mercredi 16 janvier 2019

Le torrent en face de Yoqneam (Jos 19,11)


הנחל אשׁר על־פני יקנעם
hannaḥal ɔašer cal penê Yoqnécam

Chers amis,
Vendredi après-midi, alors que je travaillais en bibliothèque, j’ai reçu un message de Michelle qui me proposait d’aller en Galilée le lendemain… J’ai hésité car cela signifiait de ne pas aller en bibliothèque le samedi matin… Finalement le programme était alléchant : Megiddo et Beth-Shéarîm. À 8h j’étais donc devant Notre-Dame et Michelle m’a récupéré puis on est allé chercher une autre amie dont le mari travaille au Consulat. Direction Megiddo, où nous sommes arrivés vers 9 h 40. Je connaissais déjà le site pour l'avoir visité avec l'EBAF. Nous avons fait un joli tour sur le site. Ce qui me fait rire c’est l’insistance des panneaux explicatifs sur le fait que l’Apocalypse situe proprement à Megiddo la bataille de la fin des temps (Ap 16,16) : et pour illustrer cela on voit un groupe de personnes, le regard éperdu, brandissant des chapelets (la bonne sœur est particulièrement expressive) pour espérer échapper. Quand saint Jean écrit l’Apocalypse, cela faisait 400 ans qu’il n’y avait plus d’occupation du site. Nous avons vu les portes (cananéenne et israélite), les palais et les fameuses “écuries” ainsi que l’impressionnant système d’eau.
Puis nous avions un peu de temps alors nous sommes allés un peu plus loin à Yoqnéam. Comme Megiddo, ce tell contrôlait une passe à travers la chaîne du Carmel (12 km plus à l’ouest). Le site a été fouillé mais n’est pas aménagé en parc. On y accède librement et il y a quelques explications en hébreu… Les enfants des écoles du coin ont dû faire des activités “peintures sur céramique” car il y a en partout.
Il n’y a pas grand-chose à voir. Surtout les restes d’une église de l’époque croisée (à l’époque le site s’appelait Caimont ou Cain Mons, puisqu’une tradition antique affirmait que c’était là que Caïn avait été tué par Lamech, son descendant. En arrivant Michelle a dit : « On dirait que c’est byzantin ! » Et j’ai rétorqué : « Non, c’est croisé ! » Et en fait, nous avions tous deux raison : l’église croisée est bâtie sur les restes d’une église byzantine. L’église croisée réutilise des vestiges romains. Autour, une maison et un fortin croisés. Les latrines sont toujours utilisables (et peut-être même utilisées…) Au sommet du tell, des vestiges de l’époque ottomane : un certain Dahir al-Umar, un bédouin des environs s’était emparé, au nez et à la barbe des gouverneurs ottomans d’une bonne partie de la Galilée et avait institué une sorte d’état plus ou moins autonome. Le sultan n’a pas trop apprécié, l’a assiégé dans la cité d’Acre (Saint-Jean-d’Acre) et a fini par l’attraper et le décapiter. La tête a été envoyée à Istanbul…
Puis, nous sommes allés à quelques kilomètres de là, à Beth Shéarîm. Nous y avons pique-niqué.
C’est une ville importante pour la tradition juive. Après la destruction de Jérusalem en 70 ap. J.-C., le sanhédrin, la plus haute autorité juive, s’est réfugié dans la plaine côtière à Yavné (Jamnia), puis il est allé en Galilée et notamment à Beth Shéarîm. C’est là qu’un certain Juda haNassî a vécu et s’est fait enterrer au début du iiie siècle. La tradition juive l’appelle « notre saint maître ». C’est à lui que l’on doit l’entreprise de compilation de la Mishna. Après la chute du Temple, le judaïsme a dû se réformer en dehors du culte du temple (sacrifices, offrandes…). La vie juive s’est alors centrée sur la Tora et son observance. La Tora écrite, vous la connaissez, c’est ce que nous, chrétiens, appelons le Pentateuque, les cinq premiers livres de la Bible (Genèse, Exode, Lévitique, Nombres, Deutéronome). La Tora orale, tout aussi importante pour les Juifs, est l’interprétation pratique de cette Tora écrite. Bien qu’elle soit orale, elle a commencé au iie s. à être mise par écrit ; la première étape de ce processus a donné lieu à la Mishna (en hébreu, la “répétition”). De fil en aiguille, par ajouts successifs, on en est arrivé à former le Talmud.
À Beth Shéarîm, donc, comme Juda haNassî y est enterré, les gens ont voulu eux aussi reposer pas trop loin de lui. Une nécropole des iiie et ive siècles s’est donc développée avec des tombes creusées dans le calcaire tendre du site (une sorte de craie). Chaque tombe s’étend sous terre avec différents modes
L'entrée de la tombe de Juda haNassî
d’inhumation : sarcophages, arcosolia, banquette funéraire… Habituellement, les tombes sont fermées par un montant, un linteau et une porte en pierre plus solide. Les murs intérieurs sont décorés de symboles juifs (des chandeliers à sept branches, des lulavs…) et parfois d’inscriptions en grec ou en araméen. Deux grands caveaux se visitent : dans l’un d’entre eux on pense avoir retrouvé la tombe de Juda haNassî ; l’autre contient pas moins de 135 sarcophages. Le site est très joli, propice à une petite sortie familiale (beaucoup de familles pique-niquaient, les enfants allaient explorer les tombes). Ensuite, nous avons voulu aller vers d’autres tombes, mais le site était fermé. Il faut réserver pour y accéder mais comme ça n’est marqué qu’à l’entrée de ce site secondaire, il ne doit pas y avoir grand monde qui y va. Comme ça, les gardes sont tranquilles.
Puis nous sommes montés un peu plus haut, sur la colline où s’étendait la ville de Beth Shéarîm (la maison des portes, en hébreu). Le site n’a pas été trop fouillé : on devine une porte de la ville, un pressoir à huile, une synagogue et une basilique. Au sommet de la colline, un statue équestre d’Alexandre Zaïd, un juif russe qui a émigré en Palestine en 1904, il a vécu là avec sa famille jusqu’à son assassinat par un bédouin en 1938. Dans les années 30, sous le mandat britannique, les relations entre Juifs et Arabes se sont dégradées et il y a eu pas mal de violences, dont l’assassinat de Zaïd. Zaïd était membre de haShomer (le gardien), une organisation paramilitaire de défense des kibboutz, qui a fini par donner la Haganah et finalement l’armée israélienne (la fameuse Tsahal) au moment de la fondation de l’État.
Puis il était 15h30 et bien temps de rentrer. Nous voilà repartis sur la route. À un moment, une voiture de police nous a arrêtés. Le type voulait vérifier les papiers : la voiture de Michelle est dotée d’une plaque blanche (diplomatique) mais sans indicatif CD ou CC (Corps consulaire) et le type était méfiant. Surtout que depuis un an, la police se méfie des véhicules diplomatiques français… En février dernier, un employé du consulat s’est fait attraper à la frontière avec la bande de Gaza : il transportait des armes de Gaza à la Cisjordanie dans un véhicule du consulat. Ça fait mauvais effet… et n’a pas dû arranger les relations franco-israéliennes. Finalement, ça n’a pas été trop long et il nous a même donné un tuyau pour couper le bouchon sur l’autoroute.
Le lendemain, dimanche, fête du baptême du Seigneur, j’ai dû quand même consacrer un peu de temps à l’étude après la bagatelle de la veille… Du coup, je suis allé à la messe tôt à Notre-Dame, de l’autre côté de la Porte Neuve. C’est un immense bâtiment construit en 1888 par les Assomptionnistes pour leurs pèlerins. Maintenant, ça appartient au Saint-Siège et est confié aux Légionnaires du Christ.
Je rentre dans la sacristie, il y avait déjà plusieurs prêtres. Je dis « Bonjour ». Et j’avise sur le buffet une belle crosse en argent et une mitre. Peste ! il y a un évêque ! Mais où est-il ? Je demande si je peux concélébrer, le prêtre me répond positivement avec un grand sourire. Je me présente. Je m’habille. Je reconnais un jeune prêtre qui fréquente la bibliothèque de l’ÉBAF. Nous nous saluons. Une fois prêt, je me recueille face à la croix pour me préparer à la messe. Je regarde les portraits de part et d’autre de la croix. Le pape François (normal !) et… là je reconnais… le type à qui j’ai demandé à concélébrer… le nonce apostolique, Son Excellence monseigneur Leopoldo Girelli. C’est le nouveau arrivé en novembre 2017, je ne le connaissais pas.
Après la messe, j’y suis allé de quelques flagorneries (ArrivederLa, Eccelenza…) pour tenter de noyer le poisson. Le jeune prêtre, Cristobal, m’a invité à prendre le café, nous avons discuté de nos recherches : il travaille sur le Benedictus et le Magnificat.
L’après-midi, un peu de travail puis un petit tour dans la Vieille Ville : Saint-Sépulcre, Mur occidental, Cénacle…
Lundi, mardi et mercredi : bibliothèque, étude, lecture, rédaction. Cet après-midi, il y a eu une belle tempête de grêle et plus tard dans la soirée un peu de neige. Mais ça n’a pas tenu. Quelques coups de tonnerre. On verra demain.
À bientôt,
Étienne+

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