mardi 1 mai 2007

Pâque samaritaine

Chers tous,
L'après-midi d'hier a été assez exceptionnelle. Les étudiants avaient organisé une excursion à Naplouse pour assister à la Pâque samaritaine. Nous avions rendez-vous à 15h00 pour monter dans le bus que nous avions réservé. Nous formions un convoi avec quatre voitures bourrées de diplomates guidées par un des dominicains. Comme Naplouse se situe en territoire palestinien, il faut traverser plusieurs checkpoints et selon l'état de paranoïa des soldats israéliens, ils vous laissent passer ou non... Les diplomates aident bien mais là, les soldats devaient avoir pris quelque chose de relaxant car nous n'avons eu aucun problème...
Les paysages de Samarie sont fascinants ; la route suivait la crête : vallée, villages, champs, oliveraies... Vers 16h30, nous sommes arrivés à Kiryat Luza, sur les pentes du Mont Garizim. Le lieu est le centre cultuel exclusif des Samaritains, ce qui les oblige à vivre dans la région. On voit cela dans l'évangile de Jean au chapitre 4 lorsque la Samaritaine demande à Jésus où il faut adorer le Seigneur. Voilà notre groupe d'étudiants et de diplomates suivant le Père Marcel qui a fait un petit speech sur les Samaritains. Cela m'a permis d'en savoir un peu plus et de préciser ce que j'ai dit hier : en fait, il faut remonter au moment où le royaume de David et Salomon est divisé en 931 avant Jésus-Christ. Au nord, le royaume d'Israël avec Samarie pour capitale et au sud, Juda avec Jérusalem. En 722, le royaume du nord est démantelé par Salmanasar V et une partie de sa population déportée par Sargon II, vraisemblablement les élites. En retour, les Assyriens y implantent des populations étrangères exilées de leur propre pays. Mais le peuple continue à pratiquer la religion des Hébreux.
En 587, Jérusalem tombe sous les coups de Nabuchodonosor de Babylone qui exile les Judéens pour une cinquantaine d'années. En 538, de retour d'exil, les Judéens reconstruisent Jérusalem et le Temple (le fameux Second Temple restauré et agrandi par Hérode le Grand). Et lorsque les habitants de la Samarie proposent leur aide, les Judéens refusent en les déclarant hérétiques et non-Juifs puisqu'ils se sont mélangés aux populations païennes. De plus, chez les Judéens, on veut une pureté ethnique pour assurer la pureté de la foi. Les Judéens doivent répudier leurs femmes étrangères ou bien s'exiler... Un des grands-prêtres, Manassé, mari d'une Samaritaine, arrive donc à Samarie et on finit par lui construire un Temple, en tous points semblable à celui de Jérusalem. D'où l'intérêt des archéologues israéliens à fouiller ce site pour savoir à quoi ressemblait celui de Jérusalem sans avoir à fouiller dans un lieu sensible...
Ce temple samaritain est détruit en 108 avant Jésus Christ par les Juifs de Jérusalem mais le culte a perduré... malgré les invasions, les conversions forcées... Aujourd'hui, les Samaritains sont environ 700, une moitié à Kiryat Luza et une moitié à Holon, près de Tel Aviv. L'endogamie est assez importante avec ce que cela implique au niveau génétique.
Ensuite, nous avons pu nous approcher du sommet du Garizim, qui était fermé, à cause de la grande affluence... Mais en passant sous les barrières, j'ai pu monter au sommet et voir les vestiges du temple et ceux de l'église byzantine construite au sommet pour empêcher les Samaritains de rebâtir leur temple. Comme j'avais déguerpi vite, j'ai pu passer sans être bloqué par le service d'ordre... Du coup, je me suis retrouvé tout seul à cet endroit et j'ai été le seul à y accéder... Donc le seul à pouvoir y prendre des photos... La photo qui suit est unique... Cliquez dessus pour agrandir.

Puis un type est arrivé et, courtoisement mais fermement, m'a viré.
Ensuite, j'ai rejoint mon groupe et nous sommes descendus vers le lieu de la cérémonie. Les non Samaritains sont confinés dans des tribunes derrières des grilles. Voyez qu'on est plutôt serré, vous voyez là, quelques étudiants de l'Ecole. Mon appareil photo faisait la mise au point sur la grille... Du coup, j'ai cherché à bouger...

J'ai pris quelques photos à l'intérieur de l'enceinte avant que le commun ne soit évacué. Mais cela m'a permis de trouver un lieu sympa pour assister à l'ensemble : le toit d'un garage. Vue imprenable sur tout le site. Je me suis collé contre la grille et je n'ai pas bougé d'un pouce. La position n'était pas particulièrement confortable : accroupi et avec une coréenne qui pesait de tout son poids sur mes omoplates (pas épaisse mais presque deux heures) pour me faire bouger, mais son entêtement n'a pas eu raison de ma ténacité. Elle n'a pas eu ce qu'elle voulait.
Voici comment la cérémonie s'est déroulée.
Peu avant le coucher du soleil, toute la communauté samaritaine est rassemblée. Les hommes sont habillés tout en blanc et coiffés (béret basque, béret militaire, tarbouche...). Beaucoup sont chaussés de bottes blanches. Selon Guillaume, c'est pour passer la Mer Rouge à pied sec mais je ne crois pas que ce soit vraiment la bonne raison... Les femmes ne sont pas franchement séparées comme chez les Juifs. Au milieu de l'esplanade, une grande rigole d'une dizaine de mètres de long, bordée de tuyaux d'arrosage.

A l'autre extrémité de l'esplanade, on voit six grands puits d'environ deux mètres de profondeur dans lesquels flambe un brasier.

Ne pas trop s'approcher sinon on cuit...
Peu à peu, on amène les moutons qui seront sacrifiés. Les pauvres bêtes n'en mènent pas larges.

Les prêtres, cohanim, arrivent, vêtus de longues tuniques vertes ou bleues.

Le grand prêtre arrive le dernier, couvert d'une sorte de châle de prière, comme c'est le plus ancien des cohanim, deux hommes le soutiennent dans sa marche. Tous les prêtres s'assoient à proximité de la rigole. A ce moment, les non Samaritains sont conduits hors de l'esplanade, la raison n'en est pas tant une exigence de pureté que la sécurité et la sérénité du sacrifice.

Quelques chaises proches des cohanim sont réservées pour les notables locaux, autorités civiles et religieuses. De plus, quelques policiers israéliens font le service d'ordre.
Peu à peu, les bêtes sont amenées de part et d'autre de la rigole. Chacune est maintenue entre les jambes d'un homme en blanc.
A ce moment, on se prépare : on affute les couteaux !!!

Il y en a même un qui garde ses couteaux dans un sac "Love" !!!

Les prêtres commencent à chanter, suivis par les hommes, les mains levées. Au moment où le soleil se couche, on lit le texte du livre de l'Exode, au chapitre 12, institution de la Pâque.

Tout le monde chante le texte, on sent la tension qui monte... Les hommes s'inclinent puis poussent de grands cris : "Ah ! Ah ! Ah !"

Lorsque on arrive au passage "Toute l'assemblée de la communauté d'Israël l'égorgera au crépuscule", on égorge les bêtes.

Cris des hommes, applaudissements, hurlements (les bêtes restent dignes et silencieuses, elles, comme dit le prophète Isaïe "il n'ouvrait pas la bouche, comme l'agneau qui se laisse mener à l'abattoir" Is 53, 7), un brin d'hystérie collective.

Puis les hommes se font un signe sur le front avec le sang des bêtes, comme dans l'Exode et ils s'embrassent.

En plus de ça, le sang jaillit sur les vêtements blancs, certains sont vraiment dégoulinants. Là, c'est la version "soft".

Les femmes, pas du tout impressionnées, viennent tremper leur main dans le sang pour se marquer elles aussi.

Les bêtes sont ensuite dépecées, vidées. C'est une boucherie à ciel ouvert.


Les peaux sont brûlés dans les brasiers en répandant une tenace odeur de roussi.

Les carcasses sont mises sur des tiges de bois très longues et mises à rôtir. C'est le méchoui...


Le côté liturgique est finalement assez ténu. Mais il faut attendre minuit pour consommer la viande.
Nous avons rejoint notre bus. Tout le monde était là sauf un qu'il a fallu attendre un bon moment. On a pu repartir. Retour sans histoire et à 22h00, nous étions à la maison.
Nuit calme et sans mauvais rêves...
Enfin, cette excursion valait le détour : *** au Michelin !
Étienne+

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