dimanche 22 janvier 2017

La ville et la tour que les hommes avaient bâties (Gn 11,2)



ˀeṯ-hāˁîr wǝˀeṯ-hammiḡǝdāl ˀăšer bānû bǝnê hāˀāḏām
את־העיר ואת־המגדל אשר בנו בני האדם  

Chers amis,
Vendredi, ce fut le lot commun… J’ai vu mon directeur. On a parlé un bon moment. Il est confiant.
Samedi matin, j’ai travaillé à la bibliothèque mais j’ai fait quelques apartés en recherchant des documents sur la Tour de Tancrède. Il s’agit des vestiges archéologiques qui se trouvent sous le Collège des Frères. Dans le couloir des chambres, il y a un tableau qui représente le site du Collège au moment de l’arrivée des Frères, on y voit des ruines faites d’énormes pierres taillées. Devant, on voit deux silhouettes de Frères (avec la soutane, le rabat et le chapeau rond) et un soldat turc. À côté, un joli texte calligraphié explique que les ruines sont celles d’un fort de Jean Hyrcan (134-104) et de la tour Pséphina construite par son fils Alexandre Jannée (103-76). Ces deux personnages sont les deux représentants emblématiques de la dynastie hasmonéenne qui a régné sur le pays entre 142 et 63 (arrivée du général Pompée en Judée). Ils ont construit plusieurs palais qu’Hérode le Grand rétablit ensuite : Machéronte, Massada, Hyrcania, Kypros
On leur attribuait la construction des vestiges sous le Collège, mais rien n’est moins sûr… À l’heure actuelle, les archéologues pensent (toujours cette histoire du troisième mur de Jérusalem construit par Agrippa entre 41 et 70) qu’elle se situe sous la cathédrale russe, derrière la mairie. Je passe devant le soir quand je vais courir : c’est le point culminant de mon circuit.
Après 1967 et la Guerre de six jours, des fouilles ont été réalisées par les Israéliens sous les murailles ottomanes et ont dégagé des vestiges médiévaux : une tour fatimide (xie siècle), reprise par les Croisés et notamment le fameux Tancrède qui a donné son nom à la tour dont il s’était emparé. La tour a dû être détruite au début du xiiie siècle lorsque les Ayyoubides (les successeurs de Saladin, lui-même descendant d’Ayyoub) détruisirent les remparts de Jérusalem : ils avaient peur que les Croisés ne reprennent la Ville et se disaient que la Ville serait plus facile à reprendre si elle n’avait pas de murs…
Plan : - מגדל = Tour (sous le Collège)
-
חפיר = Fossé (hors les murs)

Soliman le Magnifique a reconstruit les remparts en 1535 (c'est la double ligne blanche sur le plan) et ceux-ci passent sur les vestiges de la Tour de Tancrède. Les fouilles israéliennes ont permis de dater précisément les vestiges de l’époque médiévale ; exit donc le fort hasmonéen…
En fait, dans l’après-midi, j’ai accueilli au Collège deux amis, camarades de l’École Biblique : l’un était boursier AIBL il y a dix ans et l’autre l’année dernière. Leur œil d’archéologue a pu s’exercer devant les vestiges anciens. C’était drôle de voir des professionnels aborder un site, remarquer tel ou tel détail passant inaperçu. Le frère Rafael nous a ouvert les portes et expliqué.
Ensuite, nous sommes montés sur la terrasse où la vue était magnifique comme toujours mais cet après-midi, la lumière était particulièrement splendide. Le soleil était bas et illuminait les toits, les coupoles et le Mont des Oliviers. Au loin, les montagnes de Jordanie.
Après un thé bien apprécié (le vent soufflait et ça caillait), j’ai filé vers le Saint-Sépulcre. En effet, la semaine de prière pour l’unité des chrétiens commençait ce soir… Normalement, elle a lieu du 18 au 25 janvier, mais ici à Jérusalem où tout est plus compliqué, elle commence le dimanche (ou samedi soir) suivant : en effet, le 19 janvier, les Grecs célèbrent l’Épiphanie et les Arméniens célèbrent conjointement Noël et l’Épiphanie puisqu’ils ont mis leurs autels à disposition des Syriaques et des Coptes le 7 janvier.
En fait, cette célébration du samedi soir, au Calvaire, a été ajoutée il y a quelques années pour faire en sorte qu’il y ait au moins une célébration orthodoxe dans la semaine de prière pour l’unité. Ceux-ci ne prennent habituellement pas la peine d’aller chez les autres et donc ce sont les autres qui viennent participer à leur liturgie. Habituellement, aussi, on panache les langues et les intervenants même si la célébration garde la couleur de la confession chrétienne qui reçoit. Mais là tout était en grec et sans rien changer au rituel. J’ai donc prié un bon moment au milieu de la foule (très latine pourtant) alors que la liturgie était particulièrement incompréhensible. S’il ne s’était agi que de la langue, j’aurais pu glaner un mot ici ou là… Mais on avait l’impression que les chantres se livraient à un concours : celui qui arriverait à enchaîner le plus de Kyrie eleison dans un seul souffle. Ça donnait quelque chose comme :
Κρλεσον ! Κρλεσον ! Κρλεσον ! Κρλεσον ! Κρλεσον ! Κρλεσον ! Κρλεσον ! Κρλεσον ! Κρλεσον ! Κρλεσον ! Κρλεσον ! Κρλεσον ! Κρλεσον ! Κρλεσον ! Κρλεσον ! Κρλεσον ! Κρλεσον ! Κρλεσον ! Κρλεσον ! Κρλεσον ! Κρλεσον ! Κρλεσον ! Κρλεσον ! Κρλεσον ! Κρλεσον ! Κρλεσον ! Κρλεσον ! Κρλεσον ! Κρλεσον ! Κρλεσον ! Κρλεσον ! Κρλεσον ! Κρλεσον ! Κρλεσον ! Κρλεσον ! Κρλεσον ! Κρλεσοοοοοοοοοοοον !
Au bout d’un moment, c’était presque risible.
À la fin de la célébration de l'apodeipnon (c'est-à-dire les Complies mais littéralement l'après-dîner), un évêque (le patriarche ?) a pris la parole dans un anglais hésitant. En gros, il nous souhaitait la bienvenue et soulignait le fait que la liturgie à laquelle nous avions participé (assisté?) n'avais jamais changé. Ça m'a évoqué les discussions sur "la messe de toujours" qu'on entend parfois par chez nous.
À la sortie, je retrouve le Fr. Stéphane et Marie des Neiges. On discute un moment. Je récupère un brouillon de Propre de la Liturgie des Heures de la Custodie, pour y débusquer les fautes d’orthographe et erreurs de typographie. Puis nous allons manger dans le quartier de la rue de Jaffa. Il est un peu tôt et nous patientons dans un café : je prend
s un saḥlav, une sorte de préparation
Voilà la soupe de patate douce
This photo of Hamarakiya is courtesy of TripAdvisor
au lait avec de la cannelle, des noisettes pilées… C’est délicieux. Et nous avons terminé à HaMaraqiya, un bar à soupes déjà visité l’année dernière après la visite de l’expo sur Pharaon à Canaan. Quel délice que cette soupe de patate douce, servie avec du pain, du beurre et du pesto. Bonne discussion prolongée sur la Terre Sainte, le boulot, les études, l’œcuménisme, la famille…

Ce matin, j’ai rédigé un peu cet article puis je suis allé à la messe. Le nouveau curé de la paroisse latine de la Vieille Ville me casse la tête, il hurle dans son micro qui est réglé en plus au maximum du volume… Quand, en prime, on ne comprend rien…
Avec les Frères, nous sommes allés manger à Notre-Dame, au bistrot café qui s’appelle Allegro (comme le resto italien du Mövenpick de Ramallah). Après le repas, j’ai sauté la sieste pour aller me balader. Je voulais aller voir Giv‘at haMivtar, un quartier de Jérusalem à proximité de la ligne de tramway. C’est là qu’en 1968, après la Guerre de six jours, on a découvert une série de tombes.
Calcaneum de Yoanân ben agkol (Musée d'Israël)
Dans l’ossuaire d’une d’entre elles, on a retrouvé la seule attestation archéologique du supplice de la croix : le calcaneum (os du talon) d'un crucifié encore transpercé par un clou. Cet homme s'appelait Y
ehoanân ben agkol. En fait, sur place, c’est très décevant : tout a été urbanisé et c’est même assez paradoxal de voir des familles juives assez observantes habiter des maisons bâties sur des tombes… Allez voir Lc 11,44.
Du coup, je me suis rabattu sur Giv‘at haTa
ḥmoshet, la colline des munitions. Pendant la Guerre de six jours, ce fut le lieu d’une féroce bataille entre Jordaniens et Israéliens. Il y a donc un mémorial dédié à Tsahal (Çva Hagana Le-israel = Forces de défense d’Israël = armée israélienne).
Puis je suis revenu sur mes pas pour aller voir le tombeau de Simon le Juste, situé dans le Wadi al-Joz. Mais je n’ai pas pu entrer, puisqu’il y avait un office religieux et les rabbins avaient l’air plutôt pas du genre à discuter et ouvrir les portes. Je suis arrivé pile à 17h pour l’office anglican à la Cathédrale Saint-Georges, située dans la même rue que l’École biblique mais un peu plus au nord, contre le fameux Tombeau des Rois. La cathédrale date du début du
xxe siècle mais dans le style gothique anglais. Un clocher carré la surmonte ; il évoque aux Montpelliérains l'une des tour de leur cathédrale. A l'intérieur, c'est tout petit... Quelle surprise !
Il y avait la prière pour l’unité des chrétiens. L’office était très beau. Ça pouvait tout à fait tenir lieu de Vêpres (Psaumes, Magnificat, Notre Père, Intercession, hymnes variées). En plus, nous avons renouvelé les promesses du baptême selon la forme anglicane, qui est bien faite : on commence par renoncer au mal, puis à professer notre foi :
– Croyez -vous en Dieu le Père ?
– Je crois en Dieu, le Père tout puissant, Créateur du ciel et de la terre…
Et ainsi de suite. Enfin, il y a un engagement à la vie en Église (écoute de l’enseignement des Apôtres, fraction du pain, cf. Ac 2,42), à la contrition des péchés, au service de la charité et à la poursuite de la justice auquel on répond : « I will, with God’s help » (Oui, avec l’aide de Dieu).
Je retrouve quelques amis. Puis on part chez Catherine l’aider à réaménager son appart’. Apéro avec za’tar, noix… Repas chez les Frères et coucher pas trop tard… Demain, la journée sera rude.
Priez pour moi,
Étienne+

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