe, le chant jaillit des poitrines, à la tribune sud, les Arméniens redoublent d’ardeur dans leur chant. Dans la procession, je suis le dernier des prêtres et tout proche donc de la relique. Au troisième tour, la procession s’approche de l’entrée de la basilique (la porte a été fermée) et nous contournons la pierre de l’onction. Retour devant l’édicule où le custode nous bénit une première fois avec la relique, devant l’autel de Marie-Madeleine, deuxième bénédiction et dans la chapelle latine, troisième bénédiction suivie de la vénération de la relique par tous les fidèles.
De retour au Collège, j’allume la télé pour voir voter en direct les deux candidats. Puis repas avec les Frères. Dans l’après-midi, je suis allé aux Vêpres arméniennes. Il faisait un froid dans cette cathédrale. L’office a duré une bonne demi-heure. En plus du chant, il y avait toute une chorégraphie compliquée entre séminaristes, diacres, prêtres et évêque, avec encensements et brandissements de croix. J’ai continué mon après-midi avec une petite balade.

De retour au Collège, je rédige ce message, je le poste avant d'aller prier. Il y en a bien besoin.
À bientôt,     
Étienne+


PS: Avant d'aller se coucher juste pour dire que nous avons eu les résultats à 21h ici. Un des frères, macroniste convaincu, avait sorti le champagne (enfin, un mousseux...) Bon, ben, on va tâcher de "penser printemps"...

Aucun commentaire: