mercredi 23 janvier 2019

Il modèle du faux (Sg 15,9)

κίβδηλα πλάσσει
kibdèla plassei


Chers amis,
Finalement la tempête de mercredi soir a été violente et surtout très brève. Il y a bien eu de la neige mais rien de grave… Ensuite le vent a soufflé toute la nuit. J’ai expérimenté ce que j’ai lu le même jour dans un roman que je suis entrain de lire. Il s’agit de cette série policière écrite par Batya Gour, la « P.D. James israélienne ». Les romans se passent à Jérusalem, notamment à l’esplanade russe, derrière la Municipalité, à 250 mètres de chez moi. L’esplanade russe, c’est l’hôtel de police qui doit son nom à l’ancien hospice russe construit à la fin du xixe s. à proximité immédiate de la cathédrale russe. Dans chacun des romans, un meurtre a lieu dans un cadre assez refermé sur lui-même, un cabinet de psychanalyste, un kibboutz, un UFR de l’Université… Ici, c’est à la TV et c’est assez sanglant (il y a au moins quatre meurtres qui se suivent… Moi, j’ai du mal à suivre !). Deux phrases ont retenu mon attention : « Le poêle à mazout allumé n’y changeait rien ; un froid intense régnait dans la pièce. Ce froid propre à Jérusalem et à ses maisons de vieilles pierres. Intense et dense. » (ch. 9) et aussi : « Ceux qui n’en ont pas souffert ne savent pas comme il peut faire froid chez nous. » (ch. 13). Eh oui, ici, je deviens frileux… Qui l’eût cru ?
Jeudi dernier, il y a eu une conférence à l’EBAF, sur “Les faussaires de la Bible”. Le conférencier, Michael Langlois, est prof à la fac protestante de Strasbourg et il a été amené à expertiser des manuscrits de la mer Morte appartenant à des collections privées. Et pour un certain nombre d’entre eux, il est sûr à 99 % qu’il s’agit de faux. En fait, ce phénomène n’est pas récent… Le conférencier a commencé par évoquer la découverte de la stèle de Mesha (dont je vous ai parlé en août dernier). Peu après sa découverte, le marché des antiquités à Jérusalem a été inondé de Moabitica, d’objets censément moabites découverts à l’est de la mer Morte : poteries, idoles, sculptures, toutes recouvertes d’inscriptions mystérieuses en écriture moabite. Tout le monde était persuadé qu’il s’agissait d’authentiques vestiges du passé, jusqu’à ce qu’un jeune attaché consulaire Charles Clermont-Ganneau (lien vers un article sur Clermont-Ganneau, dépisteur de fraudes archéologiques) n’évente la supercherie. Dix ans plus tard, le revendeur des “vestiges moabites” propose un manuscrit du Deutéronome datant de 800 ans avant J.-C. ! Là aussi, les imaginations s’enflamment (ainsi que les enchères…) et Charles Clermont-Ganneau, toujours lui, a prouvé la fraude. Du coup, le revendeur s’est suicidé…
Idoles "moabites"

Voilà pour les faux d’avant ; les faux bibliques d’aujourd’hui sont, le plus souvent, des 
“manuscrits de la mer Morte”, achetés très chers par des institutions évangéliques américaines, financées par des mécènes richissimes, et qui veulent prouver à tout prix la vérité et l’inerrance de la Bible. À force d’expertiser des manuscrits, Michael en est même venu à repérer la “main” du faussaire, qui est bien moins doué qu’un scribe de l’antiquité. Je vous mets une photo de deux idoles “moabites”, conservées dans les collections de l’École Biblique (fondée 15 ans après l’affaires des Moabitica)…
La conférence est visible sur la page Youtube de l'EBAF.

Sinon, je lisais un de ces romans à chacun de mes séjours hiérosolomytains mais, là c’est fini… La romancière est morte il y a une dizaine d’années et il n’y a que six enquêtes du commissaire Michael Ohayon. Bon, de toute façon, le héros venait d’arrêter de fumer… Ça partait mal, comme Tintin quand il a arrêté de porter des culottes de golf. Mais j’arriverai bien à trouver d’autres lectures…
Sinon, je lis beaucoup à la bibliothèque. Je travaille d’une manière particulière le chapitre 16 (celui avec le fameux Armagedon !) Sur le site academia.edu, j’ai trouvé quelques articles intéressants. Mais certains ! C’est impressionnant le nombre d’interprétations farfelues que l’on trouve ! Il y a même des lectures LGBT de l’Apocalypse ! Voici les titres de deux articles qui me sont passés sous les yeux : « Does it help Women to transgender the Whore of Babylone ? »[1] Ou encore, « A Jerusalem Postcolonial Feminist Reading »[2] Je dois avouer que c’est souvent très capillotracté et qu’on cherche souvent à lire la Bible non pas telle qu’elle est mais telle qu’on voudrait qu’elle soit… Encore un problème avec le réel.
En ce moment, je suis la piste d’Harmagedôn, le fameux lieu du combat final… Je consulte les commentaires dans les Patrologies, grecque et latine, pour voir ce que les Pères disent de ce lieu. Souvent, les latins se bornent à recopier saint Jérôme… Les grecs ont mis plus de temps à pondre des commentaires. J’ai aussi pisté le commentaire d’Hippolyte de Rome sur l’Apocalypse (milieu du iiie s.)… On l’a perdu et il n’en subsiste qu’une vingtaine de citations dans un commentaire en arabe fait par un chrétien cairote (du Caire !). Ce commentaire n’était connu que par un manuscrit de la Bibliothèque Nationale, mais d’autres témoins ont fait surface depuis et ont permis d’attribuer le texte du commentaire à Ibn Kātib Qayṣar. Il cite un certain Anqūliṭus, mauvaise copie d’Ibūliṭus (= Hippolyte)… Les fragments arabes ont été publiés en 1832 et traduits en allemand en 1857. L’interprétation qu’Hippolyte donne
Rue Ben Yehouda
fin de shabbat
d’Harmagedôn (ارماكاذون = Armākāḍūn) est originale et demande à être approfondie… J’ai consulté ma petite sœur qui parle bien l’arabe pour une traduction précise du sens de l’expression… Mais, c’est difficile. Même pour le frère Daoud dont c’est la langue maternelle. Je pense que c’est de l’arabe du Moyen Âge et que le mot doit être bien compliqué… Même la traduction en français publiée en 1973 (alors que l’auteur du commentaire arabe était encore inconnu) laisse songeur… On verra.
Samedi, je suis allé me balader du côté de Harmon haNatsiv et le soir, j’ai profité de l’ambiance de la rue de Jaffa qui reprenait vie après le shabbat. Je ne sais pas combien de personnes m’ont demandé de l’argent… Je n’en ai jamais, c’est bien simple.
Dimanche, je suis allé à la messe à Abu Gosh, des amis m’ont amené. Le timing était serré car ils devaient laisser leur fils à la Maison d’Abraham pour les scouts (il y a un groupe Scouts de France à Jérusalem !). J’ai retrouvé les moines qui ont l’air d’aller bien, même si le P. Abbé a l’air fatigué. Après l’apéro, retour à Jérusalem et déjeuner chez mes amis.
Je suis rentré à la nuit tombée (ça n’est pas si tard, elle tombe si tôt !).
Aujourd’hui, fête de sainte Émérentienne.
À bientôt,
Étienne+





[1] Cela aide-t-il les femmes de transsexualiser de la prostituée de Babylone ?
[2] Une lecture postcoloniale féministe de Jérusalem…

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