mardi 16 avril 2019

stabat iuxta crucem Iesu mater eius (Jn 19,25)


Εἱστήκεισαν δὲ παρὰ τῷ σταυρῷ τοῦ Ἰησοῦ ἡ μήτηρ αὐτοῦ
Eistèkeisan de para tôi staurôi tou Ièsous hè mètèr autou

Chers amis,
Mon dernier billet remonte à deux jours à peine mais la tragédie d’hier. La joie des Rameaux a été vite obscurcie.
Je ne croyais pas avoir à remettre le libellé #PrayForParis, déjà utilisé en novembre 2015 après les attentats du Bataclan. Certes, le drame d'hier n'est pas, pour ce qu'on en sait, d'origine terroriste mais nous sommes tous touchés, bouleversés, anéantis, comme nous l'étions en 2015... Peut-être même plus.
Hier lundi, la journée s’est déroulée sans rien de particulier. Messe à l’Ecce Homo, comme un lundi matin. Et une bonne journée de travail.
Après dîner, nous avons allumé la télévision pour regarder les nouvelles. Habituellement nous regardons Euronews mais leur nouvelle grille de programmation est illisible avec le bulletin de 20h23, la pub pour Incredible India et l’Écossais incompréhensible. En plus, les derniers rebondissements du Brexit les font flipper et ça devient insupportable.
Donc Frère Rafael a mis sur la télé espagnole qui mettait en valeur les pasos et processions de la semaine sainte (ces grands chars avec des scènes de la Passion portés par des pénitents encagoulés à travers les rues). Il y avait une petite pastille en bas à droite, assez illisible à cause de la mauvaise réception satellite qui disait : « Notre-Dame de Paris, direct ». J’ai eu un mauvais pressentiment mais sans plus. Je suis allé régler des affaires dans ma chambre mais avec une très mauvaise connexion Internet, je ne suis donc pas allé voir…
En retournant au salon à 21 h 10, j’ai découvert effaré les images sur CNN. Je n’en croyais pas mes yeux ! Mon téléphone, sur silencieux, avait reçu des tas de messages sur le WhatsApp de mes frères et sœurs et sur celui avec mon amie Marie des Neiges. Elle habite chez ses parents sur l’Île Saint-Louis et la terrasse de l’appartement donne sur le chevet de Notre-Dame.
À 21 h 30, nous sommes passés sur TV5Monde qui diffuse en différé le 20 h de France 2. Là nous avions plus d’infos et d’images. Quelle horreur ! Quelle tristesse !
Sur les réseaux sociaux, infos diverses, nouvelles plus ou moins vérifiées. Le sort de la sainte couronne a fait l’objet de nouvelles contradictoires. Et toujours, les flammes qui semblaient ne jamais s’arrêter.
En allant pleurer un bon coup dans ma chambre, une amie de Jérusalem m’a téléphoné, nous sommes restés un bon moment à parler, échanger : « Comment veux-tu que nous arrivions à dormir dans ces conditions ! ». Pourtant, à travers la sidération, j’ai été impressionné par l’attitude des gens : le silence, les larmes mais surtout la prière dans la rue. Cet événement pourrait-il susciter un sursaut ?
Le P. Guillaume de Menthière, qui a prêché les Conférences de Carême cette année – la dernière pas plus tard que la veille du sinistre – a écrit (bien mieux que je ne saurais le faire) :
Nuit de feu
Cette nuit n’était pas faite pour dormir. 
À la vue de Notre-Dame en flammes, l’émotion était trop forte, la tristesse trop intense, la prière trop nécessaire. Et dire que j’étais encore la veille prêchant sous ces voûtes millénaires où je fus ordonné il y a bientôt trente ans ! Je ne puis vous exprimer la peine qui me gagne à la pensée de cet écrin de tant de nos souvenirs heureux disparu en fumée…
Vous avouerais-je pourtant qu’à la consternation a très vite fait place en moi une sorte de reconnaissance subjuguée ? Des propos que j’avais toujours désiré entendre ont semblé jaillir comme par miracle de ce funeste événement. Au cours de ces heures angoissées, il m’a semblé, en effet, sentir le vieux coq Gaulois se réveiller de sa torpeur.
Que de magnifiques paroles unanimes les médias n’ont-ils pas relayées de manière persistante et ininterrompue ! De la part de touristes, de badauds, de journalistes, d’hommes politiques, d’ecclésiastiques, d’esthètes, de pompiers,… Des gens de tous âges, de toutes conditions, de toutes origines et de toutes croyances… Une mystérieuse communion semblait régner enfin sur ce peuple de France dont les mois écoulés avaient si tristement montré au monde le morcellement et les fractures. Cette unité qu’un message présidentiel, prévu le même soir, n’aurait probablement pas réussi à renouer, Notre-Dame, la Vierge Sainte, l’accomplissait sous nos yeux éberlués. Et si c’était encore une fois l’intervention surnaturelle de la Mère de Dieu qui redonnait à notre cher et vieux pays l’élan de l’espérance ?
Bien sûr restent l’infinie douleur de voir ces ruines désolées, l’irréparable perte de tant d’œuvres d’art, et l’abattement devant la tâche colossale de la reconstruction. Pourtant en cette Semaine Sainte qui débouche sur la victoire de Pâques, les chrétiens aiment à se redire que de tout mal, Dieu peut faire sortir un bien. De quel relèvement ce désastre est-il la promesse et l’amorce ? Ces pierres dont le Seigneur nous disaient hier encore qu’elles crieraient, ne les entendons-nous pas, encore fumantes, appeler au sursaut et à la foi ?
Père Guillaume de Menthière+
Je ne me voyais pas aller dormir, je suis donc retourné devant la télé où le JT de France 2 s’était prolongé puis ils ont montré le Soir 3, et l’allocution de Mgr Aupetit et du Président (je suis pas macroniste pour deux sous, mais ses paroles étaient à la hauteur du drame).
Finalement, vers 2 h du matin, je suis allé me coucher et ai fini par m’endormir d’un sommeil mauvais.
J’ai tout de même passé la journée à la Bibliothèque et j’ai pas mal regardé sur Internet, twitter, etc, l’évolution de la situation, les photos, les déclarations, les promesses de dons. Un mot revient souvent : ÂME. Comment ce bâtiment de pierre, de plomb et de verre EST-IL une âme ? C'est qu'on ne l'a pas construit pour qu'il soit beau ; on ne l'a pas construit pour qu'il soit grand mais on l'a construit pour que l'homme sache qu'il y rencontre Dieu sous le regard maternel de Notre-Dame. Et c'est pour ça qu'on l'a construit grand et beau, à cause de la grandeur et de la beauté de Dieu.
C’est simple, j’ai pleuré toute la journée… Paradoxalement, j’étais en forme pour l’étude et j’ai rédigé trois bonnes pages assez serrées.
En sortant de la bibliothèque, j’ai croisé Anthony, mon directeur de thèse. Il revenait des États-Unis.
Parmi les décombres, au milieu des volutes de fumée, au fond de la nef détrempée, la Vierge de Claudel, la Pietà de Louis XIII sont là, debout. Quel signe ! Comment ne pas y voir un miracle !
Ce soir, j’ai présidé la messe à la chapelle des Frères. J’étais on the edge.
Sinon, je voudrais vous laisser avec les paroles du P. Cédric Burgun sur le plateau de France 2 hier soir. Il a dit quelque chose de très fort et je vous le retranscris :

Je pense que nous avons quelque peu anticipé le Vendredi saint où nous faisons mémoire de la mort du Christ, dans cette journée terrible où le corps du Christ est martyrisé jusqu'à la Croix. Quelque part nous l'avons déjà vécu ce soir avec ce bâtiment qui symbolise le Corps du Christ et sa présence au cœur de la communauté croyante, qui a été martyrisé et lacéré par les flammes. Quelque part, les chrétiens sont entrés dans la journée du Vendredi saint avec quelques jours d'avance. Mais il ne faut pas oublier qu'à chaque fois que la communauté des chrétiens vit un drame, que ce soit un martyre ou plus encore, il y a cette espérance qui anime le cœur des croyants. Nous célébrerons Pâques dimanche matin avec sans doute une foi plus ferme encore, une espérance chevillée au corps même s'il y aura encore la trace de ces blessures.

Au moment où il disait cela, on ne savait rien des dégâts, de ce qui avait pu être sauvé.
À bientôt, bonne semaine sainte,
Étienne+

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Merci pour ces beaux mots, j'ai moi aussi été très touchée par les mots du Pere Burgun, et dans ces cendres et cette tristesse, j'ai rendu grâce pour ce don de l'espérance. Quelle chance de croire! Madeleine (amie de Guilhemette ).