jeudi 22 février 2007

Targum, piscines et toujours du byzantin

Chers tous,
Jeudi soir, et la semaine a déjà été bien remplie... Lundi, le lever a été un peu difficile. Woody Allen, c'est drôle mais comme nous avions commencé tard, nous avons fini non moins tard. Deux heures d'araméen avec le Père Puech. Il est très sympa, a toujours quelque chose à raconter à table. Il faut dire que c'est l'un des plus grands spécialistes d'araméen et surtout des manuscrits de la Mer Morte. En araméen biblique, nous traduisons Daniel chapitre 6, la fameuse histoire de Daniel dans la fosse aux lions". L'heure suivante, en araméen targumique, nous traduisons le Targum Néofiti de la Genèse (chapitre 2 et 3). Petite note sur le Targum : il s'agit d'une traduction-commentaire de la Bible hébraïque en araméen, datant peut-être des premiers siècles de notre ère (2° au 8°). Je dis "peut-être" car les spécialistes s'étripent pour dater ces textes.
Le Targum Néofiti est conservé à la Bibliothèque du Vatican, il y est entré en 1896 avec un lot de manuscrits provenant de la Domus Catechumenorum (Casa dei Neofiti en italien), c'est-à-dire la maison où résidaient les Juifs romains qui désiraient recevoir le baptême. Comme le manuscrit a été mal catalogué, on ne s'est aperçu que dans les années 50 que c'était un texte inconnu jusqu'alors.
Mardi, premier cours sur la Passion selon Saint Matthieu. Le prof est un jeune dominicain de Toulouse qui participe au nouveau projet de l'Ecole Biblique, "La Bible en ses traditions". C'est un peu pour renouveler le travail fait avec la Bible de Jérusalem, qui, dans les années 50 quand elle a été publiée, représentait une petite révolution : c'était la première traduction en langue moderne de la Bible avec des notes et introductions qui faisaient place aux données de l'exégèse moderne. Là, il s'agit de montrer ce que la Bible a engendré en terme de théologie, d'art, de liturgie, tout en gardant les notes sur le contexte historique, la rhétorique, la philologie... Bref, le projet représente un travail colossal qui va occuper l'Ecole et les spécialistes pendant plusieurs dizaines d'années. Nous allons avoir donc un cours qui voudrait étudier la Passion selon saint Matthieu, selon cette méthode. Cela a l'air passionnant ; je vous tiendrai au courant des résultats de nos travaux.
L'après-midi, nous avions notre traditionnelle promenade archélogique. J'ai vu dans le réfectoire de l'Ecole le programme des cours de l'année académique 1907-1908 : déjà, il y avait la "balade archéologique" le mardi soir. C'est donc une tradition de l'Ecole. Cette fois-ci, nous avons exploré la partie situé dans la Vieille Ville au nord du Mont du Temple. Nous avons commencé par le domaine des Pères Blancs, la jolie église Sainte-Anne. L'église date de l'époque des croisés ; après la reconquête par Saladin, elle fut transformée en école coranique, ce que rappelle une inscription en caractères coufiques sur le tympan de l'église. En 1856, le sultan a donné le domaine à la France qui l'a confié aux Pères Blancs du cardinal Lavigerie. Le sanctuaire a été bien restauré, l'acoustique est excellente.
A deux pas de là, il y a un amas de vestiges anciens assez peu lisibles au premier abord. Plusieurs époques se superposent. Il y a d'abord deux immenses bassins de 13 mètres de profondeur. A l'origine, ils mesuraient une quarantaine de mètres de large mais aujourd'hui on ne voit qu'une toute petite partie. Les deux bassins sont séparés par un mur de 6 mètres de large. Les deux bassins sont deux immenses réserves d'eau destinée à être utilisée au Temple tout proche. Les sacrifices nécessitaient des animaux purs et propres, ce que montrent les petits bassins (au premier plan de la photo). Il fallait aussi de l'eau pour nettoyer le Temple (imaginez le nombre d'animaux sacrifiés et la quantité de sang versé...). Sir 50,1-4 fait certainement référence à ces piscines. A l'époque romaine, il y avait un culte à Asclépios, le dieu grec de la médecine. Ce lieu est un lieu évangélique : en Jn, 5 Jésus y guérit un paralytique, la porte de la ville voisine est bien la porte probatique (des brebis : probata en grec) et le vallon au fond duquel sont creusés les bassins s'appelle bien Bethesda (vallon en hébreu).
A l'époque byzantine (encore elle ! décidément, on doit toujours passer par là !), on a bâti une église à cheval sur la digue. Pour soutenir la nef de l'église, on a élevé des arches (la flèche rouge). Le choeur de l'église se trouve construit sur les bassins antiques de lavage des animaux, on voit quelques colonnes (les trois points bleus). Au sol, quelques vestiges de mosaïques permettent de dater l'édifice d'avant 427, année au cours de laquelle l'empereur Théodose interdit que l'on représentât la croix au sol afin de ne pas la fouler aux pieds. L'église était dédiée à Sainte-Marie, rappelant la tradition qui fait naître Marie à Jérusalem, dans la maison d'Anne et Joachim, à proximité du Temple.
Ensuite, tout cela fut détruit... A l'époque croisée, on a édifié l'église Sainte-Anne dont je vous ai parlé et un petit moustier, bâti sur la digue des bassins maintenant comblés. C'est le mur avec la fenêtre que l'on voit à droite de la photo.
En sortant du domaine des Pères Blancs, nous avons suivi la Via Dolorosa. Sur le sol, quelques dalles romaines remontées de trois mètres et le mur est celui de la forteresse Antonia, forteresse romaine adossée au Temple. C'est l'occasion de constater l'orthographe parfois fantaisiste dans ce pays...
Au couvent de la flagellation, nous voyons quelques petits vestiges, notamment des jeux romains sur le sol de l'église (datant de l'empereur Hadrien, 135 ap. J.-C.), des chapitaux byzantins de la basilique du Saint-Sépulcre.
Un peu plus loin, nous voyons l'Arc de l'Ecce Homo, c'est là que la tradition place la parole de Pilate (Jn 19,5 : à vrai dire, les exégètes se disputent pour savoir si c'est Pilate ou Jésus qui parle). En fait, cet arche est la partie visible de la porte triomphale de la ville construite sous Hadrien, cent ans après la crucifixion. En fait, le chemin de croix traditionnel ne semble pas être le bon ; c'est une raison pratique liée à la liturgie qui a imposé ce parcours : on passait à l'époque la nuit à Gethsémani et on rejoignait ensuite le Saint-Sépulcre le vendredi matin en faisant mémoire du procès de Jésus et de ses souffrances. Les spécialistes préfèrent situer la condamnation de Jésus à la citadelle, près de la Porte de Jaffa. Près de l'Arc de l'Ecce Homo, donc, nous visitons le couvent des Dames de Sion. Là, nous voyons le fameux lithostrotos, le Dallage (Jn 19,13). Là, on voit des jeux gravés dans le sol, une sorte de morpion ou de backgammon et les spécialistes ont reconnu le "jeu du roi", pratiqué à l’époque des saturnales, le jeu du roi consistait à tirer au sort parmi les condamnés un roi de carnaval. A la fin de son règne éphémère, ce prisonnier était exécuté. La correspondance entre les dalles gravées et le récit de Saint Jean fait honorer ici la flagellation et la scène de dérision que rapporte l’évangéliste. Même si le dallage lui-même est plus récent, il est vrai que le rapprochement est troublant... J'ai essayé de prendre une photo mais l'éclairage ne permet pas de faire ressortir les contrastes, tant pis...
Sous le couvent, en revanche, la citerne du Strouthion (c'est-à-dire du Moineau) fait partie de cet ensemble de bassins qui servaient pour le Temple de Jérusalem.
Nous avons continué notre parcours vers la Quatrième Station du Chemin de Croix. Sous l'édifice des arméniens catholiques, il y avait des thermes romains. Belle installation de chauffage par le sol et des mosaïques bien conservées (ou trop restaurées...). Dans un coin, est représentée une paire de sandales ! C'est du 36 !
La visite s'est terminée par la terrasse de l'hospice autrichien d'où la vue sur la Ville est splendide.
Hier, mercredi des Cendres, nous avons célébré cela à la messe de midi : ici les messes sont souvent rapides... J'ai aussi bossé un bon moment mes cours d'araméen. J'ai aussi potassé un bouquin du Père Lagrange sur la Basilique de Saint-Étienne à Jérusalem. J'ai réalisé que le sous-sol du couvent et du jardin est un vrai gruyère : citernes, tombeaux... Il y a des restes de la Basilique construite par Eudoxie en 460 (sur laquelle est construite la Basilique actuelle) et de l'église des croisés qu'ils ont détruite afin qu'elle ne tombe pas aux mains des musulmans. Sur la photo, vous voyez la statue de saint Étienne qui se trouve dans l'atrium de la Basilique. Elle a été sculptée en 2005 par un frère de Beth-Semesh (la branche masculine de celles qui sont à Mougères) et a remplacé la statue de saint Étienne de 1900 qui fut décapitée en 1948, lors des affrontements israélo-arabes (le no man's land de l'époque se trouve à 50 mètres). Le dallage irrégulier est celui de l'atrium byzantin. Sous les arcades, on voit des plaques en métal, c'est l'entrée de tombeaux anciens. J'ai pris la photo depuis le toit du bâtiment de l’École. En regardant de l'autre côté... on voit deux coupoles. C'est le Saint-Sépulcre.
Ce matin, je me brossais les dents lorsque le téléphone a sonné. C'était le Père William Marie, de Nîmes, avec lequel j'ai enregistré le CD sur le Père Marie-Eugène à Noël. Il était à Jérusalem avec une douzaine de Nîmois. Rendez-vous fut pris. Je les ai retrouvés à Sainte-Anne. De là, nous sommes montés (en bus) au Mont des Oliviers. Nous avons visité le Carmel du Pater et on a prié dans la grotte. (Vous allez croire que je fais une fixation mais il y a les vestiges d'une basilique byzantine...) Puis descente au Dominus Flevit, avec son panorama splendide. Là, nous avons célébré la messe et William Marie m'a demandé de présider. Trop content ! Le seul problème de présider une messe au Dominus Flevit, c'est qu'on tourne le dos à la fenêtre et à la vue. Puis temps de prière dans un joli jardin œcuménique planté par le fils du Pasteur Boegner (observateur protestant à Vatican II) en souvenir de la rencontre en son père et Paul VI en janvier 64 pendant le voyage pontifical en Terre Sainte. C'est sympa, calme, on prie bien. Descente à Gethsémani, prière à la Basilique des Nations sur le lieu où Jésus a prié avant son arrestation. Ensuite, avec notre petit groupe, nous avons descendu le Cédron (passage devant les tombeaux anciens que Jésus a connus) jusqu'à la piscine de Siloé. Et pas n'importe quelle piscine de Siloé, la vraie ! Pas celle qu'on voyait jusqu'à l'année dernière qui date de l'époque byzantine (...) mais la piscine antique qui se trouve 30 mètres en contrebas. Cliquez sur le lien Cité de David (à droite sous ma photo) et cherchez la piscine de Siloé sur la photo de Jérusalem (le point jaune le plus à gauche). Sur la loupe qui apparaît, l'ancienne piscine est le petit bâtiment au dessus, on devine un minaret. La vraie piscine, du temps de Jésus, est a droite, sous le rocher. Nous sommes remontés et j'ai partagé le repas avec le groupe à l'hôtel Gloria (bien connu des parents).
Puis j'ai vite filé puisque j'avais une rencontre pour préparer notre excursion dans le désert du Néguev (du Sud) la semaine prochaine. Dans l'après-midi, j'ai failli devenir parano... Mes clefs n'ouvraient plus aucune des portes d'accès à la maison... En fait, les serrures avaient été changées. Du coup, je suis resté dans la Bibliothèque pour ne pas rester enfermé dehors. Finalement le père économe est passé et a donné les nouvelles clés. Ouf !
A bientôt,
Bon Carême,
Étienne+

1 commentaire:

Odile & José a dit…

Très bonne idée que ce blog pour suivre tes pérégrinations doublées d'un remarquable commentaire ( mais si ! mais si ! ta modestie dut-elle en souffrir )

pour revoir quelques photos de tes ordinations et autres évènements familiaux notre site privé est à l'adresse :
http://perso.orange.fr/jose.nussy/famille.html

affectueusement

Odile et José