samedi 23 juin 2007

Encore Bethléem

Cher tous,
Dimanche dernier, je ne savais pas où aller à la messe puisque je ne célèbre pas chez les Frères ce jour-là. Finalement, on m’a fait signe pour la première communion des enfants du Lycée Français de Jérusalem. Cela avait lieu à Sainte-Anne ; il y avait 13 enfants de 8 à 10 ans. L’ambiance était très sympathique, très “première communion”, le tout étant compliqué par l’acoustique de la jolie église des croisés. Pour chanter, les 12 secondes d’écho en font un lieu idéal et gratifiant ; pour parler, c’est très difficile. Ensuite, on a pris le repas tous ensemble dans le jardin des Pères Blancs. Comme les familles étaient assez réduites du fait de l’éloignement géographique, ils avaient décidé de faire un buffet commun. Le plat de résistance avait été commandé à un traiteur et les mamans se chargeaient du dessert tandis que les papas fournissaient le vin. Malgré la chaleur, on est resté tranquillement sous les arbres une bonne partie de l’après-midi à deviser avec les parents. Ça m’a rappelé les dimanches familiaux à la Lyonnaise.
Ensuite, je suis allé à l’Institut Magnificat pour le concert de fin d’année des élèves de la classe de chant. Il s’agit du Conservatoire de la Custodie de Terre Sainte. À part une jeune française, c’était assez pénible : je repensais à Florence Foster Jenkins, cette richissime veuve américaine qui, chantant comme une casserole, voulait tout de même faire une carrière lyrique. Ses moyens lui permettaient de se payer des instrumentistes pour tenter de l’accompagner. Un jour, elle a loué Carnegie Hall à New York et devant l’hilarité du public a réalisé son manque de talent. Elle mourut (de chagrin ?) un mois plus tard.
La jeune française était assez étrange : sur scène, une présence incroyable, une voix chaleureuse et pleine, un peu inaccessible et hors du temps ; une fois descendue du podium, la démarche était lourde, la voix un peu grave et lourde, presque vulgaire.
Lundi, mardi et mercredi, journées calmes et sans événements particuliers… Jeudi, c’était le 21 juin, arrivée officielle de l’été : il est déjà là depuis quelques jours ; avec des températures oscillant entre 30 et 34°C. Comme je marche pas mal entre le Collège et l’École, je suis tout bronzé.
À 12h30, j’avais été invité au Consulat Général de France pour un buffet concert à l’occasion de la Fête de la Musique. Le Consulat est situé à l’ouest. Ce jour-là, la ville était pleine de flics et de soldats, à tous les carrefours. Dans le ciel, flottait le Zeppelin de la police : un petit dirigeable retenu au sol par une corde et équipé d’une caméra pour surveiller d’en haut. Habituellement, on le voit le vendredi, jour de la grande prière des musulmans. En fait, la ville était quadrillée à cause de la Gay-Pride : à Jérusalem, ils sont à peine 2 ou 300 à manifester mais il y a deux ans, un des manifestants s’est fait poignarder par un juif orthodoxe. Dans la nuit de mercredi à jeudi, la police a bouclé le quartier orthodoxe de Mea-Shearim et il y a eu des affrontements.
Au consulat, tout le gratin français de Jérusalem (et non pas le gratin cairote) était présent, je connaissais deux ou trois personnes. Le cocktail était sympa : du jus d’orange à gogo (par cette chaleur, on appréciait) et un buffet de fromages (roquefort, bûche, brie…) avec des tranches de baguette (de la vraie, qui croustille bien). Pour la première fois depuis six mois, je mangeais de la baguette... Tout eût été merveilleux, n'eût été la présence de sauvages dans ce cadre normalement fréquenté par des gens éduqués : le roquefort a été vandalisé et coupé n'importe comment... Vision désolée de carnage.
Le concert qui a suivi était varié et agréable : un violoncelliste autrichien a interprété les fameuses Suites de Bach ; un jeune pianiste de jazz nous a régalé de morceaux de sa composition enfin un trio (piano, accordéon, tuba !!!) a joué des pièces aux accents latins. Plaisant.
Le soir, pendaison de crémaillère chez Nathanaël. Le diocèse de Paris a loué un appartement pour pouvoir envoyer des prêtres et des séminaristes étudier à Jérusalem. Les travaux se sont achevés au début du mois. Soirée sympa et fraternelle. Terence faisait aussi ses adieux, puisqu’il part lundi prochain. Marie-Claire, volontaire de St-Pierre en Gallicante, était là et du coup, je lui ai fait signe pour le lendemain à Bethléem.
Hier, vendredi, rendez-vous à 9h00 à la station du Sherout 124, près de la Porte de Damas. Nous étions quatre : Agnès, Terence, Marie-Claire et moi. Le Sherout nous a laissé au check point de Bethléem. Un grand hangar avec des portails métalliques, des barrières… Une fois sortis du hangar, on se retrouve face au mur et on voit l’immense affiche du ministère du tourisme israélien : Peace be with you. Inconscience ? Cynisme ? Les deux à la fois ? Je ne sais pas, mais depuis Arbeit macht frei, on n’a pas fait mieux. En passant entre les barrières, Agnès me dit : "Le pire, c'est qu'on s'habitue..." On passe à travers le mur et on voit le côté palestinien. Comme à cet endroit le mur serpente pour absorber le tombeau de Rachel, on a l’impression qu’il y a plusieurs murs parallèles.
Nous avions largement le temps, ce qui nous a permis d’aller à pied à Bethléem. Comme nous étions vendredi, l’ambiance était beaucoup moins agitée que la semaine précédente. Nous avons traversé le souk, pas âme qui vive… Sur la place de la Mangeoire, en revanche, dès que les gens voient un col romain, ils vous sautent dessus : "Welcome in my shop, father ! Do you want to see my shop, father ? Fifty per cent for French priests !"
À 10h45, j’ai donc célébré la messe avec Terence à l’autel latin de la grotte de la Nativité. Je n’en revenais pas d’avoir trouvé un créneau libre, à l’heure que je voulais, le jour que je voulais et à cet endroit. En plus, on dispose de trois quarts d’heure pour célébrer la messe, ce qui est amplement suffisant pour célébrer dignement (la demi-heure du Saint-Sépulcre est un brin stressante). Nous pouvons aussi chanter, chose interdite au Saint-Sépulcre.
Ces derniers jours, j’ai parcouru une thèse de droit canonique passionnante (chose rarissime) sur le Statu Quo Nunc des Lieux saints. Comment on en est arrivé là, pourquoi… En fait, le principe est simple : à la fin du Royaume de Jérusalem, la plupart des lieux saints sont aux mains des Latins (les catholiques de rite latin : nous !), le régime mamelouk leur étant relativement favorable. En 1516, les choses changent avec l’arrivée des Turcs Ottomans. C’est aussi l’installation des Grecs orthodoxes qui évincent la chrétienté orthodoxe locale, arabe. Petit à petit, les Grecs élèvent des prétentions à la propriété des Lieux saints. La faveur des Turcs va aux Orthodoxes (beaucoup sont employés dans l’administration ottomane). Petit à petit, les Orthodoxes et les Arméniens s’emparent de parties non négligeables des Lieux saints. Ainsi, jusqu’en 1808, la Tombe appartient exclusivement aux Latins. Les réclamations latines et orthodoxes sont toujours grassement payées aux Ottomans qui ont donc intérêt à laisser la situation sans solution tranchée. En 1747, il y a même des morts dans la Basilique du Saint-Sépulcre. Cent ans plus tard, l’étoile de la nativité marquant le lieu de la naissance de Jésus disparaît de Bethléem. Elle portait une inscription latine montrant les prétentions des Latins sur le lieu. Les Grecs empêchent l’installation d’une nouvelle étoile. Les Latins font appel au protecteur traditionnel des Lieux Saints, la France qui traite avec l’empire turc. Les Grecs sont soutenus par la Russie. Finalement, cela déclenchera la Guerre de Crimée (L’étoile de Bethléem n’est qu’un prétexte, la Russie voulait s’assurer un débouché sur la Méditerranée). En 1852, le Sultan turc signe un firman (un décret) qui fige les choses comme elles le sont (Statu Quo Nunc en latin). En 1856, la Russie capitule mais les Alliés (Turcs, Français et Anglais) ne s’entendent pas sur les lieux saints (à cause des tensions entre catholiques et anglicans) et on n’arrive pas à imposer un accord. Depuis 1852, la situation est bloquée. Les Grecs y ont intérêt puisque c’est finalement la situation la plus favorable à eux depuis 1516 ; les Arméniens trouvent qu’ils ne s’en sortent pas si mal. Le Statu Quo a été plus ou moins mis par écrit sous le mandat britannique mais avec des catégories juridiques peu claires pour un pays oriental. L’ONU l’a défendu et Israël s’en porte garant depuis 1967.
On arrive parfois à des aberrations, telles cette échelle proche de la Pierre de l'Onction qui est statutairement posée des Cendres jusqu'à la Pentecôte pour approvisionner en huile des lampes depuis longtemps électrifiées...
Ainsi à Bethléem, la grotte de la Nativité est décorée d’une tenture latine. Elle est en amiante… pour éviter que les Grecs ne la fassent brûler comme en 1869.
Malgré tout, la messe a été bien recueillie, les pèlerins passent dans la grotte mais voyant que l’on célèbre dans un coin, ils restent calmes et parlent à voix basse… Ensuite, on a prié un bon moment dans l’église paroissiale de Sainte-Catherine, bâtie grâce aux deniers de l’empereur d’Autriche François-Joseph.
Puis, balade dans la ville, on a trouvé un petit resto chrétien ouvert : kebab, coca (Sprite pour moi). On a voulu aller à la Grotte du Lait que Terence ne connaissait pas mais c’était fermé. Nous sommes rentrés à Jérusalem toujours avec la même procédure : taxi, check point, sherout. Café dans le musée de l’École Biblique. Ce lieu est fascinant, une vraie caverne d’Ali Baba. Le mot musée est usurpé puisque le lieu n’est pas ouvert à la visite mais c’est là que travaillent les archéologues de l’École : tessons par milliers, croquis d’architectes, fragments de mosaïques… Et avec les vieilles voûtes de l’abattoir turc dans lequel l’École s’est installée à ses débuts en 1890.
Aujourd’hui, commence le festival Sounding Jerusalem, organisé par l’hospice autrichien. J’ai réservé pour les concerts ayant lieu à Jérusalem.
À bientôt,
Étienne+



Addendum du 8 juin 2020

Hier soir, j'étais invité à dîner par les deux filles d'un couple de paroissiens décédés ces derniers mois (en novembre 2018 et mars 2020). Le repas avait lieu dans la maison familiale et quelques paroissiens amis nous avaient rejoints. Au cours de la sympathique discussion, je me rappelle que l'une des filles a vécu deux années à Jérusalem et que leurs parents (mes paroissiens) étaient allés la visiter, guidés dans leur périple par un des pères de l'École biblique. Elle évoque la première communion de sa fille qui a eu lieu à l'église Sainte-Anne. Je demande donc : "C'était en quelle année ?
- 2007.
- J'y étais !"
Quelle surprise!
Ni une ni deux, on va chercher l'album photo et on trouve une image de la messe. Je suis sur la photo! Le monde est petit. Nous avons donc dû pique-niquer ensemble à l'issue de la messe. Je n'ai pas souvenir d'avoir discuté avec mes futurs paroissiens qui habitaient déjà Venasque à l'époque.
Ce matin au marché, nous nous sommes revus et avons échangé les numéros de téléphone et j'ai donc reçu par WhatsApp la photo qui illustre désormais le début de l'article.

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