Cher tous,
La musique continue… Jeudi après une journée calme, j’avais rendez-vous avec quelques-uns pour aller au concert Re-discovering Treasures. Le programme indiquait que le concert avait lieu au Music Center. Nous avions repéré sur un plan de Jérusalem que cela se passait dans la vallée de la Géhenne… Arrivés là-bas, personne et surtout personne n’était au courant d’un concert… Finalement un type nous indique qu’il y a un autre Music Center près du moulin Montefiore, une petite bavante… et on arrive au pied du moulin. On demande le dit centre musical et personne ne savait… À un moment, on était à 50 mètres du centre et les habitants ignoraient : « Lo’ Yodea‛, lo’ yodea‛, ils n’ont que ce mot-là à la bouche » aurait pu dire le capitaine Haddock. Finalement on a fini par trouver mais le centre était fermé… et pour cause, il était 18h00 et le concert n’était qu’à 20h00. Du coup, on est rentré chacun chez soi en traversant ce joli quartier construit au début du 20° siècle grâce aux deniers de la famille Rotschild : petites maisons en pierre à un étage, plongées dans la verdure… C’est très cosy.
À 20h00, retour au Music Center. La salle est hyper professionnelle et l’œil aiguisé d’Agnès y retrouve le modulor du Corbusier. Nous avons entendu deux trios pour piano, violoncelle et clarinette composés par deux élèves de Brahms : Frühling et Zemlinsky. Le premier avait déjà été interprété l’autre samedi à l’Hospice autrichien. Le second était sympa surtout le dernier mouvement, espiègle et léger. Au milieu, deux duos pour flûte. Le flûtiste avait une tête de bandit sicilien mais jouait assez bien mais les morceaux s’appelaient Façades et Chaotic Harmony. Le nom suffit à vous faire comprendre que ça restait dans le genre intello-conceptuel a-mélodique….
Comme nous étions à l’ouest de Jérusalem, le public était complètement différent de ce que l’on voit d’habitude. Surtout des juifs. Je ne les ai pas trouvés très polis… Malgré les avertissements au début, trois portables ont sonné, certains parlaient à voix basse, une dame à gros talons est sortie sans se soucier de discrétion au milieu d’un mouvement… Des sauvages. C’est le problème des concerts gratuits, les gens n’essayent pas d’en avoir pour leur argent puisque de toute façon leur portefeuille restera indemne. Du coup, l’ambiance était assez dure…
Enfin…
Vendredi messe au St Sépulcre. J’avais fait signe aux Petites Sœurs de Jésus et elles m’ont invité à partager le petit déjeuner. Elles hébergent chez elles les trois Petites Sœurs de Gaza qui étaient à Jérusalem pour une rencontre régionale avec les conseillères de la communauté venues de Rome quand les troubles ont repris. Depuis près de trois semaines, elles attendent de pouvoir rentrer chez elle. On a longuement parlé de la situation humaine, sanitaire, sociale, culturelle, écologique… C’est dramatique. La plupart des gens sont au chômage et lorsqu’ils ont du travail, ils ne sont pas payés. L’eau qui déjà n’est pas potable est souvent coupée, parfois pendant plusieurs jours. Leur maison est intacte selon leurs voisins qu’elles ont pu contacter, mais on a rapporté la mise à sac d’un couvent ailleurs dans la bande de Gaza. Les Petites Sœurs étaient dans l’attente d’un papier officiel leur permettant de rentrer dans la bande de Gaza, tout en étant sûres qu’au check point on les laisse passer : il n’y a pas de transport en commun jusque là-bas et les taxis vous rançonnent.
Dans la journée, travail… En fin d’après-midi, retour à l’hospice autrichien pour le concert Echoe of the Danube. Une bonne heure de viole de gambe : je dois être une des rares personnes sur lesquelles Tous les matins du monde n’a fait aucun effet, mais là, j’ai été conquis. Le type nous présentait les œuvres, son instrument (un instrument parisien de 1699) de manière simple, pas du tout pédante. Il était vêtu d’une chemise blouse, un peu comme à l’époque. La viole de gambe est l’ancêtre du violoncelle, les dimensions sont semblables mais il y a sept cordes au lieu de quatre ; l’instrument est coincé entre les mollets du musicien et ne repose pas sur le sol ; l’archet est tenu comme une cuiller à soupe. Les violes ont été balayées sur la scène de l’histoire de la musique par les Suites pour violoncelle de Bach (entendues le jeudi précédent au Consulat général de France) qui voulait montrer tout le potentiel émotionnel de ce nouvel instrument.
Un peu de Marin Marais (un gambiste ne peut pas faire l’impasse) mais aussi d’autres compositeurs anglais ou allemands. Il a terminé par les Folies d’Espagne de Marin Marais, c’est l’éternel thème et variations autour de la Folia (Vivaldi, Scarlatti, Corelli, Rachmaninov, Jacques Berthier, Vangelis et même Patrick Lemoine) : magique !
Samedi matin, avec Agnès, Matteo et Paula, nous sommes allés dans la région de Ramallah visiter une petite communauté monastique dans le village d’Ain Arik. Sherout jusqu’à Ramallah et taxi jusqu’au village. Jusqu’en 1948, le village était entièrement chrétien et maintenant, il est dominé par un minaret de 62 mètres, le deuxième plus haut de toute la Cisjordanie. C’est une dimension non négligeable de la guerre de 1948 que le renversement démographique des chrétiens, submergés par des gens déplacés. Cependant l’ambiance est assez sereine et les relations entre l’imam et les deux curés (orthodoxe et latin) sont bonnes : il est même arrivé à l’imam de faire le ramassage des enfants pour les amener au catéchisme ! En fait, le prieur de la fraternité monastique est un vieil ami de Paula, une dame milanaise, amie de Matteo et volontaire pour quelques mois à la Custodie. Nous avons été reçus chaleureusement. Avec un des frères, nous sommes allés voir l’école catholique voisine où les moines font le caté. Puis sur la crête, admirer le paysage. Par rapport à Jérusalem, c’était d’un calme… Au loin, on voit quelques colonies israéliennes.
En repartant, on est passé à l’église orthodoxe, le curé nous a fraternellement accueillis. Marié, deux enfants, il est l’ancien maçon du village, c’est à la demande des paroissiens que le patriarche grec orthodoxe de Jérusalem l’a appelé à l’ordination. C’était surprenant de rencontrer un prêtre orthodoxe arabe puisqu’à Jérusalem, les orthodoxes que l’on voit sont des Grecs.
Sur le chemin du retour, le taxi nous a montré l’église de El Bireh. Il ne reste que des ruines de cette grande (étymologie du nom) église byzantine qui commémorait le lieu où Marie et Joseph se sont aperçus que Jésus était resté à Jérusalem. Passage du check point, pas moins de cinq tourniquets (le Manège désenchanté !) et sherout jusqu’à Jérusalem.
Samedi après-midi et dimanche, week end musical. Pas moins de cinq concerts… Samedi, à 15h00, nous étions conviés à une Bach’s cup of tea au Schmidt College, école de filles tenues par des religieuses allemandes, en face de la Porte de Damas. Cela avait lieu dans la Kaisersaal, la salle de l’Empereur ; elle tire son nom de l’immense portrait de Guillaume II qui orne le mur (les chaises sont aussi au chiffre de l’empereur). En sirotant une tasse de thé à la menthe, nous avons entendu une des Suites pour violoncelle de Bach, une partita pour violon solo du même et un soloo pour clarinette de Jörg Widmann (né en 1973), une pièce de virtuosité qui exige du soliste de faire sortir des sons peu habituels. Après le concert, re-cup of tea mais, en prime, nous sommes montés sur la terrasse : panorama sur la Porte de Damas et la Vieille Ville. *** !
Mais ça n’était pas fini. À 18h00, dans le cloître de l’église du Rédempteur (ancien couvent des Chevaliers de Malte), nous avons été Kissed by the Muse. Le cadre est fascinant et la musique dont il était l’écrin tout à fait de circonstance. Cinq artistes nous ont régalés. Le gambiste allemand de la veille qui s’est révélé un violiste accompli (viole de la taille d’un violon mais tenue comme un violoncelle) ; un percussionniste né en Turquie aux mains délicates ; un oudiste (une sorte de luth oriental) d’origine irakienne ; un israélien jouant du luth et du théorbe (imaginez un luth dont le manche se prolonge d’un bon mètre pour tendre une seconde volée de cordes) et enfin une jeune soprano allemande aveugle. Tout ce beau monde a interprété des pièces des 15°-17° siècles, issues de la tradition juive séfarade, musulmane et chrétienne. Peu de choses à dire sinon que c’était merveilleux, la voix de la cantatrice se prêtait à merveille à ces styles divers. Sa prestance majestueuse impressionnait, tempérée par l’hésitation de l’aveugle qui ne sait pas d’où viendra l’obstacle. Elle suivait avec les doigts sa partition transcrite en braille. Il y avait une berceuse de Tarquinio Merula où Marie berce l’enfant Jésus en s’attristant par avance des souffrances qu’il devra subir ; à la fin, elle réalise que c’est ainsi que se jouera la Rédemption et sa joie éclot. Très émouvant.
Je crois que c’est un des plus beaux concerts du Festival et ce n’est pas peu dire. Le cadre, l’originalité du thème, la qualité des interprètes et l’émotion qu’ils transmettaient, tout a contribué à faire de ce concert une réussite. J’avais emporté mon appareil photo et j’ai mitraillé, même sans flash.
Dimanche, journée à l’Hospice Autrichien, au cœur de la Vieille Ville pour la journée Sounding Hospice. Pour ceux qui connaissent cela se situe en face de la troisième station de la Via Dolorosa. À 10h00, messe en allemand dans la petite chapelle dédiée à la Ste Famille. La chapelle est richement décorée par les blasons de toutes les altesses royales et impériales qui ont honoré de leur visite l’Hospice. Celui de François-Joseph est énorme.
À l’issue de la messe, il y avait Paradise Brunch dans le jardin de l’hospice. À l’ombre des arbres, entourées de géraniums colorés, on avait disposé des tables et des chaises. Pour agrémenter l’atmosphère cinq musiciens : un batteur, un contrebassiste, un accordéoniste (l’improvisateur de l’autre samedi), un gars qui jouait du saxo, de la flûte… et une jeune femme qui jouait de l’oud. Ambiance sympa avec des improvisations sur des thèmes de musique arabe. À table, j’étais avec le prieur des Dominicains, Agnès, Matteo, Jacqueline la femme de l’ambassadeur d’Autriche (elle est française) et son mari. Le clarinettiste autrichien est venu nous rejoindre, on a pas mal parlé de son travail, de ses choix musicaux… La discussion était passionnante… En plus, le buffet était excellent : délices autrichiennes et spécialités orientales s'alliaient.
En plus, la canicule des jours précédents avait enfin laissé la place à une douce brise et à des températures plus clémentes. On respirait. Après le brunch, sieste reconstituante (s’il est une chose que j’ai appris à l’armée, c’est qu’il est fatiguant de ne rien faire…).
L’après-midi, ce fut Piano Time – Kaffee und Kuchen, dans le salon de musique de l’Hospice. Deux pianistes, un italien et une polonaise ont interprété du Scarlatti, du Chopin et du Chostakovitch. Romantique et passionné. À l’entracte, j’en ai eu marre de rester réservé (ces concerts sont sympas mais il faut supporter la molle foule autour des buffets) et je me suis précipité sur le buffet des gâteaux pour goûter le fameux Apfelstrudel de l’Hospice. Il correspond à la réputation de la maison.
Enfin à 19h00, Expressing the Presence autour de la musique contemporaine. Tout d’abord, 12Spiel : un dé à douze faces est lancé et le pianiste joue la musique qui apparaît sur la face supérieure : la partition est donc pentagonale. L’intérêt de l’œuvre réside dans cet artifice interactif. Un solo de clarinette… Portraits d’après un bouquin d’Elias Canetti ; ce sont 8 petits duos pour violoncelle et piano. La musique est assez dissonante mais le violoncelle va chercher de drôles de sons : glissando, pizzicatti violents… Enfin, un quatuor de jeunes Suisses a interprété une pièce pour cordes d’un compositeur suisse. Par rapport à ce qui précédait, c’était très “évident comme musique”. Je me suis couché pas trop tard.
Mais à 2h00 du matin, impossible de fermer l’œil, aussi à 6h00, difficile de l’ouvrir.
À bientôt,
Étienne+
PS : je mettrais les photos demain matin, car l'après-midi, c'est impossible...