samedi 11 novembre 2017

Ecce Homo (Jn 19,5)

ἰδοὺ ὁ ἄνθρωπος
idou ho anthôpos 


Chers amis,
Depuis lundi, le rythme a repris. Et franchement, je me suis surpris à voir que la machine n’était pas enrayée. C’est un rythme un peu parisien : “métro-boulot-dodo”, sauf que je ne prends pas le métro (pas la peine). Arrivé à l’ouverture de la bibliothèque, la première personne que je croise dans le vestibule, c’est Anthony, mon directeur de recherche… S’il y a des signes, en voilà un…
Une fois entré dans la bibliothèque, ma première tâche, lundi, a consisté à trouver un poste de travail. Il faut à tout prix que je sois au sous-sol (la température en haut est irrespirable, même si je vois les autres utilisateurs de la bibliothèque qui sont couverts de châles, d’écharpes et de pulls épais : mais comment font-ils ?) Par bonheur, je trouve le poste 206 (comme ma bagnole, c’est facile !). Une heure après mon installation, je vois arriver un étudiant… C’est Yvon, un ancien du Studium qui fait un semestre à Jérusalem… Cette première matinée est aussi consacrée à la reconstitution du fond de livres dont je suis supposé avoir besoin pendant mon séjour, commentaires bibliques et monographies diverses… Une fois cette besogne accomplie, je retrouve le travail.
Rien de particulier dans mon boulot.
Les journées se suivent et se ressemblent… À part quelques têtes connues, les usagers de la bibliothèques sont tous des inconnus… Les étudiants ne passent souvent qu’une année à l’École.
Jeudi soir, un petit extra : le P. Dominique-Marie, celui qui faisait les visites archéologiques il y a deux ans nous a présenté quelques résultats de sa thèse en archéologie. Il s’intéresse à l’urbanisme du nord-est de Jérusalem, ce qui correspond en gros au quartier musulman de la Vieille Ville. Cette zone n’a pratiquement pas été fouillée depuis la création de l’État d’Israël (quartier sensible…) et pourtant, la pratique archéologique a beaucoup évolué depuis 70 ans… Le P. Dominique-Marie avait déjà fait une conférence passionnante il y a un an et demi.
L'arc de l'Ecce Homo
Jeudi, il s’est focalisé sur l’arc de l’Ecce Homo. Le consensus actuel y voit un arc triomphal construit par l’empereur Hadrien aux alentours de 135, lorsque ce dernier reconstruisit complètement la ville en lui donnant son nom Ælia Capitolina.
Il y a une quarantaine d’années, un article de la Revue Biblique remet en cause ce consensus. Le P. Dominique-Marie a repris à nouveau frais ce dossier en cherchant comment l’arc pouvait s’intégrer à l’urbanisme de ce quartier à l’époque où il fut construit. Bref, c’est très technique mais en gros, sur des critères stylistiques, l’arc pourrait ne pas dater de 135 ap. J.-C. mais de la fin du règne d’Hérode le Grand, soit 150 ans plus tôt !
Tout cela était passionnant jusqu’au moment où le vidéoprojecteur a rendu l’âme… Un peu dommage car les détails commençaient à devenir techniques…
Je ne m’en suis pas trop fait car je savais que le lendemain, conformément à mon habitude, j’irais célébrer la messe à l’Ecce Homo
Bref, pour moi, qui ne suis pas archéologue, ça me semble tenir la route.
Après la conférence, je retrouve des amis qui habitent Bethléem et nous allons manger à la taverne arménienne. Le resto est situé au sous-sol dans une salle voûtée. Et nous avons bien ri. En nous rendant au restaurant nous avons assisté, Porte de Jaffa, à une scène improbable de “drague juive orthodoxe”. Le jeune homme était « tout habillé des sabbats » avec un splendide schtreimel à la fourrure bien lissée, les poils étaient tout dressés vers le haut ! Et la jeune femme, elle aussi, à la mise soignée, les cheveux pris dans un voile. On sentait qu’il tentait une approche en douceur mais ne savait pas comment s’y prendre. La jeune fille semblait hésiter sur l’attitude à adopter. La scène était drôle et touchante : drôle parce que la situation ne correspondait pas à ce qu’on imagine sur les juifs orthodoxes et touchante parce qu’il y avait beaucoup de délicatesse dans les gestes et les attitudes. Ça change des # à la mode…
Vendredi matin, bibliothèque… Je me suis plongé dans les béatitudes que l’on trouve dans le Talmud… Enfin, il faut déjà les trouver.
Le Talmud est sans doute le texte central du judaïsme rabbinique, presque même plus que la Bible hébraïque. Il s’agit d’une tentative de mise par écrit de la Tora (loi) orale (par opposition à la Tora écrite, que les chrétiens appellent souvent Pentateuque = Genèse, Exode, Lévitique, Nombres et Deutéronome). Le Talmud interprète la Tora à travers des chaînes d’interprétation faites par des rabbins et compilées au fil du temps pour donner le texte actuel, fixé entre le ive et le viie siècle de notre ère. Le Talmud – dont le nom signifie “étude” – compte près de 6 000 pages, d’un mélange d’hébreu et d’araméen (évidemment sans voyelles !)… C’est un monde, un univers à l’organisation déroutante, d’une logique qui nous échappe, mais qui témoigne de ce que les sages juifs disaient (peut-être !) à l’époque de Jésus et qui parfois se rapproche de ce qu’il disait. Par exemple, un sage dit à un moment : « Heureux mes yeux car ils ont vu » et Jésus dit quelque chose de semblable en Lc 10,23 « Heureux les yeux qui voient ce que vous voyez ! » Pour compliquer le tout, la littérature en français est quasiment inexistante… Heureusement Google peut aider à y voir clair dans la traduction, mais pas toujours... Cet après-midi, une expression a été rendue par « dans le kangourou », je me suis dit que peut-être, je devais me méfier et ne pas prendre pour argent comptant tout ce qui sort de l’ordi… Enfin, j’ai passé la journée en compagnie de rabbi Aqiba, rabbi Yose, rabbi Yohanan, et les autres.
La basilique de l'Ecce Homo
À midi, donc, je suis allé à l’Ecce Homo. Je suis parti un peu en avance pour regarder les différents éléments que le P. Dominique-Marie avait mis en évidence la veille. Un bloc sculpté dans le vestibule de la basilique, une niche qui apparaît sous l’arc en lumière rasante, une niche derrière l’ascenseur, une corniche excentrée qui est en fait au centre…
Le soir, pizza chez AzZhara. Soirée sympa (encore une) avec les amis de Jérusalem. Le resto AzZahra est très fréquentée le vendredi soir, et surtout par les volontaires italiens de la Custodie. Évidemment, c’est censé être la meilleure pizza du Moyen-Orient.
À bientôt,     
Étienne+

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